Ce que faisait ma grand-mère à moitié nue sur le bureau du Général
Parution en janvier 2023
304 pages
22 €
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Thème
Otto Zorn, oligarque dissident, débarque dans la vie de l’auteur pour lui proposer un marché inédit consistant à lui acheter non pas tant son œuvre que la création de son œuvre.
Ainsi l’auteur va-t-il accepter, contre un paiement spéculatif en crypto-monnaie, de confier à son commanditaire tout son travail d’écriture sous la forme de feuillets transmis au fil de l’eau et avant corrections ; le romancier intéressé par cet exercice particulier, disruptif et iconoclaste se laissant définitivement convaincre par sa femme qui y voit pour sa part une belle opportunité financière.
Son travail prend alors l’allure d’un roman quand il relève plus sûrement de la biographie familiale, elle-même mêlée à l’histoire de l’Entre-deux-guerres, et s’engage par l’évocation de sa grand-mère, Denise Gosset alias « Amin », et de son arrière-grand-père, un certain Henri Gosset, fondateur de l’école de psychologie, pour les confronter à quelques célébrités de leur génération qu’ils ont rencontrées ou pas. Ainsi Léon Daudet, fils d’Alphonse, militant monarchiste à la tête de la Revue de l’Action Française, polémiste antisémite et parlementaire occasionnel de la IIIème République ; Pétain et De Gaulle, chefs de guerre et littérateurs. Et bien sûr autant de personnages satellites, Philippe Daudet, fils de Léon, Georges Vidal, anarchiste et patron du « Libertaire », le sculpteur René Iché et sa « Déchirée », œuvre majeure de 1937 qui ramène le lecteur à Jean Cavaillès, grand résistant qui rencontrera De Gaulle à Londres, Jean Gosset, son collaborateur zélé, mort en déportation, Compagnon de la Libération à titre posthume, fils d’Henri déjà cité et grand-père maternel de l’auteur…la boucle étant ainsi bouclée.
Autant de personnages liés entre eux mais seulement pour certains, dont les histoires sont tantôt parallèles tantôt concentriques, la clef de leurs liens apparaissant dans l’épilogue sous la forme de cette question insolite posée par le titre mêlant le Général et son bureau de Londres à la présence d’une femme à moitié nue.
Points forts
L’évocation de ces vies sans lien apparent, du moins pour certaines, et le montage astucieux qui les met en présence, faisant d’un aréopage hétérogène le ressort d’un ouvrage biographique et familial au cœur de plusieurs histoires vraies rendant à l’association de faits réels une portée paradoxalement romanesque et fictive.
L’épilogue amusant et surprenant, voulu comme tel par l’auteur, perçu comme tel par le lecteur !
Quelques réserves
Comme toujours , les points forts sécrètent les points faibles.
En ce sens, le lecteur se perd un peu dans ce labyrinthe avant de se prendre au jeu et de comprendre l’intelligence et l’intérêt de ces histoires mêlées.
L’insistance peut-être excessive sur « le cas » de Léon Daudet et la proscription définitive qui y est attachée, au demeurant justifiée mais sans lien évident avec l’histoire. S’agit-il finalement pour l’auteur de régler son compte à Daudet et à travers lui celui des thèses de l’Action Française, ce qui est une option possible et défendable ? Ou dans sa sphère privée, à travers cette charge ad hominem, de régler plutôt le compte de l’arrière-grand-père, Henri Gosset, psychologue consulté sur le cas du fils Daudet et qui n’a pas su conjurer ce suicide, en l’accablant au passage de sa communauté de pensée possible avec l’extrême droite ? Ou encore et sur un thème plus large abordé en filigrane, de traiter la responsabilité du père en général dans la commission de l’acte suicidaire du fils, en évoquant mezzo vocce le suicide d’Olivier, sans patronyme ajouté… certainement sans aucun lien avec l’histoire cette fois, un drame déjà traité dans L’Esprit de vengeance, au point que peut-être et par un fil très ténu, l’auteur ait choisi de s’en prendre une nouvelle fois à Paul Ricoeur, le philosophe dont il fut proche et père d’Olivier, défenestré.
Encore un mot...
Un livre très intelligent, bien ficelé, proposant une association de faits réels dans un concert puissant mais cacophonique, avec le danger que suppose toujours la compréhension de l’ensemble, la somme de faits avérés sans lien entre eux, sinon celui que suggère de manière très romanesque l’épilogue, ne conférant pas au récit le caractère de véracité revendiquée.
Ainsi, si Gosset Père a bien connu Daudet, si Pétain a bien connu De Gaulle qui ne les a sans doute connus ni l’un ni l’autre, si Cavaillès a bien rencontré De Gaulle et connu Gosset Fils, si René Iché a bien sculpté “la Déchirée”… il n’y a pas de lien à faire, sinon par amalgame, entre De Gaulle et l’antisémitisme, au point d’ailleurs que la famille De Gaulle fut dreyfusarde – ce que l’auteur admet bien volontiers – mais pas plus entre Philippe Daudet et Olivier Ricoeur, fussent-ils victimes d’un même destin tragique, entre Henri Gosset et Jean Cavaillès, même si le premier fut le père de Jean et le second son mentor en Résistance...sinon pour associer tout ce beau monde et sous couvert de faits réels et historiques à une thérapie personnelle – ce que l’auteur semble vouloir finalement suggérer en y associant le lecteur par effraction.
Ceci rappelé, l’exercice n’en reste pas moins brillant mais amène simplement le lecteur à s’interroger sur la finalité du propos.
Une phrase
- “ Daudet peut aussi compter sur une grande partie de la presse et sur une opinion publique attendrie par le spectacle quotidien des parents brisés par la mort de leur enfant. « Philippe Daudet a été assassiné »… L ‘Action Française cherche à effacer de la tête de ses lecteurs l’idée même de suicide, la remplaçant par l’idée plus scandaleuse, plus prestigieuse de l’assassinat.” P. 169 et 170
- “ Mais il faudra bien que je raconte un jour tout ce qui s’est passé après la mort d’Olivier… De Gaulle, Pétain, Mounier, Gosset, Olivier, tout est lié ! Et plus le temps passe, plus les choses s’entrelacent, s’enchaînent, les NFT et l’éther d’Olivier qui se suicide, Philippe Daudet et Jean Eustache, tous les suicidés se tiennent, ils font la ronde…” P. 282 et 283
L'auteur
Écrivain, journaliste et cinéaste, Christophe Donner, né en 1956, est l’auteur de plusieurs ouvrages procédant pour les plus connus de l’autobiographie et de l’autofiction ( La France goy), encore de romans pour la jeunesse.
Certains titres de son œuvre déjà très abondante ont été tantôt couronnés, tantôt nominés, ainsi l’Empire de la morale par le Prix de Flore et le Choix Goncourt de la Pologne (2001), « La France Goy par le Prix Médicis (2021), encore Un roi sans lendemain (2007) par le Choix Goncourt de la Pologne et le Grand prix du roman de l’Académie française.
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