Burning Boy – Vie et œuvre de Stephen Crane
Traduit de l’américain par Ane-Laure Tissut
Parution le 31 octobre 2021
1008 pages
28 euros
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Thème
Qu’est-ce qui a poussé Paul Auster, 74 ans, écrivain adulé dans le monde entier, a rédiger cette somme conséquente – et remarquable – sur un écrivain mort en 1900 à 29 ans et oublié dans son propre pays ?
La fascination d’un écrivain pour un autre écrivain.
Paul Auster est en mission : réhabiliter celui qu’il considère comme « l’un des plus grands écrivains américains et le premier moderniste, celui de tous les artistes qui porte la plus grande responsabilité dans le bouleversement de notre façon de voir le monde au prisme du texte ».
Comment se fait-il que vous n’ayez – probablement – jamais entendu parler de Stephen Crane ? C’est bien à la réparation de cette injustice que Paul Auster a consacré 3 années de sa vie d’homme et d’écrivain.
Points forts
Ce n'est ni un plaidoyer pro domo ni une thèse universitaire. Évitant ces deux écueils, Auster peut véritablement se livrer à un travail d’écrivain : la vie de Stephen Crane devient le matériau d’une fiction, qu’il aborde avec toute la rigueur scientifique de la biographie (il a beaucoup travaillé avec notamment de très nombreux échanges avec les spécialistes de Crane), et le contrepoint artistique du créateur.
La vie de Stephen Crane est un roman. Il publie des romans (dont L’insigne rouge du courage, qui fut au programme de l’enseignement scolaire), des centaines de nouvelles, en tant que journaliste il écrit des centaines d’articles pour la presse, notamment en tant que correspondant de guerre (Etats-Unis, Grèce, Cuba …), des recueils de poésie.
Il mène autour de New-York puis en Angleterre une vie de bohême que les soucis d’argent n’épargneront jamais. Le tout en 7 années d’un travail acharné et d’une vie menée intensement qui s’achève à 29 ans à cause de multiples infections et maladies.
Enfin, il rassemble autour de lui une petite communauté d’écrivains - Henry James, Joseph Conrad, H.G. Wells - qui ont pour lui une admiration et une amitié profonde.
Burning Boy, il s’agit bien de cela : une vie et une œuvre qui se confondent dans le même fracas d’une jeunesse éperdue et riche d’ambitions. On ne peut séparer la perception ultra-sensible que Crane avait de la vie et l’expression tranchante et éblouissante qu’il en a donnée dans ses écrits, quelle qu’en soit la forme.
Saluons enfin, et nous l’oublions trop souvent, le magnifique travail de la traductrice, Anne-Laure Tissut, qui a également retraduit tous les extraits de l’œuvre de Stephen Crane, pour leur donner une unité et éclairer les pertinentes analyses de Paul Auster.
Quelques réserves
1000 pages avec de très longs développements sur les œuvres majeures de Stephen Crane … même si le livre se lit comme un roman, mieux vaut savoir dans quoi on se lance. Je ne crois pas que cet exercice ait de prédécesseurs dans le détail apporté à l’étude de l’œuvre. On connaît bien sûr moultes biographies d’écrivains écrites par d’autres écrivains, mais je n’en vois aucun qui plonge aussi profondément dans le travail de création avec une telle science de l’écriture …
Encore un mot...
Je n’ai volontairement cité aucun extrait de l’œuvre de Stephen Cane, préférant inclure des extraits du livre, sous la plume de Paul Auster ou Joseph Conrad. Je ne voulais pas résumer le style tellement fulgurant, surprenant et personnel de l’auteur en quelques lignes.
Une fois le livre refermé, j’ai couru en librairie acheter un recueil de poésie, Les cavaliers noirs et L’insigne rouge du courage.
Faites comme moi et vous ne serez pas déçus !
Une phrase
(Paul Auster sur les origines du livre )
“ Il se pourrait que j’exagère quelque peu. S’il est indéniable que Crane continue à briller, il est moins évident que son éclat demeure aussi vif que celui de ces autres astres prématurément éteints. Il fut un temps où presque tous les lycéens aux Etats-Unis devaient lire “L’Insigne rouge du courage”. J’avais 15 ans quand j’ai découvert ce roman en 1962, et ce fut une révélation explosive, qui changea ma vie comme ce fut le cas de la plupart de mes camarades (filles et garçons), mais aujourd’hui, pour des raisons que je peine à comprendre, ce roman semble avoir quitté les listes de lectures obligatoires, avec la double conséquence de priver les jeunes étudiants d’une expérience littéraire d’importance et de repousser Crane dans l’ombre (…). En eût-il été autrement, je n’aurais jamais songé à écrire ce livre. “
(Puis, un extrait d’une lettre de Joseph Conrad à Stephen Crane)
“ Je vous envie – horriblement – Votre tempérament rend nerveux les choses anciennes et les choses neuves époustouflantes. Je voudrais vous insulter, vous bénir – peut-être vous descendre – mais je préfèrerais être votre ami.
Vous êtes pour moi une surprise sans cesse renouvelée. Vous choquez – et l’instant d’après, offrez une parfaite satisfaction artistique. Votre méthode est fascinante. Vous êtes le parfait impressionniste. Les illusions de la vie sortent de vos mains sans faille. Ce n’est pas la vie – dont personne ne veut – c’est l’art – l’art auquel tout le monde – les grands comme les abjects – aspire, la plupart du temps sans le savoir. “ (page 480)
L'auteur
Paul Auster est un des plus grands écrivains américains vivants. Né à Newark, comme Stephen Crane, il vit à Brooklyn avec sa compagne, la romancière et essayiste Siri Hustvedt. Très francophile (il a commencé à traduire des poètes français), il est l’auteur d’une œuvre magnifique, à la fois très diversifiée et traversée par des thèmes récurrents et quasi obsessionnels, comme la dépossession (commencez par le début et sa première œuvre, La trilogie new-yorkaise) le hasard et la contingence. Il s’est toujours questionné sur le processus de création littéraire et le rapport entre l’auteur et son œuvre. Burning Boy peut être considéré comme un sommet (certes difficile pour le lecteur, mais quel plaisir d’y parvenir!) et un aboutissement. En espérant que sa création littéraire se prolonge encore longtemps
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