Dans la Foret

Un hymne à la nature, réaliste et superbe: tout sauf gnan-gnan
De
Jean Hegland
Editions Gallmeister - 304 pages
Notre recommandation
4/5

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Thème

Dans une Amérique rongée par une dépression dont la pénurie d’essence et les ruptures d’électricité vont constituer les premières manifestations, une famille qui avait déjà fait le choix d’une vie isolée sinon recluse, va assurer sa survie grâce à son environnement naturel, celui d’une forêt qui révélera aux deux filles qui l’ont fréquentée depuis l’enfance son insondable richesse.

Ainsi cette forêt, théâtre de leurs aventures adolescentes, terrain symbolique de l’apprentissage de la liberté, les sauvera-t-elles après qu’elles aient épuisé leur héritage, quelques conserves et une récolte en germe à la mort de leurs parents, pour constituer leur ultime refuge, les préserver de la faim, de la maladie et de la mort, encore des prédateurs humains, jugés finalement et par elles plus dangereux que la faune animale.

Points forts

- Une belle fable qui vante le retour aux sources et l’affranchissement du monde marchand et du consumérisme avec une certaine crédibilité, procédant sans doute de la nature de celle-ci, laquelle n’est pas inspirée par le combat politique ou la conversion quasi religieuse à l’écologie mais relève du simple état de nécessité et d’urgence.

- L’analyse pertinente de la fratrie dont l’histoire ne constitue que le décor ou le prétexte, révélant ses jouvences et ses risques, la solidarité qu’elle implique et l’enfermement qu’elle suppose. Ce sujet transversal et universel est traité sans masques et décrit ce lien fraternel comme un fil ténu sur lequel le cheminement reste toujours aléatoire, l’épreuve faisant osciller les sentiments éprouvés respectivement par les deux soeurs l’une pour l’autre de l’amour à la  haine. Ainsi en va-t-il notamment de l’abandon d’Eva auquel Nell renoncera finalement sans qu’elle sache elle-même si elle le fait par amour ou par obligation.  

- L’évocation toujours intéressante du paradoxe que représente une situation nouvelle dans l’histoire des hommes, fut-elle alarmante, avec sa promesse d’inédit, comme une rupture que l’on n’a pas su initier mais dont on imagine la portée salutaire, au nom du principe selon lequel « un mal est souvent la condition d’un bien ».

Quelques réserves

La pléthore de références végétales qui donne quelquefois au texte la portée d’une leçon de botanique, la poésie du propos pouvant être anéantie par l’excès.

Encore un mot...

Un beau texte, une langue riche et romanesque, la trame procédant de ces mêmes qualités; une défense pertinente de la nécessité d’une éducation écologique et de la reconversion de l’homme à son environnement naturel.

Une belle évocation de la famille, intelligente et subtile, qui sait rester objective, sa critique et son éloge évitant la dérision ou l’apologie.

L’intérêt littéraire impliqué par la place finalement laissée au doute alors que la survie animale de ces deux sœurs et de leur jeune enfant va participer d’un isolement définitif  qui pourrait bien les tuer d’une autre manière. Ainsi le lecteur est-il finalement libre de sa conclusion, l’épilogue participant aussi bien d’un message d’espoir que d’une réclusion fatale.

Une phrase

"En même temps que l’inquiétude et la confusion est apparu un sentiment d’énergie, de libération. Les anciennes règles avaient été temporairement suspendues, et c’était excitant d’imaginer les changements qui naitraient inévitablement de ce bouleversement, de réfléchir à tout ce qu’on aurait appris et corrigé quand les choses repartiraient. Alors même que la vie de tout le monde devenait plus instable, la plupart des gens semblaient portés par un nouvel optimisme…

Chaque jour apporte un cadeau. Hier nous avons trouvé un carré de petite oseille que nous avons ajoutée à notre soupe de viande séchée. Aujourd’hui j’ai remarqué ce qui ressemblait à des perles brillantes éparpillées sur le sentier menant à la souche, des baies d’arbousier. J’en ai ramassé quelques-uns dans ma main et une sorte de prière de gratitude m’est venue à l’esprit avant d’en grignoter une."

L'auteur

Jean Hegland est née en 1956. Elle est américaine et vit dans ce coin de Californie où poussent les séquoias géants mis en scène par Tracy Chevalier dans son roman « A l’orée du verger ». Avec ce titre « Dans la forêt » , elle signe en 1996 son premier roman, publié pour la première fois en France par les Editions Gallmeister qui s’intéressent de près à ce genre littéraire et en assure la promotion en France, le « nature writing » qui associe aujourd’hui le combat contre une Amérique dégénérée et sa possible régénérescence par sa réconciliation avec la nature, laquelle est traitée comme un personnage du roman à part entière; ainsi en est-il ici de la forêt.

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