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Thème
Initialement, « Eugène Onéguine » est un roman de Pouchkine. Publié en 1837, il relate la vie tragique d’un dandy oisif et neurasthénique de la campagne pétersbourgeoise, qui non seulement tue son meilleur ami lors d’un duel provoqué par une absurde histoire de jalousie, mais qui, par ennui et cynisme, laisse échapper la femme de sa vie. Quand, des années plus tard, cet homme revenu de tout, finit par se rendre compte de son erreur, il est trop tard…
Quarante ans après sa parution, Tchaïkovski va s’emparer de ce drame d’un amour raté. Sous le prétexte qu’en Russie, il est devenu culte et connu de tous, le compositeur décide de n’en garder que les scènes principales, d’où le sous-titre, « Scènes lyriques », dont il affuble son opéra. Autre liberté qu’il prend avec l’ouvrage initial, il place au cœur de sa transposition, non plus Onéguine, cet homme blasé qui donne son titre au roman, mais la jeune fille que ce dernier délaisse, et qui se prénomme Tatiana.
Points forts
- L’œuvre elle même. En Russie, elle est l’une des plus appréciées des scènes lyriques. Quand on l’écoute, on comprend pourquoi : c’est l’archétype de l’opéra romantique. Elle donne à entendre les pulsions, si dévastatrices, et les tourments, si ravageurs aussi, de l’état amoureux. Parce qu’elle renvoie au tragique des passions non partagées, elle est bouleversante.
- Dans le rôle de Tatiana, la soprano russe Anna Netrebko est époustouflante. Présence d’une sensualité rare, technique, puissance et largeur vocales, timbre capiteux, phrasé de rêve, elle suspend l’auditoire. Le soir de la première, l’ovation qui a suivi son premier air a duré si longtemps que la soprano a du l’interrompre elle-même. La majorité de la salle est venue pour la cantatrice. Elle est à la hauteur de ses attentes, pour ne pas dire, au delà.
- Dans le rôle titre, le baryton suédois Peter Mattéi est à son niveau. Le velours et l’agilité de sa voix ensorcèlent. Son incarnation d’Onéguine, mélange d’arrogance, de froideur et de souffrance aussi, a une séduction folle. Lui aussi met la salle à ses pieds.
- Le reste de la distribution ne dépare pas ce duo d’interprètes.
Mention spéciale à la jeune basse russe Alexander Tsymbalyuk qui campe un aristocratique prince Gremine.
Mention spéciale aussi aux chœurs qui donnent une belle couleur aux sonorités slaves.
Dans la fosse, le chef britannique Edward Gardner laisse se déployer tout le lyrisme de la partition.
Quelques réserves
Certains pourront penser que le décor, très abstrait, juste meublé de quelques chaises et d’un canapé, en forme de boîte déformée, ouverte sur le fond du plateau, bride le romantisme de l’œuvre. Mais d’autres diront qu’au contraire ce dépouillement (souhaité expressément par Tchaïkovski lui-même), laisse toute sa place au lyrisme de la partition et que cette boîte, à la drôle de géométrie, symbolise la claustration des personnages dans l’ennui et les conventions sociales.
Encore un mot...
Dire que cet « Eugène Onéguine » nous offre une grande soirée d’opéra est un euphémisme. Partition, qualité musicale et, surtout, surtout, vocale… On sait qu’on assiste là à un moment rare dans la « carrière » d’un spectateur de lyrique. La dernière scène, celle de l’adieu entre Tatiana ( « la » Netrebko) et Onéguine (Peter Mattei) est un morceau d’anthologie.
Une phrase
« … Si jamais il y a eu musique écrite avec un enthousiasme sincère, avec un amour du sujet et des personnages, c’est bien la musique d’Onéguine. Je me sentais fondre et palpiter d’un bonheur indicible lorsque je l’écrivais. Et si l’auditeur ne perçoit, ne serait-ce qu’une infime part de ce que je ressentais en composant cet opéra, j’en serai satisfait et ne demanderai rien de plus… »
(Piotr Tchaïkovski)
L'auteur
Né le 7 mai1840 dans une petite ville de l’Oural, d’un père ingénieur des Mines et d’une mère d’origine française, Piotr Ilitch Tchaïkovski est l’un des compositeurs russes les plus éclectiques de son temps et aussi la figure dominante du romantisme russe du XIXème siècle.
Tout en menant des études de droit, il commence par suivre des cours de musique à Saint-Pétersbourg où il a notamment comme professeur, le compositeur et pianiste Anton Rubinstein. Il part ensuite étudier à Moscou où il compose ses premières œuvres. En 1877, il épouse une de ses anciennes élèves. Mais ce mariage laisse au bord du suicide ce compositeur torturé par son homosexualité inavouée, parce qu’à l’époque, inavouable.
Après quelques mois difficiles, il se remet, connaît, enfin, la consécration, et partage son temps entre la composition et de nombreux voyages. Il meurt à Saint-Pétersbourg en 1893, officiellement du choléra, mais officieusement d’un suicide consécutif à une affaire de mœurs.
Orchestrateur génial, il composa dans tous les genres musicaux. Il laisse, entre autres, derrière lui , huit symphonies, quatre suites pour orchestres, cinq concertos, trois ballets, une centaine de pièces pour pianos et onze opéras, dont cet « Eugène Onéguine » composé en 1877 et qui fut son préféré.
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