Les Traqueurs

Sur les traces d’Eve la rebelle dans le Far West à l’époque de la Grande Dépression

Charles Frazier

Plon
Traduction de Marie Hermet
Parution le 29 août 2024
352 pages
22,90 euros

Notre recommandation

4/5

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Thème

1937 : la Grande Dépression n’en finit pas. Val, un peintre sans fortune, sans parents ni fiancée, est chargé dans le cadre d’un projet artistique du New Deal de l’exécution d’une fresque dans le bureau de poste de Dawes, une petite ville du Wyoming. Il est hébergé non loin de là, dans un ranch, chez John Long. John représente l’aristocratie des éleveurs. La crise économique l’a épargné. Il est cultivé et progressiste. Il vise un poste de gouverneur. Pour ses ambitions politiques, il compte sur son épouse Eve, une jeune femme au passé mystérieux qui a longtemps erré dans l’Amérique misérable, dernièrement comme cow-girl chanteuse. Un jour, Eve quitte le ranch en emportant un petit tableau de Renoir. A la demande de John, Val se lance à sa poursuite. Son périple l’amènera des camps de miséreux de Seattle, à la campagne de Tampa en Floride et jusque dans les cabarets de San Francisco. Un roadtrip fait de rencontres improbables.

Points forts

Frazier est un conteur efficace et un dialoguiste de talent, comme l’avait déjà démontré son excellent Treize lunes paru en 2008. Le récit met en scène peu de personnages. L’auteur a tout loisir pour leur donner chair et vie à tous. Ainsi, le lecteur reporte toute son attention sur la conduite narrative.
Le lecteur est ici immergé dans l’Amérique de la Grande Dépression et son cortège d’extrême misère sociale avec ses milliers de jeunes gens qui errent sur les routes à la recherche de pain ou d’un engagement précaire dans les vergers. L’approche journalistique de Frazier rend ainsi la description du camp de Hooverville à Seattle, saisissante de réalisme. On retrouve les thèmes et images de Steinbeck et ses Raisins de la Colère. Le récit rappelle aussi les ambiances des films noirs avec leurs cortèges de gangsters et d’alcooliques violents, de policiers corrompus, d’industriels avides et de politiciens sans scrupule.
Dans cette noirceur à laquelle John Long n’échappe pas, les personnages de Val et d’Eve sont presque lumineux. Val est bienveillant et honnête. Il prend son rôle de peintre public très au sérieux. Admirateur du peintre mexicain Rivera, il est dubitatif sur le modèle capitaliste américain. Eve est, elle, une jeune femme forte et libre. Elle a mené une vie de troubadour et de rencontres improbables dans cette Amérique si âpre.
Frazier dessine des parallèles évidents entre l’Amérique de Roosevelt et celle de Trump : racisme profond (ici contre les Cubains en Floride), toute-puissance et impunité de la police, addictions, révérence religieuse pour les armes, modèle politique capitaliste qui repose sur la “dictature de dirigeants interchangeables”.

Quelques réserves

Rien ne vient gâter le plaisir de suivre ces traqueurs.

Encore un mot...

Le récit de la traque d’une femme libre et mystérieuse dans l’Amérique de la Grande Dépression qui n’est pas sans rappeler l’Amérique actuelle.

Une phrase

« Ils avaient l’air de ce qu’ils étaient : l’aristocratie locale des éleveurs…Pourtant par ignorance et par malveillance, j’ai chuchoté tout bas : “ Voilà John Wayne, le cow-boy d’opérette, et sa jeune amie cow-girl qui viennent acheter un carnet de timbres”. »(p.47)
« Aujourd’hui, je me rends compte que l’élément manquant, et il est enfoui très loin, c’était la violence de l’Ouest. Pas tant la géographie physique que la violence inhérente au concept de l’Ouest, la rapacité politique, culturelle et religieuse qui fait couler le sang sur la beauté fraîche. » (p.343)