Chien 51
parution en Août 2022
288 pages
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Thème
Zem Sparak, inspecteur de terrain sans ambition de carrière, solitaire et rompu aux arcanes du crime, est désigné pour dénouer une affaire de plus ; il est rapidement « verrouillé », ce qui lui vaut en langage de flic de bosser en binôme et de subir l’ambition d’une jeune femme arrogante et imprudemment sûre d’elle. L’enquête va les mettre en présence de petits loubards, de deuxièmes couteaux qui roulent chacun pour son champion, candidat de la prochaine élection au Comité Directeur. Jusque là rien que de très banal, la politique et le crime sont associés, des meurtres sont commis dans des conditions illisibles. Sauf que le décor est imaginaire, fictif ou futuriste, celui d’une ville et d’un pays engloutis, ruinés et rachetés à vil prix par une multinationale qui a asservi tous les habitants, lavé tous les cerveaux, tué toutes les velléités de penser et d’agir, anéanti le passé, sa culture et ses mythes. Sparak fait partie des rares survivants du monde d’hier, de ceux qui s’en souviennent et qui en éprouvent la nostalgie. Son désespoir va nourrir son obsession de vérité et finalement sa vengeance, implacable.
Points forts
- L’épilogue qui rachète un peu l’intrigue, très confuse quant à elle.
- La langue, ciselée, souvent puissante, dans le style de Gaudé.
- L’idée rassurante qu’une petite lumière peut toujours éclairer le monde, si désespéré soit-il, et la révolte d’un seul entraîner la chute d’un empire.
- La défense a contrario de la culture et de son corollaire, la transmission, indispensable à la survie de l’espèce.
Quelques réserves
L’intrigue alambiquée qui n’est sans doute néanmoins qu’un prétexte à la juste thèse défendue des vices qui mènent le monde, tous les mondes, celui d’hier et celui de demain, la violence et la peur, la trahison et la cupidité… la souffrance du lecteur étant rachetée par les cinquante dernières pages, très belles et explicites.
Encore un mot...
Gaudé a choisi d’écrire un polar pour défendre la poésie du monde d’hier nourri de mythes et de souvenirs mêlés, mû par une culture ancestrale, organisé autour de la cellule familiale et amicale. Un monde qui ne confond pas l’amour, le désir et la copulation - l’ambition, le destin et la roue de la fortune - le respect et la peur. Et pourfendre le monde de demain qui tourne le dos à son passé.
C’est donc la Grèce et ses vingt-cinq siècles depuis Périclès qui font office de pays perdu, la Grèce ruinée qui s’est vendue au plus offrant, une multinationale cynique qui ignore tout de la société des hommes, de la philosophie et de la foi, de l’humanisme et de la transcendance, et plus prosaïquement de la démocratie.
C’est en ce sens que le roman de Gaudé prend son relief, en contrepoint de l’intrigue un peu fumeuse, alors qu’il vient en écho à ce monde moderne qui veut tordre le coup à sa culture, à son passé et à ses mythes, ce que l’auteur analyse implicitement comme un crime, alors que c’est plus sûrement un suicide.
Son ouvrage s’inscrit dans la ligne des romans dystopiques, empruntent à Aldous Huxley et son Meilleur des mondes l’idée d’une société de castes, les « alpha » et les « bêta » étant ici encartés par zones étanches (1, 2 et 3) sans franchissement possible de l’une à l’autre, encore à George Orwell et son 1984 quand la liberté d’expression a été anéantie par la pensée unique d’un continent sur l’autre. Prémonitoire ou pas, Gaudé fait ici l’apologie des mondes perdus et la peau du wokisme sans jamais citer son nom.
Un polar politique en somme, un peu confus dans son intrigue, pertinent, urgent et nécessaire dans son objet..
Une phrase
“ Aujourd’hui, il y repense et il peut dire que la politique a tout mangé, tout brûlé. Pas entre eux mais tout autour. Elle les a isolés, asséchés, et rien n’a plus jamais été joyeux. Il repense au jeune homme qu’il était. Athènes est loin, ses camarades aussi… Aucune des voitures incendiées, aucun des coups de barres de fer donnés n’ont pu empêcher la strangulation du pays. Les accords ont été signés. Une nation ruinée, en dépôt de bilan, a été rachetée. Aucun de leurs cris n’a pu empêcher la dislocation de la Grèce, branche par branche, comme on démonte un navire resté trop longtemps à quai, pièce par pièce, pour le vendre à des ferrailleurs gourmands.”
L'auteur
Laurent Gaudé, tout juste cinquantenaire, est un auteur prolifique. A vingt ans, il écrit déjà dans Les Temps Modernes, la revue créée par Sartre et Beauvoir publiée chez Gallimard. Il œuvre ensuite pour le théâtre et va écrire successivement plusieurs pièces, ainsi Pluie de cendres, Combat des possédés, encore Le tigre bleu de l’Euphrate. Pour, sans jamais abandonner l’art dramatique, s’adonner au roman avec succès et publier ainsi, tous trois chez Actes Sud, Cris (2001), La mort du roi Tsongor couronné par le Goncourt des Lycéens (2002) et Le soleil des Scorta par le grand Goncourt (2004). D'autres romans suivront ainsi que divers reportages de presse sur le Kurdistan iranien, le Bangladesh ou la Jungle de Calais.
Ci-dessous les liens pour retrouver les chroniques de Culture-Tops sur quatre livres de Laurent Gaudé, De Sang et de lumière, Salina les trois exils, Ecoutez nos défaites et Danser les ombres.
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