Brest, de brume et de feu

A la recherche de la ville cachée et enfouie. Une écriture sensible et délicate
De
Philippe Le Guillou
Gallimard
Publié le 22 janvier 2024
398 pages
22 euros
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Comment habiter une ville qui n'existe plus? Par le souvenir, le rêve ou par la littérature ? Philippe le Guillou, lui, a choisi de combiner ces trois expédients. 

Souvenir d' un grand- père maternel, enfant naturel, entré à seize ans à l' école des mousses : pour Gabriel, Brest d'avant la guerre, fut le commencement d'un long voyage. Une vocation et un sacerdoce.  

Aujourd'hui, il reste le rêve du narrateur, la recherche de la cité primitive d'avant la reconstruction, cette ville cachée ou enfouie, où la grâce parfois prend les couleurs d'une  lumière vénitienne qui flotte au-dessus de la rade. Grisaille effacée, la ville géométrique et froide, giflée par les vents disparaît alors. Enfin il y a Brest des affinités électives, des amours clandestines, Brest entre chien et loup, où près des docks déserts et des tripots bruyants, rôdent les matelots de Jean Genêt. 

Fermons les yeux un instant : voici venir le pape du nouveau roman, Alain Robbe- Grillet, imposant et sentencieux, ou Mac Orlan espiègle, une chanson en bandoulière.

Une " ville de solitude et d' épreuves " écrit Le Guillou. 

Points forts

Philippe Le Guillou n' aime pas beaucoup ces urbanistes froids et arrogants qui ont cherché à bâtir une ville nouvelle (au sens de l' homme nouveau dans certains régimes) et  tracé des artères au cordeau, sans se soucier de la mémoire meurtrie des Brestois de souche. Son écriture sensible, délicate, nous plonge dans la géographie intime des lieux, sonde l'âme des petites gens, désemparés, bousculés par une volonté de reconstruction à marche forcée... 

A Brest, la ville la plus bombardée de France (4800 immeubles détruits en quelques semaines) tous les repères ont disparu : les Halles, les fortifications, l'église Saint Louis. Constat dans la presse locale de l' époque : "on ne dit plus : c' était ici, mais c' était quelque part par ici." 

Pourtant et c'est toute la beauté de ce roman, dans cette topographie remodelée, il existe une permanence des lieux, une connivence entre les hommes et leur territoire. En profondeur, nos aïeux nous transmettent une part de leurs songes, de leurs désirs, de leurs forces. Résilience des hommes et de la ville, car écrit l' auteur " à Brest tout va à la mer, tout glisse vers la mer."

Quelques réserves

Aucune réserve. Au fil du récit la poésie des lieux nous enveloppe et les vers de Prévert affleurent :
"Rappelle-toi Barbara 
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là 
Et tu marchais souriante 
Épanouie ravie ruisselante 
Sous la pluie 
Rappelle- toi Barbara "

Encore un mot...

Brest et Saint Malo : deux villes portuaires aux destins si proches. Mais la cité corsaire a eu de la chance, le privilège d'être "gouvernée " par un maire exceptionnel : Guy La Chambre, qui a reconstruit sa ville à l' identique. Contre les partisans du slogan: " du passé faisons table rase."

Une phrase

“ Je me revois soudain, ces années lointaines, gagner Brest en contemplant avec émotion la rivière, les prairies marines, les petits manoirs qui la bordent, un tout particulièrement, les vasières et les grèves, l'étang de Kerhuon si cher au cœur de mon père, tous ces moments aquatiques et boisés qui préludent à l'apparition du fond de la rade et du port.” ( page 367)

L'auteur

Philippe Le Guillou est romancier et essayiste. Il est lauréat du prix Médicis 1997 pour Les Sept Noms du peintre (Gallimard). Auteur également de Le Testament Breton (Gallimard, 2022), il considère Brest comme sa seconde ville natale. Professeur de lettres, il a enseigné à Brest et à Rennes avant d' être nommé inspecteur pédagogique à l'académie de Versailles. 

Commentaires

Marie-Laure Cr…
mer 01/05/2024 - 17:43

Brestoise bien que n'y étant pas née, cette lecture m'a fait voyager au cœur de ma ville qui m'est apparue à la fois familière et fidèle, mais aussi mystérieuse et extraordinairement exotique tant les caractéristiques, précisions et détails en révèlent mille et une vies. Par leur ancrage dans les mémoires, les tourments de l'histoire brestoise rendent encore plus visibles et solides les bâtiments tombés et dévastés, se dressant tels des colosses érigés en forteresses de souvenirs. Les décors aujourd'hui effacés renforcent l'intensité des épisodes de vie qui s'y sont déroulés au fil des dernières décennies, créant une présence mémorielle forte en reliant entre elles les histoires partagées. Un itinéraire riche et insoupçonné.

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