Cabane
Publication le 21 août 2024
480 Pages
22 Euros
Infos & réservation
Thème
Vers la Catastrophe ?
Le noyau central (et brûlant) de ce roman est le rapport Meadows de 1972 : Les limites à la croissance (dans un monde fini ).
« Un rapport écolo avant l’heure – le seul truc déprimant qui soit sorti des années 70, confié à des chercheurs de l’Université de Berkeley, haut lieu de la science mondiale et centre de la révolte hippie des années soixante-dix. »
Un autre journaliste imaginé par l’auteur précise : « Ça avait fait pas mal de bruit, puis les gens sont passés à autre chose… Le rapport 21 (nom de fiction donné au rapport) est le réquisitoire le plus cinglant de tous les temps contre la civilisation issue de la croissance sans limites, la civilisation de la dope énergétique, du confort et de la vitesse ».
Suite à la publication du rapport : aucun effet. Mais ces dernières années, débats, polémiques et conflits parfois violents ont émergé autour de la question centrale : allons-nous continuer à subir la démiurgie technologique qui conduit à la destruction de l’homme et de la nature ?
Deux mots-clés parcourent le roman et peuvent guider la réflexion : “cabane” et “système".
“cabane” : celles qui ont abrité les plus grands esprits (comme la cabane norvégienne où Wittgenstein a écrit son Tractatus logico-philosophicus), la maison-refuge ariégoise où Grothendieck a écrit pendant vingt trois ans des milliers de pages de mathématiques puis ses délires mystiques. Mais aussi la cabane où Kaczynski-UnaBomber fabriquait des colis explosifs destinés aux représentants de la technique et qui firent sept morts, et la cabane norvégienne où Breivik appliqua les théories de UnaBomber contre la société technicienne et organisa l’opération terroriste (70 morts).
- “système”. Le terme est apparu en mathématiques dès 1912 (J.Hadamard et les systèmes dynamiques) et fut repris et inversé dans la dynamique des systèmes avec applications technologiques et industrielles, une dualité qu’on retrouve dans l’opposition entre le pur mathématicien Grothendieck et la figure du Mal représentée par UnaBomber, et même aussi dans la corrélation (ironique ?) inspirée à Quentin entre préférences sexuelles des Français (respectivement des Anglo-saxons) et goût pour les mathématiques pures (respectivement appliquées) !
Points forts
L’auteur a imaginé la vie des quatre auteurs du rapport 21.
Le couple américain des Dundee, militant pour les idées du rapport 21 puis, désabusés, retournent vers leurs terres et appliquent leurs principes.
Paul Chevillot, brillant polytechnicien, après trois ans de travail intensif, de retour en France, prend ses distances avec ses thèses et vire à l’égoïsme manière Groucho Marx :
« Qu’est-ce qu’elles ont fait pour nous les générations futures ? »
Il défend l’industrie pétrolière dont il va vite devenir un dirigeant, pas de pitié pour les écolos : « Maintenant on sort les lance-flammes et on crame tous ces petits enculés de nos deux ! »
Enfin, Johannes Gudsonn, jeune prodige mathématicien, va suivre de loin la vie du grand mathématicien Grothendieck devenu militant anti-civilisation technicienne, créateur du groupe Survivre ( ! ) qui finira sa vie dans les délires mystiques à la recherche de l’origine du Mal. Gudsonn tombe à Berkeley sous l’influence de Théodore Kaczynski, gentil assistant de mathématiques que Gudsonn remplace quand il disparaît dans les collines du Montana pour devenir UnaBomber !
Ces héros sont entourés d’acteurs fictifs, réels ou bien à demi-imaginés. Avec eux nous allons parcourir les territoires les plus divers de Berkeley aux forêts norvégiennes, des champs pétrolifères aux villages isolés de l’Ariège, participer aux polémiques intellectuelles de la période, en particulier les courants divers de l’écologie de René Dumont à la pensée de Jacques Ellul, pasteur protestant et philosophe (1912-1994 Le système technicien, 1977), ou l’écologie profonde d'Arne Noess (1912-2009).
Au total, un véritable panorama des tourments de la société industrielle.
Quelques réserves
Je ne vois aucune réserve car à l’heure de l’extension de la crise de l’eau (le scandale des mega bassines, la mort lente de la Caspienne), des délires de milliards de milliards de paramètres de machines “intelligentes”, ce grand roman donne à réfléchir.
Encore un mot...
Cabane restera comme ces grands romans du XIX° siècle (Balzac, Zola) le témoignage d’une société en crise. Il démontre une fois de plus la puissance de la littérature pour forcer la prise de conscience collective des choix que nous devrons faire ensemble.
Une phrase
« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes entrés dans une ère de croissance exponentielle…
Je ne suis pas le premier à penser que nous allons au devant de très graves problèmes. De l'effondrement de notre civilisation thermo-industrielle peut-être. Seulement, personne n'a jamais pu le démontrer. Scientifiquement, je veux dire. C'est ce que je vous propose de faire »
( p. 38-39)
L'auteur
Abel Quentin a 38 ans, il exerce, outre sa passion de l’écriture, déjà remarquée avec ses deux premiers livres - Sœur (Sélection Goncourt 2019) et surtout Le Voyant d’Etampes (sélection Goncourt 2021) - le métier d’avocat pénaliste, il est ancien secrétaire de la Conférence des avocats .
Ajouter un commentaire