CHEVREUSE
Paru le 7 octobre 2021
176 pages
18 euros
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Thème
Sur une cinquantaine d’années, Patrick Modiano nous convie à une recherche dont la vallée de Chevreuse est la pierre angulaire et ce, grâce à des signaux surgissant de la mémoire des personnages hantant depuis l’enfance le protagoniste, Jean Bosmans. L'errance de ce dernier, à travers les lieux et les années, toute “modianesque”, faite de retours en arrière, de questionnements, le conduira en réponse à l'écriture d'un roman.
Points forts
Une histoire qui, de points de repères en intrigues, entraîne notre curiosité de lecteur de la première à la dernière page ; une galerie de personnages, un déroulement temporel qui attisent nos interrogations et font que ce récit nous prend dans ses filets.
On reconnaît par là le style de l’auteur : fluidité apparente qui masque les pièces d’un puzzle fait de réminiscences, hésitation de la mémoire, signaux venus de l’enfance, souvenirs ressuscités, rêves dévoilés, autant d’éléments pour lutter contre les fantômes du passé qui surgissent de chapitre en chapitre.
Découvrir ce récit fait de différentes strates est captivant; les événements qui émergent de l’oubli sont les fils à dérouler afin de “ ramener toute la bobine “. Patrick Modiano nous égare dans ses chemins de mémoire mais dans cette mise en abyme nous confie son processus intime de création littéraire, un cadeau de l’auteur à ses lecteurs.
Quelques réserves
Peut-on aborder de la même manière ce trentième roman de Patrick Modiano selon que l'on soit un des fidèles de l'écrivain ou que Chevreuse soit le premier rendez-vous avec l’auteur? Dans ce cas, la construction peut sans doute dérouter un lecteur novice.
Encore un mot...
Le héros, Jean Bosmans s'est déjà promené dans d'autres ouvrages de l'auteur; la rue du Docteur-Kurzenne est un lieu où ont habité Patrick et Rudy Modiano et qui apparaît dans Remise de Peine. Une part d'autofiction alimente Chevreuse comme dans d'autres romans mais la frontière est ici plus ténue entre le créateur et sa créature, Jean Bosmans. Un double, un dédoublement, un reflet dans un miroir qu'on imagine piqué par le temps et des clés qui ouvrent les portes de la construction romanesque reliant Chevreuse à l'ensemble de l'œuvre de Patrick Modiano.
Une phrase
Il était impossible à Bosmans, après plus de cinquante ans, d’établir la chronologie précise de ces deux événements du passé: la traversée de la vallée de Chevreuse qu’il avait faite en voiture avec Camille et Martine Hayward et qui s’était achevée devant la maison du Docteur-Kurzenne, et la visite de l’hôtel Chatham où Camille et lui s’étaient retrouvés dans le bureau de Guy Vincent.
Tous les points de repère s’étaient effacés avec le temps, de sorte que ces deux événements, vus de si loin, lui paraissaient simultanés, et même finissaient par se mêler l’un à l’autre, comme deux photos différentes que l’on aurait brouillées par un processus de surimpression.
Une coïncidence le troublait. Par quel hasard Camille et Martine Hayward l’avaient-elles ramené, à deux reprises, à une période de son enfance à laquelle il ne pensait plus depuis quinze ans? On aurait dit qu’elles le faisaient délibérément, dans un but qu’il ignorait, et qu’elles avaient été renseignées par quelqu’un sur certains détails du début de sa vie.
L'auteur
Patrick Modiano est né en juillet 1945. C'est en 1942 que ses parents se rencontrent: un père juif fréquentant des milieux interlopes, une mère comédienne souvent absente. Patrick et son frère Rudy né en 1947 ont une enfance chaotique, confiés tour à tour aux grands-parents, à des amis ou des nourrices... en 1957 Rudy décède d'une leucémie foudroyante ce qui marquera durablement l'écrivain qui lui dédiera ses premiers romans. La période de l'occupation avec les activités énigmatiques de son père, l'absence et l'errance ressenties dans l'enfance irriguent l'œuvre de l'écrivain. Placé dans différents pensionnats, le jeune Patrick fera une rencontre décisive en la personne de Raymond Queneau qui l'introduira dans les milieux littéraires. Il écrit son premier roman en 1967 La place de l'Etoile et depuis ne cesse de publier. Lauréat de prix prestigieux dont le Grand prix du roman de l'Académie française pour Les boulevards de ceinture en 1972, le Prix Goncourt pour Rue des boutiques obscures en 1978, le Prix Nobel de littérature lui est décerné en 2014 pour «...l'art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation...»; à cette occasion il est qualifié de «Marcel Proust de notre temps». Son œuvre est traduite en trente-six langues.
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