Ce que nous avons perdu dans le feu
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Thème
Ce que nous avons perdu dans le feu est un recueil 12 nouvelles successives qui ont en commun le registre morbide et le thème presque systématique de la disparition :
Un « enfant sale » qui vit dans la rue avec sa mère junkie disparaît dans le quartier abandonné de Constitucion à Buenos Aires,
Deux amies qui s’embrassent surprises dans un hôtel hanté,
« Les années intoxiquées » d’une bande de copines qui tournent au drame,
Une petite fille sans bras dont la fascination par les films d’horreurs bascule en cauchemar éveillé,
Un guide touristique qui raconte des légendes morbides aux visiteurs de la capitale argentine,
L’expédition paraguayenne d’un couple qui bat de l’aile,
Une écolière qui se mutile,
Une anorexique qui projette son obsession de la maigreur sur une tête de mort,
Une femme hantée par une faute professionnelle dans un orphelinat,
Un bidonville dévoré par une force démoniaque,
Un adolescent dépressif enfermé dans sa chambre qui erre sur le dark web,
Des femmes qui s’immolent en signe de protestation.
Points forts
La plupart de ces nouvelles sont effroyables. Elles nous mènent aux confins du cauchemar, au-delà de l’imaginable. C’en est d’autant plus dérangeant que les touches de fantastique n’enlèvent rien aux nombreux éléments du réel qui sont glissés dans la fiction. Le leitmotiv de la disparition est une claire référence à la dictature argentine, et c’est pourquoi ces horreurs inimaginables côtoient de si près le réel.
C’est un basculement de situations plus ou moins ordinaires dans l’horreur, parfois fantastique, qui est ici décrit. Ce recueil – dont le titre est le nom de la dernière nouvelle du recueil - m’a évoqué Les nouveaux barbares, film argentin sorti en 2014, qui joue sur ce même basculement, sans explorer cependant la dimension fantastique qu’effleure ici Mariana Enriquez.
Le ton et le style de l’auteure rappellent cette petite voix fluette et enfantine que l’on a tous en tête lorsque l’on pense à un film d’horreur. A la lire on imagine, on entend, on voit, et parfois on voudrait arrêter d’imaginer, d’entendre et de voir. Parfois on se surprend à sourire et l’instant d’après on est glacé d’effroi.
Quelques réserves
Tout le monde n’y prendra pas goût, car certains passages frôlent réellement les frontières de l’insoutenable. Personnellement, j'ai été happée par le style de Mariana Enriquez mais j’ai néanmoins regretté, parfois, l’absence de chutes plus fortes. Les nouvelles m'ont paru un peu inégales en la matière.
Encore un mot...
Une plongée en eaux troubles qui glace délicieusement, tant l’horreur se niche sur cette frontière floue entre l’extrême réalisme de vies ordinaires et le basculement dans la folie et le fantastique. Mais le contexte historique argentin, connu superficiellement en France, donne au texte un poids et une dimension critique qui ne laisse pas indifférent.
Une phrase
« Vingt ans après j’en ai toujours la phobie et, si je tombe dessus par hasard ou par erreur à la télé, le soir même je dois prendre des médicaments pour dormir, j’ai des nausées pendant plusieurs jours et je revois des heures durant Adela assise sur le canapé, les yeux fixes, son bras unique, tandis que mon frère la regarde avec adoration. Je ne me souviens plus, c’est vrai, de la plupart de ces histoires : à peine d’une sur un chien possédé par le diable – Adela avait un faible pour les histoires d’animaux. D’une autre sur un homme qui avait découpé sa femme et caché ses membres dans un congélateur, dont ils ressortaient la nuit pour le persécuter, jambes, bras, tronc et tête roulant dans toute la maison, jusqu’au moment où la main morte et vengeresse tuait l’assassin en lui serrant le cou – Adela avait un faible, également, pour les histoires de membres mutilés et d’amputations. »
L'auteur
Mariana Enriquez est une écrivaine et journaliste argentine, née en 1973. Si ses romans et nouvelles ont déjà conquis le sous-continent latino-américain depuis quelques années, Ce que nous avons perdu dans le feu, son huitième livre, est le premier à être traduit en français.
Hérité des histoires d’horreur contées par sa grand-mère, son goût pour le macabre est mis au service d’histoires oscillant entre réalisme et fantastique. Mariana Enriquez puise une grande part de son inspiration dans les crimes de la dictature argentine, années de son enfance et de son adolescence.
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