Aziyadé
Ici, éditions Calmann Lévy, 1938.
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Thème
Se perdre avec Loti dans les charmes de Constantinople.
Dans le cadre du déploiement en Méditerranée des flottes européennes pour le remodelage de l'Empire ottoman, le héros de ce roman débarque à Salonique (Thessalonique en Grèce) en mai 1876. Sa curiosité le pousse à la porte d'un harem où il croise le regard de la belle circassienne Aziyadé. Curieux puis séduit, il décide de la revoir. Avec l'aide de deux compagnons de fortune et à l'occasion d'une escale à Constantinople (de nos jours Istanbul, "Stamboul" dans la langue de Loti), il retrouve Aziyadé et s'installe avec elle - lors de leurs moments de liberté - dans une petite maison du quartier d'Eyoub (devenu Eyüp) où il vit comme un Turc. Le roman raconte les attentes, l'amour qui grandit de jours en jours, les doutes, la vie rythmée par les prières des muezzins, les saisons, les bateliers, les errances aussi de Loti. Ces amours ardentes, qui brûlent à contre-culture, sont évoquées en très courts chapitres, très descriptifs. Et se terminent comme une tragédie grecque.
Points forts
1. Aziyadé se présente comme un journal intime, écrit et raconté par le personnage principal, Loti, qui se met en scène comme un officier de marine anglais, à un moment où il n'a pas de nom de plume, et où personne ne le connaît comme écrivain. Il confie ses impressions, ses questionnements, ses sentiments, sa découverte de la "Sublime Porte". Roman aussi autobiographique que documentaire, ses amis l'ont poussé à l'écrire à partir des pages de son propre journal ; il s'inspire très largement de sa relation réelle et passionnée avec une jeune turque - Hatice - vécue en 1877 !
2. Le talent de Loti pour décrire les lieux, les ambiances, les odeurs et les couleurs qui a peu d'équivalent dans la littérature de son époque. Loti reste un modèle du genre pour sa capacité à nous attacher à ses pas et à vivre ses passions à travers ses yeux et sa plume.
3. Ce roman introduit le goût européen pour l'orientalisme dont Loti sera un fervent ambassadeur. Les charmes et les mystères de l'Empire ottoman sont certes décrits avec une sensibilité d'Européen mais, aussi, avec un œil qui sait en montrer la grandeur et la simplicité, l'identité propre et la tolérance - à une époque où les intégrismes religieux n'ont pas encore fractionné les pays musulmans.
Quelques réserves
1. Il ne faut pas le cacher, Louis Marie Julien Viaud a un ego assez démesuré ! Il se met complaisamment en scène avec le nom de Loti, utilisé pour la première fois dans ce roman, comme souvenir du surnom que lui avait donné une reine de Tahiti rencontrée quelques années plus tôt. Sous les traits d'un homme curieux de l'Orient, il se montre fort de sa supériorité "occidentale", condescendant parfois, et capable d'un amour sincère mais égoïste et mortifère.
2. Régulièrement interrompue par des échanges épistolaires - avec sa sœur qui incarne l'ancrage affectif et européen et un ami officier qui incarne la raison- la forme littéraire, proche du monologue, pourra dérouter le lecteur. Personnellement, je n'ai définitivement adopté ce rythme très particulier qu'à mi-parcours !
Encore un mot...
Aziyadé est un beau roman qui invite à découvrir la vie intime d'Istanbul à la fin du XIXème siècle. Il raconte une passion dans laquelle l'homme est le maître et la femme un peu "l'esclave" et il propose un regard nouveau pour l'époque sur l’Orient, ses splendeurs cachées et ses mystères.
L'histoire nous rappelle 2 oeuvres qui évoquent la vie des marins européens à cette époque : d’une part, par sa chronologie, Madame Chrysanthème qui raconte le mariage arrangé par les autorités nippones de Loti avec une jeune japonaise en 1885, et, d’autre part, par son dénouement, l'opéra de Puccini, Madame Butterfly.
Mais aussi, il y a chez Loti un sens des mots et du phrasé, un parti pris de l'exotisme qui le rapprochent de Louis Ferdinand Céline ; ce n'est pas le moindre des intérêts de se replonger dans ce roman si emblématique de l'œuvre et de la personnalité de Pierre Loti.
Écrite par Rodolphe de Saint Hilaire, ne manquez pas de lire sur le site, la chronique du
Fantôme d’Azyiadé, pièce mise en scène au théâtre Le Lucernaire à Paris, entre janvier et
mars 2020.
Une phrase
Et quand le rêve impossible fut accompli, quand elle fut là, dans cette chambre préparée pour elle, seule avec moi, derrière deux portes garnies de fer, je ne sus que me laisser tomber près d'elle, embrassant ses genoux. Je sentis que je l'avais follement désirée : j'étais comme anéanti. […]
Partir le matin d'Atmeïdan pour aboutir la nuit à Eyoub ; faire, un chapelet à la main, la tournée des mosquées ; s'arrêter à tous les cafedjis, aux turbés, aux mausolées, aux bains et sur les places ; boire le café de Turquie dans de microscopiques tasses bleues à pieds de cuivre ; s'asseoir au soleil et s'étourdir doucement à la fumée du narghilé ; causer avec les derviches ou les passants ; être soi même une partie de ce tableau plein de mouvement et de lumière ; être libre, insouciant et inconnu ; et penser qu'au logis la bien-aimée vous attendra le soir. […]
J'aime ce pays et tous ces détails me charment ; Je l'aime parce que c'est le sien et qu'elle a tout animé de sa présence, - elle qui est encore là tout près, et que cependant je ne verrai plus. […]
L'auteur
A la charnière des XIX° et XX° siècles, Pierre Loti (de son vrai nom Louis Marie Julien Viaud, 1850-1923) est une des plus grandes figures de la littérature française. Son œuvre est largement inspirée de ses voyages, effectués à travers le monde comme officier de marine. Ce bref résumé renvoie à des sources plus complètes, mais voici quelques uns de ses chefs d'œuvres : Aziyadé (son premier roman), Pêcheurs d'Islande, Le mariage de Loti (en Polynésie), Madame Chrysanthème (au Japon), Ramuntcho (au Pays Basque). Pierre Loti était aussi un amoureux du patrimoine, très marqué par l'Orient. Sa maison à Rochefort est devenue un musée, actuellement en cours de restauration.
En 2007, Aziyadé a fait l'objet d'une adaptation fidèle en roman graphique, réalisée par Franck Bourgeron aux éditions Futuropolis.
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