La Belle au bois dormant
Musique Piotr Ilitch Tchaïkovski, Juan Cristόbal Saavedra
Costumes Silvia Delagneau
Scénographie Max Glaenzel
Lumière Mathieu Cabanes
Avec les danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon
Durée : 1h30 sans entracte
Infos & réservation
Thème
Créée l’année dernière pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, La Belle au bois dormant du chorégraphe espagnol Marcos Morau prend le contrepied du célèbre ballet de Marius Petipa et Piotr Ilich Tchaïkovski. En tirant le conte de Charles Perrault du côté de l’étrange et de l’horreur, il entraîne les danseuses et danseurs de la compagnie lyonnaise dans une course effrénée qui vire à la psychose, au risque de se laisser prendre au piège de sa propre spirale infernale.
Points forts
Exit le prince charmant, les fées et le bal de noces royales, La Belle au bois dormant de Marcos Morau. Avec cette pièce créée l’année dernière pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, le chorégraphe espagnol prend le contrepied de l’œuvre de Petipa et Tchaïkovski et subvertit l’histoire de la jeune endormie déclinée par Charles Perrault et les frères Grimm. Dans cette version contemporaine, les dix-neuf danseuses et danseurs du corps de ballet sont plongés dans une atmosphère étrange et angoissante, qui tient du film d’horreur plus que du conte de fées.
La scène s’ouvre sur un couloir rouge carmin dont les portes battantes bordées de rideaux n’offrent aux extrémités que des issues sans secours. Au-dessus, un plafonnier écrase l’espace de ses lumières agressives, tour à tour rouges, vertes ou bleues, quand il ne chute brutalement vers le sol. Dans ce décor angoissant, monochrome et claquemuré, où la musique de Tchaïkovski est détraquée par des bourdonnements sourds et des interférences acoustiques, surgissent des silhouettes virginales, toutes de blanc vêtues – du couvre-chef aux jupons bouffants. Agglutinées au centre, elles forment une masse ondulante, aux contours sinueux et contorsionnés, perméable aux moindres pulsations musicales. Les gestes fluides de leurs bras et jambes entremêlés alternent avec des mouvements syncopés et millimétrés, qui s’enchaînent à une cadence haletante. De ce ballet radical ressortent plusieurs pas de deux, de trois et de quatre, qui mettent en valeur les talents de la compagnie contemporaine lyonnaise.
Dans l’atmosphère cauchemardesque dignes des films d’épouvante, les poupées humaines défilent en ligne à pas feutrés, s’éclipsant par la porte de droite pour surgir à nouveau par celle de gauche. Le flot incessant et hypnotique de silhouettes s’intensifie lorsque le mur du fond se soulève et révèle un second couloir agrémenté d’une volée d’escaliers. Au fil des passages, certaines réapparaissent avec des poupons - cajolés avec une tendresse inquiétante - puis le pantin d’une jeune fille en chemise de nuit - la Belle, enfin ? -, jeté du haut des marches. La chorégraphie se transforme alors en manège infernal, où les danseuses et danseurs fuient en jetant derrière eux des regards inquiets, arrachant au passage des pans du décor. Murs et plafond se soulèvent alors tels une cloche pour n’en laisser que l’armature métallique. La scène vire alors à la psychose, où les interprètes poursuivent leur course folle dans le plus simple appareil, poussant des cris d’effrois et des rires sardoniques. Loin des costumes dorés et des étoiles classiques, La Belle au bois dormant de Marcos Morau atteint des sommets d’étrangeté et parvient à susciter quelques rires nerveux parmi les expressions déconcertées.
Quelques réserves
Le risque à démolir les « classiques », c’est d’oublier de reconstruire. Si Marcos Morau dézingue la féérie de Petipa et détraque la partition de Tchaïkovski, son propos manque de cohérence dramaturgique. Alors qu’il transpose brillamment dans son univers chorégraphique étrange certaines phrases de la musique originale - qui jouent déjà sur un ton dissonant - l’artiste espagnol convoque des éléments de mise en scène superflus - un tableau de commandes électriques ou des gerbes de fleurs - qui diluent l’écriture de son propre ballet. Si bien que La Belle au bois dormant de Marcos Morau, dans la radicalité de son geste chorégraphique, se retrouve prise au piège de sa propre course infernale et finit par tourner en rond.
Encore un mot...
Avec son atmosphère étrange et angoissante, La Belle au bois dormant de Marcos Morau fait voler en éclats le mythe figé par Petipa et Tchaïkovski. S’il met en avant le talent des artistes du Ballet de l’Opéra de Lyon, le chorégraphe espagnol mise trop sur le choc esthétique de sa création, à laquelle il manque un supplément d’âme et de cohérence.
Une phrase
« Que se passerait-il si, au lieu d’être par excellence « celle qui s’endort », la princesse était « celle qui ne se réveille pas » ? Si l’on imagine ce renversement de la situation, La Belle au bois dormant devient un puits à révélations sur le rapport entre l’illusion frénétique des éveillés (qui est un autre mode de sommeil), et l’oubli sans nom, sans espoir, sans futur d’un sommeil qui se suffit à lui-même, en-deçà de toute existence », entretien avec Marcos Morau, livret de spectacle de La Belle au bois dormant, Opéra de Lyon.
L'auteur
Marcos Morau naît à Valence (Espagne) en 1982. Directeur de la compagnie La Veronal depuis 2005, il y est également metteur en scène, chorégraphe, créateur de décors et costumes. Formé à la photographie et au théâtre à Barcelone et New York, il a présenté ses créations dans toute l’Europe, de Paris (Théâtre National de Chaillot), à Venise (Biennale de la danse), et dans divers festivals (Avignon, Tanz Im August à Berlin, RomaEuropa, SIDance à Séoul). Invité à créer pour plusieurs compagnies et théâtres, ses pièces explorent un univers à mi-chemin entre les arts scéniques, la performance et la danse. Grâce à son langage chorégraphique puissant, il a reçu le Prix national de danse en Espagne et s’est distingué lors de nombreux concours internationaux.
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