Giselle…

Le célèbre ballet romantique dans une éclatante mise en abyme et en couleurs
Conception et mise en scène : François Gremaud, d’après Théophile Gautier et Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges
Interprétation et chorégraphie : Samantha van Wissen d’après Jean Coralli et Jules Perrot
Musicien et musiciennes (en alternance) Anastasiia Lindeberg, Lorentiù Stoian (violon), Tjasha Gafner, Antonella de Franco (harpe), Héléna Macherel, Irène Poma (flûte), Sara Zazo Romero (saxophone)
Musique : Luca Antignani, d’après Adolphe Adam
Durée : 1h50
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011
Paris
01 43 57 42 14,
Du 5 au 14 janv. à 20h et du 17 au 24 janv. à 21h00, relâche les dimanches et les lundis 9 et 16 janv. En tournée à partir du 26 janvier, en France, en Suisse et au Luxembourg

Thème

Le public n’est pas encore tout à fait installé, mais déjà un quatuor de musiciens, alignés en fond de scène, accorde saxophone, harpe, flûte traversière et violon. Samantha van Wissen est là, sur le plateau presque vide - seule s’y trouve une chaise en bois, côté cour. Dans sa tenue sombre et ample, elle s’apprête à incarner Giselle…, la comédie-ballet contemporaine imaginée avec François Gremaud, qui explore et fait revivre Giselle, ballet romantique présenté pour la première fois en 1841 à l’Académie royale de musique. 

Entre Phèdre ! et Carmen, François Gremaud confie la deuxième pièce de son triptyque à la danseuse Samantha van Wissen, qui vient raconter le contexte, explorer le récit et danser l’histoire de l’héroïne emblématique du ballet romantique. S’appuyant sur le livret de Théophile Gautier et Henri de Saint-Georges, la musique d’Adolphe Adam et la chorégraphie de Jules Perrot et Jean Coralli, Giselle… reprend avec humour et intelligence le destin de la jeune paysanne, brisée par la trahison de son amant Albrecht et condamnée à rejoindre les Wilis, ces fantômes de fiancées « mortes d’avoir trop aimé la danse ».

Points forts

Donner à voir et à entendre un ballet tragique créé il y a près de 200 ans, sans le défigurer, dans une comédie contemporaine enthousiaste et réjouissante. Tel est le défi que s’est lancé François Gremaud pour sa version revue et augmentée de « Giselle », figure mythique de l’imaginaire romantique, déjà maintes fois transposé dans des styles très variés. Mais la mise-en-abyme est ici habilement portée par Samantha van Wissen – dont la carrière s’est construite entre autres avec Rosas, la compagnie d’Anne-Teresa de Keersmaeker. Après avoir retracé, de façon concise mais précise, les grandes lignes de l’histoire du ballet « classique », la comédienne-danseuse se plonge dans l’œuvre de 1841 et la déroule toute entière, dévoilant subtilités et anecdotes sur son histoire, sa musique, ses décors, ses chorégraphies et ses personnages. Un délice pour les balletomanes érudits autant que pour les novices en la matière.

Si elle évoque la virtuosité technique du ballet original, qui a fait la renommée de danseurs comme Mikhaïl Baryshnikov et Natalia Makarova, Samantha van Wissen fait reposer sa performance sur une virtuosité artistique et sensible. Incarnant à elle seule tous les protagonistes, elle décortique avec beaucoup d’humour et d’intelligence les amours contrariées de Giselle et Albrecht, les craintes de Berthe - mère de Giselle - et la fureur vengeresse de Myrtha - reine des Wilis. Au-delà de la psychologie des personnages, c’est la pantomime qui fait l’objet d’un déchiffrage méticuleux, pédagogique et facétieux. Composante essentielle des ballets romantiques, c’est presque une « langue morte » aujourd'hui - qu'on ne rencontre plus que dans les monuments historiques de la danse, parvenant vaguement à la déchiffrer. Mise en voix par une interprète pleine d’imagination, la gestuelle caduque reprend vie au miroir des références populaires et contemporaines. Dialogue complice avec le public autant qu’avec les musiciens, la mise en perspective de l’œuvre originale garde sa légèreté mais aussi sa lucidité, sans céder au piège du grotesque ou du ridicule.

C’est un véritable solo qui s’esquisse en filigrane de la tragédie amoureuse. Le titre choisi par François Gremaud le laissait deviner : « Giselle, avec trois points de suspension », comme un espace de liberté ouvert dans un ballet romantique rigoureusement codifié, où Samantha van Wissen déploie tout son art. Des digressions enflammées en néerlandais aux chorégraphies entre « paraphrase » et improvisation, sa performance déborde d’énergie et de générosité. Il y a donc bien deux Giselle qui tiennent le premier rôle dans ce « méta-ballet ». Et tandis que l’une trouve un nouveau souffle dans sa transparence, l’autre, qui prétend s’effacer, illumine par sa présence.

Quelques réserves

Aucune.

Encore un mot...

Pour son deuxième portrait féminin tragique, François Gremaud a trouvé en Samantha van Wissen une interprète idéale, dont le talent s’exprime dans le dialogue entre univers classique et contemporain. Et si Giselle, le ballet romantique, n’épargne pas à ses personnages un destin funeste, Giselle…, la comédie-ballet contemporaine, triomphe au Théâtre de la Bastille.

Une phrase

« Alors je me présente, je m’appelle Samantha van Wissen, que l’on pourrait traduire du néerlandais comme « Samantha d’effacement » - « Wissen » signifiant « effacer » - ce qui n’est pas inintéressant, étant donné que le fait de s’effacer, nous allons le voir, est une des problématiques du ballet que l’on m’a proposé de visiter avec vous aujourd’hui, je veux parler de Giselle.

Giselle… - qui s’écrit avec trois points de suspension, c’est important – est un ballet contemporain, et plus précisément une comédie-ballet, qui met en scène une façon de comédienne-danseuse qui, prétextant justement parler de ce ballet – un petit peu, si vous voulez, comme je le fais en ce moment – finit par en raconter, de façon plus ou moins engagée, un autre, considéré, celui-ci, comme l’un des chefs-d’œuvre du ballet romantique, je veux parler de Giselle – sans points de suspension cette fois-ci […] ». – Samantha, extrait du livret de Giselle…, de François Gremaud, d’après Théophile Gautier et Henri de Saint-Georges.

L'auteur

Né en 1975 à Berne (Suisse), François Gremaud a étudié à l’École cantonale d’Arts de Lausanne (ECAL). Il suit également une formation de metteur en scène à l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle (INSAS) à Bruxelles. En 2005, il fonde avec Michaël Monney l’association 2b company, avec laquelle il crée plusieurs pièces très diverses, dont Simone, two, three, four (2009), KKQQ (2009), Re (2011) et Phèdre ! (2017). En parallèle, François Gremaud cultive d’autres activités de créations théâtrales et musicales, en France et en Europe. Il est lauréat des Prix suisses du théâtre (2019) et du Grand Prix de la Fondation Vaudoise pour la Culture (2022). 

Née en 1970 à Roermond (Pays-Bas), Samantha van Wissen commence par se former à la Dans Academie de Rotterdam. Elle entre ensuite dans la compagnie Rosas et prend part à de nombreux spectacles : ERTS (1992), Amor constante más allá de la muerte (1994), Verklärte Nacht (1995), Mozart/ Concert Arias - un moto di gioia (1996), Woud (1996), Work/Travail/Arbeid (2015), Così fan tutte (2017), The Six Brandenburg Concertos (2018). Elle danse également dans des spectacles et des films notamment Achterland (1994) et Rosas danst Rosas (1997) et dans les reprises de Mikrokosmos, Achterland, Rosas danst Rosas, Rain et Drumming. Depuis 1997, elle fait partie de la compagnie ZOO/Thomas Hauert et dirige des ateliers pour la compagnie P.A.R.T.S.

Commentaires

L Gourdon
dim 22/01/2023 - 16:43

C'ést à la fois intéressant (on y apprend bien des choses sur le ballet), captivant, drôle et très original. Nous avons là une poignée d'artistes de grand talent et plein d'humilité. Un spectacle qui met en joie!

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