Cœur

La vie héroïque d’un ancêtre tué en 1914 : Une belle épopée intergénérationnelle
De
Thibault de Montaigu
Albin Michel
Parution le 21 août 2024
328 pages
21,90 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Entre récit et fiction, l’auteur part à la recherche de son père avant qu’il ne quitte ce monde. Un père absent, dandy magnifique et grand séducteur, qui a tenu son fils à l’écart de sa vie quand ses affaires et son infidélité chronique l’arrachaient sans cesse au domicile familial. Sans oublier les lacunes béantes de l’auteur de ses jours, ni les larmes qui jalonnent son enfance meurtrie par tant de départs, de défaillances et de mensonges, le fils aimant va aider son père à mourir, sans emphase, avec justesse et sincérité.

 De son côté, le père rendu aveugle et qui sait ses jours comptés, feint de pouvoir survivre un peu et suggère à son fils le thème de son prochain roman, l’histoire de Louis de Montaigu, l’arrière-grand-père de l’un et le grand père de l’autre, capitaine au 7ème Hussards, mort un soir d’août 14 à la tête de son escadron en chargeant à cheval et sabre au clair une batterie d’artillerie allemande inexpugnable pour sauver une compagnie d’infanterie prise au piège.

 Ainsi le fils va-t-il mener l’enquête, à la recherche du héros qui recevra la croix de guerre à titre posthume pour cet acte de bravoure insensé et des ancêtres de Louis qui sont aussi les siens, jusqu’à celui des Montaigu qui, montant à l’échafaud sous la Terreur un livre à la main, écornera la page du roman qu’il vient de lire avant d’offrir sa tête à la guillotine, comme si la mort que la Révolution lui inflige restait sans effet sur sa vie que Dieu seul peut lui reprendre.

L’enquête sera menée jusqu’au bout, la mort du capitaine fut-elle encore empreinte de mystère, entre bravoure et héroïsme suicidaire ; aboutie ou presque avant que le commanditaire de l’œuvre ne meure, juste à temps pour comprendre que son fils a entendu son message, celui qu’il lui a confié en lui assignant cette recherche, comme une quête du pardon qu’un père demande à son fils devant la conduite de sa vie, une conduite oscillant de la faiblesse congénitale de l’homme au poids des secrets de famille qui font partie de l’héritage et peuvent conditionner une existence à quelques générations de distance.

Points forts

  • La trame du livre qu’on perçoit assez autobiographique, du moins dans le rapport de l’auteur à son père, une trame qui suggère au premier et à travers la recherche des causes de la mort de l’aïeul une excuse aux turpitudes du second. L’idée n’étant pas tant d’identifier ces causes que pour le père d’offrir à son fils son acte de contrition, de lui demander tout bêtement pardon pour tous ses écarts, de manière pudique, comme une ultime preuve d’amour du père défaillant pour son fils très aimant. 

  • Le récit de la mort du père, juste, entre sensibilité, prosaïsme et élévation spirituelle, dans une très belle prose au trot enlevé. 

  • Les récits des exploits de l’ancêtre à cheval, à Saumur au Cadre Noir dans la grande carrière qui fait face aux bâtiments de l’Ecole, dans la débâcle d’août 14, théâtre de l’ultime démonstration de puissance de ce cavalier « surgi de la nuit des temps, couché sur l’encolure de sa jument, prolongeant des cuisses et des hanches sa foulée furieuse comme s’ils n’étaient plus qu’un seul corps… ».

Quelques réserves

La critique peut être un peu appuyée du monde auquel le père et le fils appartiennent, une aristocratie fauchée mais restée snob, fière de son hétérogénéité, survivant d’une génération sur l’autre par des actes de bravoure insensés et des mariages d’argent. Une critique lucide mais pour réelle qu’elle soit, proche du cliché, comme une excuse appuyée de l’auteur pour les écarts de son milieu.

Encore un mot...

Au premier degré, il est finalement question dans ce récit romancé d’hérédité, celle que revendiquent volontiers les aristocrates dans une filiation de sang ancienne et identifiée dont la transmission de la chevalière à l'aîné fait office de symbole. Une hérédité génétique et quelquefois vertueuse qui peut s’avérer l’être moins quand elle implique la répétition de comportements fautifs d’une génération sur l’autre, une répétition induite par les secrets de famille érigés en « excuses ». Mais le « génie » du livre se cache ailleurs, dans cette quête de l’autre à l’aube de la mort, celle du fils vers son père et celle du père vers son fils, associant les regrets, les non-dits, les pudeurs qui ont jalonné leur vie commune, leurs espoirs souvent déçus par l’idéalisation de leurs liens statutaires, la feinte opposée à l’impossible évocation de la mort et dans ce contexte universel, à travers cette quête de l’autre, celle du pardon, avant qu’il ne soit trop tard.

Le chemin du « Pardon » exploré par tant d’auteurs, ainsi Jean Raspail dans son incomparable Miséricorde ou Grégoire Delacourt dans son meilleur livre intitulé Mon père est ici très bien traité, avec finesse, délicatesse, réalisme et talent. Puisse ce livre être lu et apprécié pour son souffle qui élève un peu l’âme et le lecteur avec ! On pense aussi en le lisant à Oscar Wilde qui affirmait « que les enfants commencent par aimer leurs parents ; devenus grands, ils les jugent et quelquefois ils leur pardonnent ». Emmanuel de Montaigu a la chance de bénéficier du traitement de faveur réservé par ce « quelquefois » !

Une phrase

 « Aller en ligne, écrit-il (Teilhard de Chardin), c’est monter vers la paix ». La paix de celui pour qui sa propre existence n’a pas d’importance, mais participe à une œuvre qui la dépasse, à une volonté plus vaste et plus universelle, telle une goutte d’eau se noyant dans le mouvement d’une vague. Sentiment de plénitude où n’étant plus rien on devient tout, et qui rappelle à sa manière l’extase mystique, quand les frontières de la conscience semblent s’étendre à celles de l’infini. « Une région s’était formée où il était possible aux hommes de respirer un air chargé de ciel». Eh bien, cet air chargé de ciel, je crois que Louis l’a respiré aussi, à l’instant de charger avec ses hussards ». (pages 295-296)

L'auteur

Thibault de Montaigu est journaliste et écrivain. Diplômé de Sciences-Po (Paris) et du Centre de Formation des Journalistes, il a collaboré à Libération au sein du Service « Culture » et fait aujourd’hui office de rédacteur en chef de la Revue L’Officiel Voyage. Il a publié plusieurs ouvrages, bien accueillis par la critique, Les anges brûlent en 2003, Un jeune homme triste en 2007, en écho au Jeune homme vert de Michel Déon, un autre hussard… Les grands gestes la nuit  en 2010 qui lui valut d’être finaliste pour l’Interallié, Zanzibar , finaliste du prix Roger Nimier, encore et toujours un hussard ! Un voyage autour de mon sexe qui passe pour un écart de comportement ou de langage pour certains et pour une lassive anthologie de l’onanisme pour les autres, la grande révélation de son talent venant avec La Grâce paru chez Plon en 2020 qui lui vaudra le Prix de Flore.

Le succès promis à ce Cœur, son dernier ouvrage, entre récit autobiographique et roman, pourrait sans doute être consacré par un autre prix, plus prestigieux encore, sauf à considérer que l’évocation de la gloire militaire, du combat pour l’honneur jusqu’à celle de l’âme qui habite l’enfant à naître est vouée à la disqualification par principe, fut-elle envisagée avec réserves. Arrière-petit-fils de Louis de Montaigu, le héros du livre, il l’est aussi de Gaston Gallimard par sa mère, le fondateur des prestigieuses éditions Gallimard.

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