Des hommes sans femmes

Solide graine de Nobel
De
Haruki Murakami
Editions Belfond
Notre recommandation
4/5

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Thème

Des hommes se racontent : l’un en engageant comme chauffeur une femme qu’il n’a jamais vue auparavant, l’autre en proposant à un ami de rencontre de prendre sa petite amie pour maîtresse avant qu’il ne devienne son amant, le troisième en écoutant un de ses proches lui raconter l’amour fou qu’il porte à une femme mariée. A mi-chemin de ces récits, une femme survient et c’est elle, cette fois, qui explique à son amant ce qu’a été sa vie antérieure. 

Leurs récits se mêlent comme le feraient mille espèces naviguant dans le gigantesque fleuve de la vie. Pour chacun d’entre eux, c’est une part de leur propre destin qu’ils livrent ainsi à autrui sans pudeur ni fioritures. 

Au travers de ces révélations intimes, un morceau d’eux-mêmes se détache comme une peau que le sang irriguerait encore. Dans le secret des chambres à coucher de Tokyo, sous les draps ou au petit lever des amants, mots et aveux s’échangent, ouvrant au lecteur une porte sur des vérités trop longtemps enfouies.

Sur la scène du théâtre intime de Murakami, tout devient facteur d’inquiétude : un téléphone qui résonne en pleine nuit et dont on sait qu’il est annonciateur de catastrophes. Un homme inconnu et silencieux dont la seule présence dans un bar vous met mal à l’aise. Et, pourtant, aimanté, vous poursuivez votre lecture pour percer le mystère.

Points forts

Pour qu’elles soient réussies, les nouvelles doivent faire naître, quand on en a terminé la lecture, une certaine forme de regret. La nostalgie qui en découle tient à ce que le récit s’interrompe toujours trop tôt. C’est le cas avec Des hommes sans femmes où Murakami brosse à petites touches ses portraits d’hommes blessés au cœur de métropoles où les jours et les nuits se confondent. Nul vacarme mais des conversations courtes à l’image de celles que ces hommes échangent entre eux. La vérité en sort nue, sereine, sans l’once d’un faux semblant. On s’y installe comme on le ferait au chevet d’un être aimé, attentif à ne rien perdre de ce qu’il va nous confier. Comme si se détachait de lui la part la plus intime de lui-même que nous aurions pu manquer.

Quelques réserves

Quel plaisir de constater qu’il n’y en a pas...

Encore un mot...

Il y a un univers Murakami que l’on reconnait d’emblée chez cet écrivain heureusement peu classable. S’il échappe aux étiquettes, la raison en est simple : il est un narrateur hors du commun, fuyant autant les sentiers battus que les intrigues prévisibles. Après l’inoubliable trilogie 1Q84 au succès planétaire, l’étrange, l’irrationnel, la solitude des héros de Murakami comme leur fragilité habitent une œuvre somptueuse destinée à rester dans nos mémoires. On ne sait jamais très bien pourquoi ou comment ses personnages surgissent dans nos vies mais, quelles qu’elles aient été, ils prennent soudain possession de l’espace où nous pensions vivre seuls. S’y glisse une musique particulière, des souvenirs de lecture ou de peintres aimés dotant chacun d’une âme dont les vagabondages nous emportent bien au-delà de nous-mêmes.

Une phrase

- Les rêves, c’est le genre de choses que l’on peut emprunter ou prêter, si besoin est. J’en suis persuadé…Quand je songe à l’époque de mes vingt ans, ce dont je me souviens pourtant le plus, c’est de ma solitude, de mon isolement …Je n’aurais pu dire vraiment si cette période n’était qu’un rude hiver durant lequel se formaient à l’intérieur de moi de précieux anneaux de croissance.

- Comme un sol desséché pour qui la pluie est bienvenue, il se laissait pénétrer par la solitude, le silence, l’isolement…au fond, il le reconnaissait, sa vie était un échec….La seule chose qu’il pouvait réussir à se construire était un lieu auquel il serait fermement amarré, où son cœur, sans profondeur et sans poids désormais, ne serait pas constamment ballotté.

L'auteur

Traduit dans le monde entier, le romancier japonais Haruki Murakami a derrière lui une œuvre impressionnante par sa diversité d’inspirations et de formes : il est en effet l’auteur de plus de cinquante ouvrages où alternent romans, essais, biographies, recueils de nouvelles et comptes rendus de voyages. 

Ayant passé une dizaine d’années en Europe du sud (Italie, Grèce), il a ensuite enseigné la littérature japonaise dans les prestigieuses universités américaines de Princeton, Harvard et Tufts. 

Traducteur en japonais des œuvres de Raymond Carver, F. Scott Fitzgerald, John Irving et J.D. Salinger, les livres de Murakami ont été maintes fois couronnés. Prix Gunzo pour son premier roman en 1979 Ecoute le chant du vent, prix World Fantasy en 2006 pour Kafka sur le rivage et, la même année prix Kafka de littérature. Il a été fait docteur Honoris Causa des universités de Liège (2007), de Princeton (2008) et de Tufts (2014). En 2015, il a reçu le prix Hans Christian Andersen de littérature. 

Des hommes sans femmes que Belfond vient de traduire a été publié en 2014 au Japon. 

Depuis 2006, le sexagénaire nippon est sur la liste des écrivains les plus cités comme possibles lauréats d’un prochain Nobel de littérature.

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