2030
paru le 16 septembre 2020
220p.
Infos & réservation
Thème
Projetons-nous en 2030. En dix ans, le monde a terriblement changé et le climat s’est beaucoup dégradé avec les conséquences qu’on imagine. Les laboratoires persistent pourtant dans leurs pratiques cyniques et inondent le marché de pesticides toxiques. Cette fois, il y a un mort et les militants sont déterminés à faire tomber les laboratoires SveOda. Parmi eux, il y a Véra, une quadra qui investit toute sa vie dans la lutte. Greg la rencontre à l’occasion d’une signature en librairie : elle est l’éditrice de « La petite fille aux nattes », celle de 2019 qui est aujourd’hui trentenaire. Parce qu’elle lui plaît, il évite de lui dire que SveOda appartient à son beau-frère et qu’il l’a aidé à trafiquer des documents. Il n’en est pas fier. Ça commence même à le révolter. Toujours parce que Véra lui plaît et qu’il a deux jeunes nièces engagées, il l’écoute et sa vision s’ouvre au point qu’il décide de participer à une action forte et violente. Mais son engagement dicté par l’amour va-t-il résister, face à la liberté de cette femme qui réveille chez lui tout autre chose qu’une conscience écologique...
Points forts
Le livre de Philippe Djian ressemble à la casserole d’eau du physicien Sébastien Balibar dans Climat ( éditions [Manifestes Le Pommier!] ). Prenez une casserole d’eau, mettez-la sur le feu : l’eau s’agite, devient très chaude par endroits mais moins ailleurs, il y a des bulles, elles s’évaporent, il s’en forme d’autres ailleurs, etc. En apparence, c’est le chaos ; mais globalement la température monte. Ca va bouillir. 2030 avance de la même manière. Par bulles. Pas de démonstration ni d’explication, juste des bulles. Mais on sent bien que ça bout depuis le fond et que c’est mal barré. Il faut être un écrivain habile pour avoir la main aussi légère que ça.
A présent, substituez à la casserole une marmite. Dans le bouillon de la famille dysfonctionnelle chère à Djian, jetez des ingrédients actuels : un peu de catastrophisme écologique, un brin de thriller, un soupçon d’attentat, une pincée de sexe, et au point d’ébullition versez le maximum de sentiments paroxystiques. Evidemment, ça va déborder, c’est fait pour. Et bien fait. Il faut une bonne dose de savoir-faire pour réussir la mixture.
Enfin, observez une femme – et là, donnez votre meilleur. Le personnage de Véra est d’une grande justesse dans ses contradictions. Sa force et sa foi dans le militantisme mais sa vulnérabilité de mère qui ne sait plus comment parler à son fils. Sa sensualité assumée de femme mais sa peur de l’attachement. Sa volonté sincère de brider le désir au profit d’une amitié avec Greg et trouver ainsi (pense-t-elle) la seule relation durable avec un homme – tout ce qui fait d’elle une quadra prise dans un monde en transition déstabilisante est très bien vu, humain et touchant. On a frisé le cliché mais on l’a évité.
Quelques réserves
Trop de savoir-faire tue. C’est l’impression qui (me) vient devant ce livre qui trace sa route avec maîtrise, que sert un style sobre et très sûr… et qui verse dans la facilité. L’habileté de Philippe Djian est celle d’un artisan habitué à son outil et auquel sa matière ne réserverait aucune surprise. Et le bouquet garni dans la marmite, même s’il est bien ficelé, ça agace le lecteur auquel on ne la fait pas.
Autre agacement, le point d’ébullition. Roman d’anticipation – légère, certes –, 2030 privilégie in fine la relation amoureuse et son dénouement. Le personnage de Greg prend un peu soudainement une importance considérable (grosse, grosse bulle) mais pas là où on l’attend. Car alors qu’il accède juste à la conscience écologique et qu’on espère une évolution, le personnage se dégonfle comme une baudruche et nous apparaît sans s’annoncer ou presque... en banal jaloux pathologique, lequel se remet à boire et jette sa Porsche dans les airs avec lui dedans parce que, franchement, s’engager pour l’amour d’une femme infidèle (?), ça ne vaut pas le coup. Et voilà le thème programmatique de 2030 relégué derrière une bluette.
On croise d’autres clichés que cette jalousie masculine maladive. Le « Biplace hydrogène qui filait en silence au-dessus des bois », la militante écolo qui goûte l’ivresse de l’encanaillement en s’offrant une virée sur les chapeaux de roues dans une Porsche qui roule à l’essence, était-ce indispensable ?
En revanche, on aimerait voir Aude et Lucie, les nièces de Greg, ces petites héritières de Greta Thunberg, monter au front et nous donner la vision anticipée de ce que seront les jeunes combattants de 2030 dont le confinement du printemps 2020 a suspendu l’élan. Ceux qui rateront peut-être l’école pour sauver le monde. Ces deux personnages sont laissés sur le chemin en cours de récit. Fausse piste. Impasse délibérée. Ou paresse d’écrivain ? On ne sait pas trop.
Encore un mot...
Les inconditionnels de Philippe Djian vont s’y retrouver. Les autres passeront un moment de lecture globalement agréable, avec d’excellents passages tant l’écriture de Djian peut parfois forcer l’admiration. Mais imaginons que Djian ne soit pas Djian, qu’il ne soit pas auréolé comme il l’est, et qu’on le découvre sans « biais », que penserait-on de 2030 ? J’ai des doutes...
Une phrase
"Elle avait branché le lecteur sur batterie et regardait cette fille qui avait écrit un livre – et qui avait pas mal grandi aujourd’hui. A l’époque, elle avait des nattes, déclara-t-il en saisissant un éventail. Mais je la reconnais. […] Lucie portait encore des couches quand l’image de cette gamine avec ses nattes avait fait le tour des écrans de la planète. Ca semblait si loin aujourd’hui. La fille qui voulait sécher l’école pour sauver le monde. Et on ne lui avait pas élevé une statue, on ne l’avait même pas collée sur un timbre".
L'auteur
Né à Paris en 1949, Philippe Djian explose avec 37,2° le matin (éditions Bernard Barrault, 1985), roman qui sera adapté pour l’écran par Jean-Jacques Beineix. Aussitôt présenté comme « l’écrivain de sa génération », fortement marqué par la littérature américaine, il poursuit depuis son travail de romancier avec une trentaine d’ouvrages, et a écrit des chansons avec Stéphane Eicher dont le fameux Déjeuner en paix. Longtemps publié chez Gallimard, il publie pour la première fois chez Flammarion avec 2030 mais reste dans le groupe Madrigall.
Commentaires
Je viens de finir 2030, et je lis la votre critique, je suis littéralement bluffé par la qualité de votre analyse. Tout est dit avec tellement de pertinence, d'intelligence, de finesse ! Encore bravo
Ajouter un commentaire