Le Polonais
Traduit de l’anglais par Sabine Porte
Parution le 13 septembre 2024
168 pages
18 €
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Thème
Un concours de circonstances amène Beatriz, quinqua barcelonaise élégante, mariée et plutôt discrète, à assurer l’accueil du Polonais, pianiste septuagénaire, interprète renommé de Chopin. Plutôt embarrassée par cette mission et peu impressionnée par le musicien, Beatriz se laisse pourtant courtiser, allant jusqu’à l’inviter dans sa résidence de Majorque où ils seront seuls et deviendront amants. Mais la lassitude et le dégoût lui font vite chasser le Polonais. De son côté, celui-ci va continuer d’entretenir son rêve de passion. Rêve ultime et fatal.
Points forts
L’intérêt principal ne réside pas dans l’histoire. L’intrigue est ténue, et le sujet – le tout dernier amour d’un vieil homme pour une femme qui ne l’aime pas – n’est pas original. En fait, au-delà de cet amour à sens unique vu par les yeux de Beatriz qui en dicte les règles, c’est le refus du romantisme et de la psychologie inscrit au cœur de l’écriture qui retient l’attention. L’âpreté du style, le regard souvent cruel et ironique porté par la femme sur cet amant qu’elle compare à un cadavre construisent un mystère déroutant : pourquoi Beatriz encourage-t-elle cette relation ? Quelle contradiction l’habite-t-elle – et fait du même coup avancer l’histoire ?
Car il y a une jubilation intellectuelle certaine à voir ce livre se fabriquer sous nos yeux de lecteurs, comme si nous n’en possédions pas la version définitive. Les personnages sont à peine définis. Peu de détails. Des esquisses. La structure se rend visible grâce au découpage de ces 168 pages en paragraphes numérotés. Ce sont les questions du personnage féminin qui font progresser le texte sans que ces interrogations trouvent pour autant des réponses : « Est-ce qu’elle l’aime bien ? » se demande Beatriz ; « Est-il assez grand, assez remarquable pour qu’on lui consacre toute sa vie ? » ; « Qu’est-ce qui lui déplaît chez lui ? » ; « Que voit-elle dans le cas du Polonais ? » ; « Pourquoi elle ? ». Ce quelque chose qui flotte est un des grands charmes de ce livre bref et austère.
Quelques réserves
En termes de romanesque c’est assez décevant. Un livre brillant mais dont le projet profond n’est sans doute pas de « raconter »
Encore un mot...
On est forcément un peu perplexe devant ce livre très différent des grands romans de Coetzee. Tout en restant fidèle à son style économe, et à son art de proposer plusieurs niveaux de lecture, l’auteur faisait avec maestria la démonstration de l’impossibilité de dépasser les violences et les oppositions historiques en Afrique du Sud dans le magnifique Disgrâce. Il transportait avec puissance son lecteur dans l’univers fantasmagorique de l’envoûtant En attendant les Barbares, allégorie du ségrégationnisme. Cette fois, avec Le Polonais, il paraît s’intéresser davantage à la fabrique du récit et au langage proprement dit, à ses limites et ses impasses ; ainsi, tout ce que veut Beatriz, « c’est la réponse à cette question : le ton des poèmes est-il positif ou négatif, élogieux ou accusateur ? » Elle se demande « quelle histoire elle va se raconter », suppose que son amant éconduit est en train d’en « échafauder » une autre. Par moments, on croit entendre la voix de Duras : « Ce qu’elle ne dit pas, c’est : Pourquoi voudrais-je entrer dans l’histoire ? Qu’est-ce que j’en ai à faire, de l’histoire ? »
Une phrase
« Vous n’êtes pas un grand poète. Votre amour pour moi n’intéressera personne et – tout bien réfléchi – j’en suis heureuse, heureuse et soulagée. Je n’ai jamais voulu que l’on écrive sur moi, ni vous ni personne. »
L'auteur
Né le 9 février 1940 au Cap, en Afrique du Sud, J.M.Coetzee grandit sous le régime de l’apartheid, expérience qui a contribué à faire de l’aliénation, de l’injustice, de la violence et du pessimisme ses thèmes d’exploration littéraire principaux. Esprit polyvalent, il suit d’abord un cursus de mathématique au Cap avant de partir pour Londres en 1960 étudier la linguistique et l’informatique, et d’obtenir une bourse d’études en littérature anglaise à l’Université d’Austin (E.U) où il soutient une thèse de doctorat sur Samuel Beckett en 1969. Professeur à Buffalo jusqu’en 1971, il paie son engagement contre la guerre du Vietnam par de la prison et doit rentrer poursuivre son enseignement au Cap. C’est en 1974 qu’il écrit son premier roman et prend le virage qui fera de lui un écrivain connu et traduit dans le monde entier. Plébiscité deux fois par le Booker Prize pour Michael K, sa vie, son temps (également Prix Femina étranger en France) et Disgrâce, il sera couronné par le Nobel de Littérature en 2003.
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