Triptych

La compagnie belge Peeping Tom brouille les pistes avec un ballet en trompe-l’œil, étrange et déroutant.
Direction artistique : Gabriela Carrizo et Franck Chartier
Composition sonore : Raphaëlle Latini, Ismaël Colombani, Annalena Fröhlich, Louis-Clément Da Costa, Eurudike De Beu
Lumières : Tom Visser
Costumes : Seoljin Kim, Yi-chun Liu, Louis-Clément Da Costa
2h00 avec 1 entracte
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Opéra de Paris Palais Garnier
Place de l’Opéra,
75009
Paris
Du 7 au 11 juin 2023
Puis en tournée européenne

Thème

Triptych est un huis-clos réunissant trois pièces chorégraphiées, The missing door, The lost room et The hidden floor. Tel un décor de cinéma, chaque création installe son propre univers, figurant successivement un salon lugubre, une cabine de bateau chahutée et une salle de restaurant abandonnée à la végétation. Au milieu de ces espaces sans issues, des personnages aux airs des fantoches désarticulés incarnent illusions, angoisses et fantasmes, sous le regard d’un vieil homme portant sur son dos une pile de valises. Errant dans les couloirs dédaléens du temps mémoriel, ce ballet en trois mouvements déploie une chorégraphie d’une théâtralité et d’une physicalité extrêmes, jouant avec humour sur des apparences souvent trompeuses.

Points forts

Pour sa première représentation à l’Opéra Garnier, la compagnie Peeping Tom fait un faux départ – incident technique oblige. Mais ce contretemps aurait presque pu faire partie de la création, tant Triptych multiplie les stratagèmes pour dérouter les spectateurs.

Tout commence avec un grondement sourd et une lumière clignotante, au milieu de la scène plongée dans l’obscurité. Première pièce de la trilogie, The missing door s’ouvre sur un salon glauque, quasi-vide, pourvu de cinq portes murales rigoureusement identiques. Sur une musique d’ambiance grésillante style « années 30 », des personnages archétypaux – de la femme de chambre au couple de bourgeois – viennent jouer le drame de leur existence tourmentée. Un univers oppressant qui n’est pas sans rappeler la danse-théâtre de Pina Bausch, tournée ici en mode film d’horreur. Aucune échappatoire possible dans ce décor en trompe-l’œil : les portes sont des issues sans secours et leur ouverture – délibérée ou inopinée – se répercute en boucles, pauses, ellipses et rembobinages temporels. Prisonniers d’un ballet tragicomique, les personnages se battent contre les éléments – un chiffon fuyant les mains de son domestique, une veste qui refuse de quitter les bras de son propriétaire – et contre eux-mêmes.

Comme sur un plateau de cinéma, le changement de décor se fait à vue et transporte les personnages dans une cabine de bateau spacieuse mais agitée par la tempête. Mêlant sensibilité et violence, la chorégraphie de The lost room pousse la physicalité des performeurs à l’extrême. Entre les pas de deux langoureux, où le désir déchire plus qu’il ne fusionne, et les portés de haut vol, les corps se révèlent dans toute leur force mais aussi leur souplesse, presque liquides. Perméables aux moindres variations sonores, bras et jambes se contorsionnent, sursautent frénétiquement, comme abandonnés à une hyperesthésie fascinante.

Plus encore que The missing door, The lost room exploite les mécanismes de l’étrange avec des illusions d’optique et des tours de passe-passe saisissants. Habillées de persiennes ou de pans de rideaux, les portes de la cabine de bateau n’offrent pas plus d’issues que celles du salon. Pourtant, les personnages ne cessent d’apparaître et de disparaître du plateau, empruntant des passages dérobés ou surgissant furtivement derrière un hublot.  À demi-caché sous un drap ou derrière un autre interprète, ils parviennent même à créer des illusions de corps inhumains, désarticulés voire démembrés. Entre effets de surprise et traits d’esprit, Gabriela Carrizo et Franck Chartier construisent ingénieusement les situations ubuesques de ce trip hallucinatoire porté par des interprètes virtuoses.

Quelques réserves

Troisième temps de ce Triptych, The hidden floor dérive vers une atmosphère toujours plus sombre, au risque de pécher par excès de noirceur. Dans une salle de réception envahie par le végétal, le malaise atteint son paroxysme alors que les personnages se laissent aller au désespoir dans une lente agonie. Certains ne sont bientôt plus que des corps de chair raidie, que l’on balance par-dessus bord. L’énergie et la maîtrise gestuelle des performeurs est intacte, mais l’intrigue a perdu sa densité et son imprévisibilité. En réalité, la compagnie Peeping Tom a décliné Triptych en version courte – sous le titre Diptych – qui ne reprend que les deux premières pièces de la trilogie. La troisième serait-elle celle de trop ? Noyé dans son atmosphère lugubre, The hidden floor, un brin redondant, ne se hisse pas au niveau des précédents tableaux.

Encore un mot...

Seule compagnie invitée par l’Opéra de Paris cette saison, Peeping Tom investit le Palais Garnier avec son univers danse-théâtre étrange et halluciné. Malgré un volet final moins convaincant, Triptych excelle dans l’art du trompe-l’œil, ici chorégraphié avec ingéniosité et intensité.

Une phrase

« Cette création se passe dans un huis clos, avec des personnages traversés d’angoisses, en proie à des conflits intérieurs, qui cherchent la sortie. Ces personnages sont à la dérive, mais une dérive qui est peut-être aussi un moyen de découverte » Gabriela Carrizo (Bachtrack, 2020)

L'auteur

À l’origine de la compagnie de danse et de théâtre Peeping Tom, il y a une danseuse argentine, Gabriela Carrizo, et un danseur français, Franck Chartier. Depuis 1999, ils explorent dans leurs pièces une esthétique du quotidien, où réalisme et matérialité sont poussés à l’extrême. Progressivement, leur travail de collaboration se développe avec d’autres compagnies et théâtres tels que le Nederlands Dans Theater pour The missing Door (2013) et The lost room (2015) ou le Residenztheater de Munich pour The Land (2015).  En 2018, la compagnie a présenté avec le Ballet de l’Opéra de Lyon, en ouverture de la Biennale de la Danse, la création 31 rue de Vandenbranden, une réinterprétation d’une pièce créée en 2009. Peeping Tom a été récompensée par de nombreux prix, dont celui du Meilleur Spectacle de Danse 2005 avec Le Salon, Meilleur spectacle international de danse de 2015 avec A Louer aux Critics Awards à Barcelone, ou encore le Meilleur spectacle international de théâtre au Premis de la Crítica en 2023. Triptych inaugure le premier passage de la compagnie à l’Opéra de Paris.

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