
PEER GYNT
Adaptation et mise en scène : Olivier Py, directeur du théâtre du Chatelet
Directrice musicale et chef d’orchestre : Anu Tali
Infos & réservation
Thème
La pièce écrite en 1867 par Henrik Ibsen sera associée et mise en musique assez vite (1874) et selon les vœux de l’auteur par la création musicale d’un autre norvégien, le jeune Edvard Grieg. C’est à la rare réunion de ces deux œuvres que nous avons la chance, disons le tout de suite, d’assister ici.
Nous sommes au cœur des forêts norvégiennes. Peer Gynt, jeune homme séduisant et inconsistant, balançant entre courage et lâcheté, est un antihéros au fond profondément méprisable, en quête de rêve et à la recherche de son identité. Il affronte au cours d’un voyage initiatique quantité d’obstacles qu’il évite ou surmonte par la ruse, le mensonge ou la fuite.
Au tout début, Peer Gynt lie une amitié amoureuse avec Solveig, jeune fille ravissante et discrète. Au cours d’une fête nuptiale très arrosée dans un village en fête, il séduit la jeune mariée qu’il déshonore. Pour échapper à la vindicte et à une punition inéluctables, il s’enfuit dans les montagnes, et là commence sa fuite en avant.
Il va y rencontrer trois filles des champs, trois vachères, puis le roi des trolls* dont il va séduire la fille. Peer promet à cette « fille en vert » monts et merveilles, richesse et amour, mais il contourne la devise des trolls* murmurée sous la terre - « Ne pense qu’à toi- même » - pour pencher vers un sentiment plus humaniste et proche de la philosophie stoïcienne : « sois toi-même, quoiqu’il en coûte. »
Résultat, il est obligé encore une fois de s’enfuir et d’abandonner la terre promise, inspiré par un curieux personnage, « le Courbe », qui incarne sa (mauvaise) conscience. Après une vie d’errance qui le ramène vers sa mère pour sans doute se faire pardonner sa vie indigne, il recueillera son dernier souffle, à défaut de son pardon. Peer Gynt repartira à l’aventure où, enfin, il recueillera (du moins le croit-il) prospérité et gloire, grâce à un trafic inavouable d’esclaves, et il ira jusqu’à s’autoproclamer « Empereur du monde » ; mais, comme on dit, il ne l’emportera pas au paradis. Rejeté, trahi, abandonné, naufragé et prétendument prophète il perdra tout, sauf la fidélité et l’amour de Solveig qui l’a attendu plus de vingt ans.
Peer Gynt est devenu fou en réalisant qu’il ne deviendra jamais lui-même, mais il s’endort serein, bercé par les chants de Solveig. A quoi bon vivre ?
Les trolls sont des mauvais génies qui hantent les forêts de Scandinavie.
Points forts
La performance extraordinaire de l’interprète de Peer Gynt, à l’exubérance inépuisable. La transmutation d’un petit jeune homme de 18 ou 20 ans en un homme dans la force de l’âge puis dans la peau d’un vieillard épuisé. Un tour de force marathonien de quatre heures. Si son personnage est un demi-héros, Bertrand de Roffignac, lui, est à 200%, un héros sur scène ! Un grand bravo également à l’interprète de Solveig, Raquel Camarinha, toute en grâce et retenue, et aussi à la mère de Peer Gynt, Aase, interprétée par Céline Chéenne, très émouvante même lorsqu’elle est très en colère contre Peer.
La mise en scène au cordeau d’Olivier Py, qui a réussi l’exploit de balancer en parts égales la présence d’une foultitude d’interprètes et d’un orchestre de chambre relégué (sans dommage) au lointain au fond de la scène dirigé à la baguette par une cheffe inspirée.
La mécanique de la mise en scène. Nous avons vu pour la première fois une scène (le mariage) découpée en deux plateaux superposés, sur toute la largeur de la scène. Les invités rient et boivent à l’intérieur d’une maison vue au travers des vitres. Peer rentre par une fenêtre pour retrouver la belle en dessous. On s’échappe par les toits : spectaculaire
La philosophie de Peer Gynt, le message d’Ibsen, bref la morale de la pièce, sont clairement exprimés et perceptibles : à quoi bon consacrer sa vie à la construction de soi, à la mise en avant de ses valeurs et de ses qualités, à quoi bon déployer tant d’énergie pour l’accumulation de biens ou la promotion de son image ? Tout cela est vain, car en fin de compte rien ne restera.
En somme, « rien ne sert de courir » comme disait La Fontaine dans un autre registre. Nos biens et nous-mêmes sont voués à l’oubli, à la mort, à la destruction, sinon à la folie… comme Peer Gynt.
Quelques réserves
- Un excès de théâtralisation dans certaines scènes, un comble pour une pièce écrite initialement pour être lue. Peer Gynt adopte des postures sans équivoque, simulant des amours « de bête » sur un rythme frénétique. « Crasseux et minable » selon sa propre mère, clown et menteur invétéré, soit. Mais érotomane obsédé, c’est trop !
Encore un mot...
Au premier abord, Peer Gynt est une pièce compliquée, mais la vie rêvée du beau parleur est un spectacle en soi, magnifiée par la musique de scène. Les métaphores peuvent être décryptées à chaque instant. Par exemple, lors de la scène de l’oignon, qui, tel un individu, n’a pas de cœur. On s’en aperçoit lorsqu’on a pelé toutes les couches.
Quant à la philosophie, on pourra se référer à Kierkegaard, dont Ibsen est un fidèle lecteur.
Une phrase
« Peer Gynt veut échapper à la normativité, à une société qui l'étouffe, c'est un combat pour son existence, pour sa survie spirituelle. À toute époque et dans toute société, on peut s'identifier à cet étouffement. Il essaie de réenchanter le monde et à un moment, comme le monde ne répond pas, il devient fou. » (Bertrand de Roffignac)
L'auteur
Henrik Ibsen (1828-1906) a monté ce spectacle lyrico-théâtral à Oslo, pour la première fois, en 1876, texte enrichi par 22 morceaux créés par Edvard Grieg (1843-1907). L’œuvre est tirée à la fois d’un conte populaire et d’une réflexion métaphysique issue du philosophe danois Soren Kierkegaard (1813-1855). La pièce a été écrite à Rome en 1867 au cours d’un long exil d’Ibsen. D’abord poète, car pour lui la poésie est un art majeur, Ibsen se consacre au théâtre à partir de 1877, avec des pièces bien construites, abordant des sujets de société comme l’hérédité, la lutte des classes, la condition féminine. Il a ainsi écrit La maison de poupée, Les revenants, Rosmersholm, Hedda Gabler. Le personnage de Peer Gynt s’inspire des traits de caractère de son auteur, fantasque et excessif lui-même.
Edvard Grieg a été directeur de l’orchestre philarmonique d’Oslo. Gloire nationale, il s’impose comme un patriote passionné par la culture populaire
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