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Thème
Le fil conducteur du roman est le combat intérieur qui anime Augustin, héros du livre, déchiré entre ses aspirations à la foi de ses ancêtres et la critique des idées religieuses auxquelles le portent ses études et son esprit d'indépendance intellectuelle. C'est le débat, toujours actuel, entre foi et raison, ici vécu entre la fin du XIXè et les années trente du XXè siècle.
Mais << Augustin ou le maître est là >> est plus que cela. C'est aussi un beau roman d'éducation, le portrait d'une époque, le portrait d'une société et d'une province en mutation, le portrait d'un Paris estudiantin, très proche de celui que décrira avec bonheur Jules Romains.
Points forts
1 - Une forte caractérisation psychologique des personnages, qui donne une palette d'humanité riche et complexe.
2 - Une tendresse pour ces mêmes personnages qui élabore, par le biais de leurs défauts ou qualités et de leurs croisements, un aperçu sociologiquement varié et sans parti-pris.
3 - Une sensibilité extrême à l'empreinte de l'homme sur son environnement, en même temps qu'un art raffiné de l'évocation de la nature, de ses couleurs, de ses parfums, de son empreinte en retour sur l'homme.
4 - Au point de vue de la langue française, il y a dans ce texte une surprenante richesse d'expression, de vocabulaire, une capacité de néologisme qui, l'effet de surprise passé, établit de manière caractéristique les capacités de création littéraire de Joseph Malègue.
Quelques réserves
Si le projet de Malègue fut, par son art imagé, sensible et grave, de faire suivre à ses lecteurs le chemin d'Augustin vers la foi, le but est manqué. Le dénouement en ce sens arrive si brutalement qu'il aurait fallu plus de subtilité et d'arguments fondés pour nous faire admettre sans sourciller cette conversion soudaine, presque trop "belle" pour être vraisemblable.
Malgré tous ses beaux artifices et sa science de la composition, ce dénouement manque sa cible. Peut-être Joseph Malègue était-il trop convaincu lui-même pour bien se mettre à la place de lecteurs bienveillants mais éventuellement rétifs.
Encore un mot...
Les lecteurs du XXIè siècle seront-t-ils indifférents à ces tiraillements intimes, à ces intermittences d'une âme qui cherche son chemin spirituel entre doutes avérés et certitudes fuyantes?
De mon point de vue, certes l'histoire bégaie parfois mais il me semble pourtant que l'attrait et l'expérience de l'absolu, qu'ils soient religieux ou non, touchent encore le coeur de bien des hommes. Un long moment de grâce.
L'auteur
Joseph Malègue, 1876-1940, écrivain catholique, doit cette réédition de son roman à la notoriété soudaine que lui a donné le pape François, révélant son nom comme étant celui de son auteur français préféré. L'oeuvre de Malègue n'est pas nombreuse: deux romans, dont un posthume, quelques nouvelles et des essais. Néanmoins, ce texte dense et long montre une oeuvre mûrie, bien construite, travaillée avec un grand soin de la forme et du style; une oeuvre déterminée selon des critères que l'auteur adopte comme thèse, sans pour autant faire de son livre un ouvrage de propagande. On peut dire que sa notoriété, fulgurante à l'époque de la parution (il reçut le prix de Littérature Spiritualiste le 18 Juin 1933, et aurait échappé de peu au prix Fémina), retomba vite à la discrétion, qui était sans doute le fonds de son caractère. Sa mort prématurée, en 1940, stoppa net sa célébrité; l'époque troublée de la guerre achevant de faire tomber son nom dans l'oubli.
Cette réédition, pour ainsi dire inespérée, est l'occasion d'une belle découverte, et de retrouver avec plaisir le goût d'une littérature parente des "Hommes de bonne volonté", de Jules Romains, ou des "Thibault", de Roger Martin du Gard; ses qualités propres n'ont rien à envier à celles de ses pairs.
Commentaires
Le dénouement n'arrive pas brusquement. Il s'agit d'un coup de théâtre mais qui, chez Proust comme chez Malègue est annoncé par mille signes avant-coureurs. Ici, ce sont : l'article sur les paralogismes de la critique biblique dans lequel Augustin rompt d'un point de vue logique avec le modernisme dans la mesure où celui-ci qui se veut sans a priori, en nourrit un contre des témoignages de foi en des réalités comme la résurrection (celle-ci n'étant pas historique, mais le fait que des êtres portés à l'incrédulité sur ces choses ont fini par y croire peut-être aussi malaisément qu'Augustin est historique). Cette prise de position est celle d'un logicien abstrait d'ailleurs persuadé que cette question du "je" du Christ est fondamentale (voir sa discussion avec Herzog à l'appartement de ses parents peu avant la soirée musicale aux Sablons).
Abstraitement ou logiquement persuadé de cette importance du "je" et de son ouverture à lui, Augustin raidi dans sa posture d'intellectuel ne parvient pas à faire passer la nécessité de cette ouverture dans sa vie réelle comme on le voit avec sa difficulté de se déclarer à Anne de Préfailles où il a besoin d'une chiquenaude qui s'avèrera certes stérile mais qui ne l'aurait pas été si sa santé s'était maintenue.
Dans sa discussion avec Largilier, il lui tend en quelque sorte la perche lorsqu'il lui avoue en quelque mesure qu'il a besoin de cette chiquenaude. Et après qu'il ait renoué avec sa foi, il lui semble nécessaire de revenir sur la valeur intellectuelle de son geste quand il écrit un autre article au titre mystérieux "De deux devancements pratiques de la certitude". Je crois qu'il s'agit du pragmatisme bergsonien.
L’article d’Augustin écrit à la veille de sa mort, relève de ce pragmatisme philosophique qui n’offense pas nécessairement la conception classique de la vérité comme adéquation, du discours au réel. Pour le montrer, Bergson (sa pensée est sous-jacente à toute la scène), évoque l’initiative pratique dans l’invention scientifique qui ne se concrétise que parce qu’elle est conforme à la loi des choses. L’initiative pratique dans le domaine des relations entre personnes ne se situe pas dans le domaine scientifique mais, de manière analogique, ne se concrétise que parce que la communication entre elles est aussi une loi du réel. Léon Emery a dit, non sans finesse, qu’Augustin avait été agnostique d’une réponse positive d’Anne à son amour. On a vu que, là aussi, la « chiquenaude » est venue du dehors. Ce qui manque dans la relation entre Augustin et Anne, c’est un geste qui « dit » la relation et en même temps la « fait » et qui « prouve » sa vérité. Après le message d’Herzog dans la voiture qui le reconduit à l’appartement familial lors de sa dernière visite aux Sablons, Augustin —cela s’explique par les circonstances, certes—ne se retrouvera plus en présence d’Anne que lors du formalisme des condoléances au sortir du cimetière, quinze jours après les jours et les nuits de l’Office des morts passés à veiller les deux moribonds.
Il ratera une autre occasion de lui parler puisque durant l'Office des morts, elle est venue lui rendre visite alors qu'il n'était pas là. Mais Christine lui transmet le message de la jeune femme et le presse d'aller aux Sablons, mais 'en abstient.
A mon sens, tous ces éléments (il y en a bien d'autres comme, sur un plan plus intellectuel la pensée de Blondel enfouie dans l'intrigue que Geneviève Mosseray a décelée avec perspicacité. voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Blondel_(philosophe).
Notez que je ne sais pas si je vous convaincrai sauf peut-être de ceci : le fait que nous nous opposions sur ceci n'est que la prolongation d'infinies controverses sur cette question qui (on dit à tort que Malègue a été oublié), a été souvent traitée au point que l'on pourrait se dire que ce qu'il y a de grand chez Malègue, c'est le fait qu'il entretienne de tels débats.
Amicalement,
José Fontaine
Simplement pour dire que je viens de publier une monographie qui renouvelle l'approche de Malègue, la dernière étant de 1987 et étant limitée au rapport de Bergson à Malègue (que je traite également )
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&is…
Il ne s'agit ici que d'inviter le public possible de ce livre à se le procurer, mes droits d'auteur étant de toute façon égaux à zéro.
Cordialement,
josé Fontaine
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