Elizabeth Finch
Parution le 1er septembre 2022
Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin
208 pages
19 euros
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Thème
- Julian Barnes revisite avec bonheur le cas Julien l’Apostat
- Légataire à sa mort des écrits et papiers d’Elizabeth Finch, sa professeure de “Culture et Civilisation”, Neil finit par décoder cette phrase sibylline : “J, mort à 31 ans”. Il s’agit de Julien, dit l’Apostat, dernier empereur païen de Rome, mort en 363 sur un champ de bataille persan.
- La trentaine, le “roi des projets inachevés”, Neil, éprouvait un amour “romantico-stoïque” pour Elizabeth Finch. E.F était une enseignante exceptionnelle, exigeante, à l’ironie et la précision sobres, une “lettrée indépendante, de ces hommes et ces femmes de la plus haute intelligence qui se penchaient en privé sur leurs propres sujets d’intérêt”, et auxquels “l’argent leur permettait de voyager et de chercher au bon endroit ce qu’il leur fallait, sans obligation de publier, sans collègue à surpasser ou chefs de département à satisfaire”. Mon ambition disait-elle à ses étudiants est de “vous aider à réfléchir et argumenter et à penser par vous-même”. En cours, E.F avait évoqué Julien l’Apostat et un “âge de lumière à la place d’un âge de ténèbres”. Elle souhaitait partager par là son goût pour les apostats, en tant que “figures du doute, et un doute actif (qui) est le signe d’une intelligence active”.
- Plutôt que de tenter l’écriture d’une biographie post-mortem d’E.F, Neil réunit le matériel d’une biographie de Julien l’Apostat, en manière d’hommage à sa professeure. Cet empereur est connu pour avoir tenté de restaurer, sans succès, le paganisme hellène face à la popularité croissante de la religion chrétienne, décriminalisée depuis 313 par son prédécesseur Constantin. La phrase qu’il aurait prononcé sur le champ de bataille où il avait été défait militairement, “Tu as vaincu, ô pâle Galiléen” (pour désigner le Christ), symbolise la reconnaissance de la victoire du Christianisme. La seconde partie de l’ouvrage détaille la personnalité – complexe – , de Julien (un “mystique chrétien fourvoyé'', ou encore “le plus subtil ennemi de notre foi'' selon Milton). Le plaidoyer contre les chrétiens et le monothéisme défendu par Julien est développé dans ses dimensions historique, philosophique et religieuse. On retrouve ainsi des échos puissants de la pensée de L’Apostat chez Montaigne (la liberté de conscience), Montesquieu (l’éloge des stoïciens) et les philosophes des Lumières (avec les thèmes de la tolérance ou du monarque éclairé que voulait incarner Julien).
Points forts
- A l’issue de cette quête, Neil s’interroge : “elle m’avait laissé quelque chose de bien plus réel et difficile à suivre : une idée à suivre ; l’ai-je suivie correctement, je ne peux le savoir - elle seule le saurait”. Difficile au lecteur de conclure, mais une chose est certaine : cette quête est passionnante !
- Elizabeth Finch est une plongée érudite et joyeuse dans les premiers temps du christianisme, encore fragile plus de trois cents ans après la naissance du Christ. On se convainc assez rapidement que l’entreprise de Julien était vouée à l’échec parce que le choix d’un paganisme actif et dépassé (les offrandes, les conversations avec les dieux) a ruiné son séduisant profil marqué par l’austérité, la vertu et la tolérance, qui le distinguait de la plupart de ses congénères.
- Mais on lit avec intérêt les termes du débat monothéisme-polythéisme (aspect autoritaire du premier qui exige d’aimer un seul Dieu, “qui ne sous- traite pas”, contre la flexibilité supposée du second) ; les controverses sur l’au-delà ; ou les préventions de Julien envers les chrétiens d’alors (hostilité à la science, manque de raffinement, soif de martyre…).
- Barnes partage aussi une évocation stimulante de ce qui se serait (peut-être) passé si la pensée de Julien avait triomphé : pas besoin de Renaissance car la culture gréco-romaine et les grandes bibliothèques auraient été intactes ; ni besoin de Lumières car “les prêtres auraient été ravalés au rang de druides avec leurs croyances bizarres mais rendues inoffensives” ; pas de guerre de religion et une science libre de la Religion ; et enfin “une joie à espérer dans ce bref passage sur terre et non dans quelle absurde Disneyland après la mort”.
- Julian Barnes trouve aussi les mots justes pour exprimer ce qu’est un grand enseignant : intelligence, capacité à développer une réflexion personnelle. Il laisse aussi entrevoir le côté mystérieux et romanesque du personnage d’Elizabeth Finch qui suscite fantasmes et spéculations chez Neil et les autres étudiants. L’auteur n’a toutefois pas eu besoin de faire vibrer cette corde pour rendre son ouvrage passionnant .
Quelques réserves
Le récit ouvre des pistes multiples entre roman, histoire, religion et psychologie. Certains regretteront peut-être que l’auteur n’ait pas davantage cherché à nous entraîner sur le mystère de la vie d’Elizabeth Finch. Il y aurait certainement excellé… dans un autre ouvrage.
Encore un mot...
Dans Elizabeth Finch, Julian Barnes met son talent de romancier au service d’une érudition éloquente qui ressuscite les thèmes toujours contemporains de la confrontation christianisme – paganisme.
Une phrase
- “Je m’adresserai aux élèves adultes que vous êtes sans nul doute. La meilleure forme d’éducation, comme les Grecs le savaient bien, est collaborative “. (p13)
- “En même temps – et puisque vous n’êtes plus à l’école primaire, je m’abstiendrai de dispenser le puéril encouragement et la fade approbation”. (p13)
- “Monothéisme, dit ce jour Elizabeth Finch. Monomanie. Monogamie. Monotonie. Rien de bon ne commence de cette façon”. (p 21)
- « Tu as vaincu, ô pâle Galiléen / Le monde sous ton souffle est devenu gris / Nous avons bu le breuvage léthéen / Et du suc de la Mort nous sommes nourris.» (Swinburne, Hymne à Proserpine) (p 42)
- “Julien n’avait-il pas écrit : « c’est par la raison qu’il faut convaincre les hommes, non par les coups, les outrages et supplices. » Quant aux Galiléens : « il faut avoir plus de pitié que de haine envers des gens assez malheureux pour se tromper dans des choses si importantes. » (p 136)
- “ Il y a quelque chose de cromwellien chez Julien : austère, puritain, implacable au combat. Prenez ce fragment, dans lequel il se plaint du portrait trop flatteur qu’un peintre aurait fait de lui : « pourquoi, mon ami, m’avoir donné une autre forme que la mienne ? Peignez-moi tel que vous me voyez. » Verrues et tout. ” (p 147)
L'auteur
Julian Barnes est un romancier, nouvelliste, essayiste et journaliste britannique. Il est également l’auteur de romans policiers sous le pseudonyme de Dan Kavanagh.
Son premier roman, Metroland a reçu le prix Somerset-Maugham en 1981. Il est l’auteur de nombreux romans largement distingués par la critique et le public, parmi lesquels Le Perroquet de Flaubert (prix Médicis essai 1986) ; Love, etc. lauréat du prix Femina étranger en 1992 ; England, England (1998) ; Une fille, qui danse lauréat du prix Booker en 2011 ; ou Le Fracas du temps (2016) ; ou encore La Seule histoire en 2018. Il est également auteur de nouvelles (Une histoire du monde en 10 chapitres) ainsi que d’essais (Un homme dans sa cuisine, 2003) et de chroniques (Quelque chose à déclarer en 2002).
- Ci-dessous les liens des chroniques de Culture-Tops sur Le Fracas du temps et La Seule histoire.
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