Le Lac des cygnes
Musique : Piotr Ilyitch Tchaïkovski
Livret : Vladimir Begichev et Vassili Geltser
Décors : Ezio Frigerio
Costumes : Franca Squarciapino
Infos & réservation
Thème
Tout le monde connaît l’histoire du Lac des cygnes : le prince Siegfried doit se marier mais aucune de ses prétendantes ne gagne son cœur. Plongé dans une rêverie, le jeune homme aperçoit un cygne blanc – en réalité la princesse Odette, victime d’un sortilège infligé par le magicien Rothbart. Siegfried tombe amoureux de la créature immaculée et lui jure un amour éternel, seul remède pour qu’elle retrouve apparence humaine. Furieux, Rothbart envoie alors sa fille Odile, déguisée en cygne noir, pour tromper le prince lors d’un bal donné au palais. Ce dernier, persuadé d’avoir affaire à sa bien-aimée, renouvelle sa promesse mariage, mais à la mauvaise jeune femme. Rothbart jubile : Siegfried s’est parjuré et Odette, trahie, est désormais condamnée à rester cygne pour toujours. Le prince, prenant conscience de son erreur, sombre dans le désespoir et pleure son rêve d’amour brisé.
Points forts
Pourquoi alors voir le Lac des cygnes aujourd’hui ? Rien qu’à l’évocation du titre, on imagine les tutus plateaux blanc immaculé et les bras ondulants des danseuses parfaitement alignées, au son d’un thème musical puissamment dramatique… « Ballet classique » s’il en est dans l’imaginaire commun, il a pourtant connu de nombreuses versions depuis la création de Reisinger en 1877 au Théâtre Bolchoï de Moscou – dont la réception fut aussi tragique que l’histoire d’amour qu’elle met en scène. A l’Opéra de Paris, on danse la chorégraphie créée par Rudolf Noureev en 1984, d’après l’œuvre de Marius Petipa et Lev Ivanov (Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, 1895) sur la partition révisée de Tchaïkovski. C’est donc paradoxalement que l’on considère ce ballet aux multiples réécritures comme l’un des piliers fondamentaux du répertoire du Ballet de l’Opéra.
En réalité, ce que l’on vient voir dans Le Lac des cygnes de Noureev aujourd’hui, c’est moins l’œuvre elle-même que les interprètes qui la font vivre. Le Corps de Ballet, dans l’ensemble harmonieux, participe surtout à la mise en valeur des danseurs solistes qu’on apprécie de retrouver dans un pas de trois au palais et dans les célèbres variations des petits et grands cygnes : le soir de la première, Bianca Scudamore, Hannah O’Neill, Roxane Stojanov ou encore Bleuenn Battistoni se sont distinguées par leur remarquable maîtrise technique et leur interprétation lumineuse. Côté hommes, on retient surtout la performance du Premier Danseur Jérémy-Loup Quer qui investit avec panache le rôle double du précepteur Wolfgang et du magicien Rothbart.
Pour incarner les personnages principaux, la première représentation réunissait les Étoiles Valentine Colasante et Paul Marque. C’est un couple souvent réuni dans les œuvres « du répertoire classique » et l’expérience a montré qu’il fonctionnait très bien. Individuellement, Valentine Colasante investit bien le costume du cygne noir et se montre convaincante en séductrice manipulatrice, quoique son interprétation du cygne blanc manque encore de profondeur sensible. A ses côtés, Paul Marque offre une prestation impeccable, survolant les variations masculines avec précision et élégance, enveloppés dans l’interprétation émouvante d’un prince éperdument amoureux et inconsolable. Cependant, leur duo n’est pas le plus surprenant, si l’on tient compte du contexte tendu autour de la titularisation des danseurs étoilés de ce ballet. On attend surtout de découvrir les couples formés par les Étoiles Dorothée Gilbert et Myriam Ould-Braham, respectivement avec le danseur Sujet Guillaume Diop et le Premier Danseur Marc Moreau, ou encore celui de la Première Danseuse Héloïse Bourdon et du Premier Danseur Pablo Legasa. Les prochaines représentations réservent peut-être des surprises...
Quelques réserves
Pourtant, même avec deux Étoiles sur scène, l’ensemble ne met pas d’étoiles dans les yeux. La version du Lac des cygnes proposée par le Ballet de l’Opéra de Paris manque de relief et d’éclat. Il faut dire que la scénographie et l’accompagnement orchestral ne mettaient pas particulièrement en valeur les danseurs. Trop sage, trop timide peut-être. On en attendait davantage et on reste sur notre faim. Dommage.
Encore un mot...
Avec ses cortèges de plumes blanches, ses danses de caractère et ses amours impossibles, Le Lac des cygnes reste un indémodable du répertoire de l’Opéra de Paris depuis sa recréation par Noureev. Le piège, c’est que cette familiarité presque routinière donne un ballet souvent trop lisse. Mais on n’est jamais à l’abri d’une surprise…
Une phrase
« Le Prince marche au bord de la mer bleue. Et, soudain, sur les eaux limpides, apparaît un cygne blanc.
- Bonjour, mon beau Prince. Pourquoi es-tu sombre comme un jour de pluie ? De quoi t’affliges-tu ?
Le Prince lui répond :
- La tristesse, le souci m’accablent. Les jeunes gens se marient : je le vois, il n’y a que moi qui reste seul.
[…] Le Prince assure qu’il est temps pour lui de se marier et qu’il est prêt, d’une âme passionnée, à aller à pied très loin pour trouver la belle Princesse. Jusqu’à la vingt-septième Terre. Le cygne alors, soupirant, dit :
- Pourquoi si loin ? Sache-le, ton destin est à côté de toi, car la princesse, c’est moi !
Battant des ailes, le cygne s’envole au-dessus des vagues, descend sur la rive, se cache dans les buissons. Se secouant, il se change en une princesse… »
- Alexandre Pouchkine, « La Princesse-cygne », Le Conte du Tsar Saltan, 1830.
L'auteur
Né en 1938, Rudolf Noureev est le benjamin d’une famille d’origine tatare, installée à Oufa. Sa vocation de danseur se fait jour en 1945, après s’être émerveillé, devant un ballet représenté au théâtre municipal. Malgré les résistances paternelles, il débute dans la compagnie du ballet d’Oufa et entre, à 17 ans, à l’Académie Vaganova de Leningrad. Son cursus achevé, il rejoint le Kirov et danse le premier rôle dans plusieurs grands ballets. Mais le prodige est impétueux, rebelle. Lors du passage de la compagnie à Paris en 1961, ses écarts de conduite inquiètent les autorités russes et Noureev obtient in extremis l’asile politique en France.
Dès lors, il se produit dans les plus grands théâtres du monde, bouleversant les spectateurs par son génie artistique et l’excellence de sa technique. Au Royal Ballet de Londres, il forme avec Margot Fonteyn l’un des couples de danseurs les plus talentueux du XXe siècle. De 1983 à 1989, il prend la tête du ballet de l’Opéra de Paris et enrichit son répertoire, en remontant les grandes créations de Marius Petipa (Don Quichotte en 1982, Le Lac des Cygnes en 1984, La Belle au bois dormant en 1989…), et restaure le prestige de l’institution à l’international. Lorsque la maladie l’emporte trois mois après la première, Noureev a profondément remodelé le visage de la danse classique. Flamboyant, fascinant, visionnaire, il continue à vivre aujourd’hui, à travers ses œuvres régulièrement présentées, mais aussi en tant qu’immense source d’inspiration pour les danseurs et chorégraphes du monde entier.
Ajouter un commentaire