Berlin Pour Elles
Parution en juin 2024
203 pages
19, 50 €
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Thème
Il est partout. Dans les têtes et dans les corps. Imposant, immuable, sinistre et vénéneux : le Mur, die Mauer. Le Mur de Berlin déchire l' espace urbain, se faufile entre les terrains vagues, zèbre de traits noirs la rivière de la Spree et fracasse les rêves des êtres humains. C' est un peu comme s' il avait toujours été là, pensent les deux jeunes héroïnes de ce roman, nées en 1961, année de la construction du mur, dans l' ex-RDA, la République Démocratique Allemande.
Hannah et Judith, Judith et Hannah, deux cœurs qui battent la chamade, car il arrive parfois que les amitiés de l' enfance brûlent tout au long de la vie. Benjamin de Laforcade suit ses personnages à différents moments de leur parcours: enfance en 1967, adolescence en 1975, âge adulte en 1988. Hannah est la fille de Rita, mère célibataire, écrasée par le labeur, rongée par les poussières du bassin minier de Lusace. Judith est l' aînée d' un couple dont le père Peter Moehn figure parmi les cadres zélés de la Stasi, la police secrète. Famille conventionnelle d' un côté, qui croit à l' utopie du paradis socialiste, famille mono parentale de l' autre, mise à l' index, suspecte d' esprit critique envers le régime.
Éperdument attachées les deux jeunes filles veulent se retrouver, mais Peter Moehn le leur interdit. Un récit oppressant où toutes sortes d' individus se coltinent la novlangue du discours officiel : un clown alcoolique et inquiétant qui vomit le régime, un pasteur séditieux dont le fils Karl deviendra un voyou, spécialiste du marché noir.
Soudain la grande Histoire se met en marche : les critiques acerbes s' expriment à voix haute, la peur change de camp, déjà le régime vacille. Dans les manifestations, le slogan officiel " nous sommes le peuple " a été balayé par une aspiration irrésistible : " nous sommes un peuple."
Chute du Mur : Que vont faire nos héroïnes ?
Points forts
Une histoire d' amitié où la part de l' enfance, ses jeux de rôles, ses fous rires, ses peurs archaïques, illumine la grisaille des jours. A six ans, les rêves d' une petite fille dessinent déjà un espace de liberté que l'adulte, plus tard, s' empressera de refermer.
Une documentation historique solide, qui permet de révéler certaines pratiques de la Stasi: se rendre régulièrement en cachette dans l' appartement d' un suspect, déplacer des objets sur les lieux, les poser dans des endroits incongrus et distiller le poison de la folie ou de la persécution dans l' esprit de la personne visée par le régime.
Quelques réserves
Aucune. Un récit maîtrisé qui vous emporte. Avec une interrogation vertigineuse : comment habiter un pays qui a disparu?
Encore un mot...
Loin des images convenues, Benjamin de Laforcade nous montre des citoyens est-allemands qui veulent rester chez eux, dans leur pays. Réformer le système, plutôt que le combattre. Dans un autre pays du Pacte de Varsovie, cette tentative connue sous le nom de Printemps de Prague avait été étouffée par les chars soviétiques..
Une phrase
“ Elles n' ont peur de rien. Ni les craquements, ni les racines au sol, le cri du hibou et le feulement du vent, la lune au-dessus des arbres, sa clarté, les pierres en forme de bête et les fourrés grouillant de vie, tous les secrets de la forêt qu' elles traversent en courant. Elles n' ont peur de rien et elles ont gagné. Elles sont libres, et Judith est vengée.” ( page 114)
L'auteur
Benjamin de Laforcade a travaillé dans l' hôtellerie, “un poste d' observation privilégié" dit- il. Il vit et travaille à Berlin depuis 2017. Il est l' auteur d' un premier roman paru en 2022 dans la collection Blanche de Gallimard, Rouge nu.
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