ARRIÈRE-PAYS
Parution le 29 septembre 2022
336 pages
22 €
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Thème
Au début de la première ère Macron, la France, agitée de soubresauts économiques, va mal. A peine remise des attentats de 2015 et d’autres, la France incomprise s’enfonce dans les manifestations des ronds-points, des émeutes urbaines et la crise des gilets jaunes.
Dans cette atmosphère délétère et sous un climat de déclinisme, Arrière- pays nous offre la vision d’une France déprimée au cœur des Territoires, comme disent les politiques ! Dans l’Aube, au milieu de la Champagne dite pouilleuse, à proximité de ce qui reste de l’abbaye multicentenaire de Clairvaux fondée par Saint Bernard, puis transformée en une prison de triste mémoire, survient une série de faits divers assez dramatiques. Illustrations de l’impuissance des uns, du cynisme de certains et de la perversion de quelques autres, et en tous cas engendrés par la décadence de la société, les faits sont sans appel. Meurtre, viol de pédophile, licenciement, magouilles politiciennes, puis shift life syndrome (maladie du siècle !) et pour finir retour à l’ascèse bénédictine ou départ pour le grand sud marocain, jalonnent ce parcours de la détresse.
Grâce à Dieu, dans cette France d’en bas règne une certaine bienveillance, une solidarité face à la crise, une sorte de prise de conscience de l’urgence à survivre et peut-être de la nécessité de faire le ménage… ou ses valises !
Points forts
Réalisme. L’auteur de La mécanique du chaos, dont Arrière-pays est la suite, possède ce talent du romancier du réalisme, très fort dans la description des faits de société, dressant un tableau contrasté des caractères et des psychologies. Une analyse fine des motivations et comportements politiques, sans complaisance. Le lecteur plonge dans la vie du microcosme d’une petite société de proximité au hasard des cafés, des salles de presse, de réunions politiques dans les préaux : gazetiers d’un quotidien régional en édition locale, un ancien légionnaire marginalisé, une jolie caissière de supermarché, Jean, un médecin de campagne amoureux, Inge, une chercheuse passionnée par la vie de Saint Bernard, un producteur musical et grand tombeur, tel se présente le petit monde de Rondeau à Bar-sur-Aube. Balzacien !
Emotion. Malgré le caractère un peu anecdotique du roman, illustré par les actualités dramatiques du moment, prédation sexuelle, contestation sur les ronds-points, électoralisme, immigration, chômage, on éprouve peu à peu un sentiment d’émotion voire de compassion qui va crescendo car le cœur y bat à fleur de peau. L’Amour caché se révèle peu à peu, les blessures à l’os et à l’âme finissent par se cicatriser, l’amitié des hommes et la foi en Dieu sont à l’œuvre. L’émotion est à son comble lorsque la cristallerie royale fondée par Colbert et orgueil de l’artisanat local vient de fermer ses portes et que l’ « ancien », le surnommé Baïonnette salue le souvenir des copains « disparus au champ d’honneur du travail français ».
Style. Phrases courtes, incisives, sans fioritures, terriblement efficaces. Un style de reporter comme dans son journal justement (Vingt et plus : Journal 1991-2012, Flammarion 2014) sauf que certains passages révèlent, en même temps, un romantisme passionné digne du grand poète allemand cité (voir extrait).
Quelques réserves
On éprouve quelques difficultés à rentrer dans le vif du sujet tant le personnage de l’héroïne, Alicja dite la fouineuse, journaliste brillante et rebelle, courtisée par les hommes d’influence, égarée dans ce milieu de nulle part nous perd en considérations sociales et en rencontres improbables. Elle se fourvoie elle-même parfois dans une enquête sans fin sur le meurtre d’un chauffeur routier polonais.
Encore un mot...
Un livre désespéré mais rempli d’espoir. Comme l’écrivait Bernard de Clairvaux cité en incipit : «Il est un parfum bien supérieur. Je l’appellerai le parfum de la bonté, parce qu’il se compose des misères des pauvres, des angoisses des opprimés, des tristesses des affligés, des fautes des pécheurs ».
Un roman passionné et nostalgique qui fait la part belle à l’intrigue et à une enquête quasi policière.
Le propos qui résume tout : Rondeau a intitulé son premier livre Chagrin Lorrain (1979, avec François Baudin, au Seuil). D’aucuns appelleront cet Arrière-pays : Un chagrin Français !
Une phrase
« Après le déjeuner, Inge et Jean se promènent longuement dans la campagne. La clarté automnale entoure de mystère cette terre où Jeanne se forma. Enlacés, ils marchent d’un bon pas sur un chemin qui serpente à travers les prairies et les conduit vers la forêt. Jean lui montre une fontaine druidique, puis dans le lointain, les vestiges d’un bâtiment romain. Que disait Friedrich Hölderlin, ce poète dont l’abbé de Cîteaux lui avait rappelé l’existence ? « Le sol et le temps nous commandent. » Jeanne, comme Bernard, ont été façonnés par cette terre puis s’en sont arrachés, avec tous leurs racinements pour aller chercher leur ciel. Elle le dit à Jean, en se serrant contre lui. Toute sainteté est une Ascension. Jamais elle ne s’est sentie aussi proche d’un homme ». (page 199, à mi-parcours !)
L'auteur
Son excellence Daniel Rondeau (diplomate à Malte et à l’Unesco) est un jeune homme de 73 ans qui porte beau l’habit vert de l’Académicien. Auteur d’une trentaine de livres dont certains nous ont plongés, frissonnants, dans les milieux sombres des cités urbaines (voir Mécaniques du chaos, premier tome de la trilogie) ou émerveillés sous le soleil de villes méditerranéennes : Tanger (1997), Alexandrie (1997), Istanbul (2002), Carthage(2008), tous à Edition de poche.
Points remarquables : ami proche de Johnny Halliday (Johnny, 2009, éd. du Nil); expérience personnelle en milieu ouvrier en Lorraine (il en fera un livre l’Enthousiasme, 2006, Grasset); rédacteur en chef culture au journal Libération, couronné par le grand prix de l’Académie Française (Mécaniques du chaos, 2017, Grasset). Le dernier tome de cette trilogie fondée sur l’observation des dérives de la société contemporaine est en cours.
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