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Thème
Une belle idée de départ : rassembler en mars 1941 dans un même bateau ceux qui veulent fuir la France pour gagner l’Amérique et sauver leur peau. S’y côtoient peintres, philosophes, écrivains, scientifiques, musiciens parmi lesquels quelques personnalités notoires dont André Breton, Wilfredo Lam, Simone Weil, André Masson, Anna Seghers et Claude Lévi-Strauss. Un monde clos, tantôt sauvage, tantôt vaincu qu’Adrien Bosc nous livre comme s’ils pouvaient être chacun de nous.
Points forts
Le lever de rideau est une réussite, comme l’est le bandeau du livre reproduisant en noir et blanc une photo de Dyno Lowenstein provenant du musée américain du Mémorial de l’Holocauste. Elle met en scène sur le pont du bateau une petite trentaine de passagers fixant l’objectif avec, en arrière-plan, l’océan qu’ils s’apprêtent à traverser. Un America, America qui pourrait être à l’écriture ce que fut jadis le film d’Elia Kazan.
Quelques réserves
Passées les cent premières pages, le récit s’essouffle soudain. Après Marseille, les côtes algériennes, le Maroc, Gibraltar, un manque d’ancrage commence à faire tanguer le navire d’Adrien Bosc. On s’interroge ? Panne sèche ou sauce qui ne prend pas ? Heureusement, page 150, l’inspiration revient au galop et, avec elle, un rythme qui ne faiblit plus.
Encore un mot...
Prisonnière de l’océan comme de ses peurs passées, présentes et à venir, cette société en vase clos est magnifiquement portraiturée (les pages 152 à 235 passent à la vitesse du vent) et a tous les atouts pour que l’on s’y attache. Derrière la plume incisive et superbe du narrateur se dessine une épopée tour à tour piteuse, grandiose, parfois pathétique mais, d’une certaine façon, éternelle.
Une phrase
Ou plutôt trois:
- Premier extrait, il est tiré du premier chapitre où Adrien Bosc annonce la couleur :
"Le roman a ceci d’ingénieux qu’il est informe, son champ vaste est sans cesse à défricher, habilement, il se niche dans les couches informes de l’Histoire, et une fois amassée cette lourde charge, les pesantes billes de charbon, son moteur s’allume, siffle et disperse ses fumées au loin, le tchou-tchou des vapeurs ressemble alors aux signaux des Indiens : ils ouvrent l’horizon. Pareil aux roues à aube du Mississipi, les sternwheelers, il charrie les eaux du fleuve, remonte les courants, claque la gueule des crocodiles, bat la mesure. Et se glisse entre les rayons, arrêtant le temps en apnée, une fois sur deux dans les plis, fait surgir de vastes fictions à la manière de ces algues accrochées aux pales des moulins, agrippées à la rigide structure du Vrai".
- Deuxième extrait :
"Il croulait sous le poids des doutes, des craintes, d’une méfiance somme toute raisonnable, qui tournait à l’abattement, comme si, près du but, l’exil ne pouvait conduire qu’à l’abattoir. Un troupeau au bord du précipice, le vrai prenait les habits du faux, le faux travestissait le vrai, s’en réjouissait. On entendit voleter entre les cordages les oiseaux, et ce serait terre, terre en vue, à qui le premier l’apercevrait, par-dessus bord, penché contre le paravent, à la renverse."
- Troisième extrait :
"Le syndrome du petit chef, si commun à notre monde revêtait ici une autre dimension, l’injure se mêlait à l’arbitraire, raciale et évangéliste, offrant à quiconque se parait de ses attributs, uniforme, grade et médailles, le sentiment décuplé de l’impunité."
L'auteur
En 2014, Adrien Bosc a reçu à vingt-huit ans le Grand Prix du roman de l’Académie Française pour son premier roman Constellation. Fracassante entrée en littérature avec le récit d’un drame vécu en octobre 1949 par les passagers d’un avion dans lequel il n’y aura aucun survivant. La presse salue chapeau bas le nouveau venu et une seconde récompense, le prix de la Vocation, vient couronner l’heureux élu. Adrien Bosc est alors loin d’être un inconnu à Paris puisqu’il a déjà à son actif le lancement en 2010 de deux revues, Feuilleton et Desports. Si l’on y ajoute en 2011 la création des éditions du Sous-Sol et son entrée aux éditions du Seuil dont il devient le directeur adjoint, voilà un parcours de premier de la classe pour ce trentenaire. Annoncé à grands renforts de trompettes par les quatre pages que M, le magazine du quotidien Le Monde consacre à Adrien Bosc le 18 août 2018, Capitaine est le second livre d’un trentenaire sainement ambitieux, passionné par la littérature et, ce qui ne gâte rien, doté de mille et un talents.
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