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Thème
Au début de l’année 1935 à Jassy (Iasi) en Roumanie, Eugenia, la narratrice, née en 1917 dans une famille de commerçants, partage avec ses deux frères l’affection de ses parents et aussi leur ressentiment quotidien contre les juifs, qui ont envahi leur ville jusqu’à représenter la moitié de la population ; venus de Galicie, de Russie, de Hongrie ou de Pologne et ayant obtenu la nationalité roumaine en 1919, ils restent aux yeux des habitants des étrangers encombrants. Le professeur de littérature d’Eugenia invite à l’université un écrivain juif, Mihail Sebastian, mais celui-ci est insulté et roué de coups par quelques membres de la Garde de Fer, dont son propre frère fait partie. La vérité éclate aux yeux de la jeune fille, tout à coup illuminée par la prise de conscience de cette violence aveugle et tellement injuste. Très vite éprise de Mihail, retrouvé à Bucarest, elle lui déclare sa passion avec audace, alors qu’il a dix ans de plus qu’elle et qu’il se montre plutôt distant. Devenue journaliste, elle est confrontée à cette montée inexorable de l’antisémitisme, qui atteint son paroxysme à travers le massacre de 13.266 juifs à Jassy en 1941. Effondrée par l’alliance de son pays avec Hitler, elle décide de s’engager dans un réseau de résistance communiste et elle se lance dans une enquête impossible sur l’origine de la haine des juifs dans la ville de son enfance.
Points forts
• L’histoire de la Roumanie pendant ces années chaotiques de 1935 à 1945: « prise en étau entre les communistes haïs de l’Union soviétique et les nazis arrogants et invincibles », elle choisira de s’allier avec ces derniers pour finir envahie par les premiers.
• De l’antisémitisme ordinaire des habitants de Jassy au déchaînement meurtrier du pogrom : comment en est-on arrivé là ? Comment la bestialité peut-elle s’emparer ainsi d’êtres humains, au point que certains s’acharnent à coups de hache sur leurs voisins ? Pourquoi les roumains, y compris de grands intellectuels, haïssent-ils autant les juifs ? Ceux-ci incarnent-ils la part sombre d’eux-mêmes ? Quant aux juifs, sont-ils éternellement maudits ? Ces questions lancinantes traversent tout le récit avec force.
• Pour donner chair à ces épisodes méconnus, Lionel Duroy a choisi comme narratrice, un personnage fictif, Eugenia ; sensible, intelligente, courageuse, elle veut éveiller les consciences ; prête à affronter tous les risques, elle se révolte contre cette fièvre antisémite, dont elle cherche désespérément les ressorts, quitte à approcher certains bourreaux, séduisants parfois.
• Le point de vue du juif est incarné par le romancier et dramaturge Mihail Sebastian, personnage bien réel, des passages de son journal sont d’ailleurs cités ; il se sait menacé, mais refuse de s’exiler. Même si la guerre l’aide à tenir, iI s’enfonce dans un sombre fatalisme et souhaite presque la mort. Il se contente de survivre et essaie de se sauver par l’écriture.
• Une histoire d’amour déchirante : la ravissante et fraîche Eugenia, merveilleuse de spontanéité, de loyauté, de tendresse laisse Mihail insensible, parce qu’il en aime une autre, une actrice qui lui échappe par ses nombreuses infidélités, mais le fascine par sa personnalité tellement romanesque.
• La question du déterminisme familial est abordée aussi à travers l’émancipation de cette jeune femme. Comment les convictions et les engagements d’un frère et d’une sœur peuvent-ils être aussi opposés ? Peut-on trouver une vérité différente de celle de ses parents ? Les aime-t-on en dépit de ce qu’ils pensent ?
Quelques réserves
Je n’en vois pas, si ce n’est le désenchantement lassant de Mihail Sebastian…
Encore un mot...
Lionel Duroy a quitté son Chagrin, ses Colères, ses Vertiges, bref son histoire personnelle, pour nous embarquer cette fois-ci dans un roman historique foisonnant, qui frappe par sa vérité et sa force. Son héroïne idéaliste et attachante lui ressemble par son émotivité, sa lucidité, sa liberté d’esprit et son goût pour la révolte.
Une phrase
Ou plutôt deux:
- « Pendant un temps, l’écriture l’a sauvé, il a pensé qu’elle était cette chose tant attendue, tant espérée, qu’elle allait le porter, lui donner éternellement l’envie de vivre … mais elle ne lui a pas apporté la tranquillité, et encore moins le bonheur. »
- « c’est Malaparte qui a alerté le monde entier sur le pogrom (de Jassy) grâce au chapitre qu’il lui consacre dans Kaputt … Etrange de penser qu’un même homme aura ainsi exhumé, et de façon inoubliable, ce qu’il avait bien contribué à enterrer. »
L'auteur
Né en 1949, Lionel Duroy est l’auteur de quinze romans, dont Le Chagrin (2010), Colères (2011), L’Hiver des hommes, prix Renaudot des lycéens et prix Joseph Kessel 2012, Vertiges (2013), Echapper (2015) et L’Absente (2016).
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