De la maison des morts
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Thème
Tiré de l’ouvrage de Dostoïevsky, Les Carnets de la maison morte, inspiré à l’écrivain par ses quatre années passées dans un bagne de Sibérie, le livret de De la Maison des morts, écrit par Janacek lui même entre 1927 et 1928, est une œuvre à part dans l’histoire du lyrique, puisqu’il est dépourvu d’action proprement dite. Il présente des scènes de la vie quotidienne dans un camp de déportés, depuis l’arrivée du prisonnier politique Alexandre Gorjanchikov (dont on peut penser qu’il représente Dostoïevsky), jusqu’à sa libération.
Pendant une grande partie de l’opéra, les prisonniers se racontent. Ils évoquent leur vie passée, leurs rêves brisés et les forfaits pour lesquels ils ont été emprisonnés. On les voit survivre, englués dans un quotidien fait d’ennui, de disputes, de privations et de violences.
La grande force de ce livret qui se passe dans un bagne précis (celui où Dostoïevky fut emprisonné) à une époque déterminée (la fin du XIX ème) est que Janacek l’a hissé au rang d’œuvre universelle.
Points forts
- Réussir à bâtir une partition musicalement passionnante, formant un tout homogène, à partir de longs récits qui, en plus d’être différents les uns des autres, font ressentir le poids du temps chez ceux qui les racontent… Les avis s’accordent sans aucune exception : De la Maison des morts est un chef d’œuvre, aussi indiscutable qu’inclassable. Authentiquement dramatique, dépouillé de tout artifice expressionniste ou romantique ou autre, il permet en outre de percevoir la nature, si généreuse, de son créateur, sa compassion aussi, pour les damnés de la terre.
- Quand il s’empara de cette œuvre en 2007, pour la mettre en scène, aux côtés de Pierre Boulez qui allait la diriger, Patrice Chéreau n’eut de cesse de la travailler, de la décortiquer, de l’analyser avec un engagement qui laisse encore aujourd’hui, pantois, Stéphane Lissner (qui n’était pas encore le « patron » de l’Opéra de Paris).
La première qui eut lieu au Theater an der Wien laissa le public en état de choc. Littéralement. Ce spectacle concentrait l’horreur, le désespoir, les brutalités et les injustices de toutes les prisons du monde. Et tous ses protagonistes, malgré leur réclusion, étaient rendus à leur identité et leur état d’hommes, des hommes faits de chair, de sang, de désirs et de passion. C’était à la fois charnel et intemporel. Inouï !
Aujourd’hui, Patrice Chéreau n’est plus, mais on s’attendrait presque à le voir réapparaitre au moment des saluts, tant ceux qui ont repris ici, sa mise en scène, la restituent avec une rigueur et une fidélité exemplaires.
- Est-il utile de préciser que, voix et jeu, tous les chanteurs sont exceptionnels? Certains étaient déjà sur le plateau en 2007 à la création de cette mise en scène, notamment, le ténor allemand Eric Stoklossa dans le rôle du pathétique Alieïa, Peter Straka, ténor allemand lui aussi, dans celui du Grand prisonnier, et le baryton suédois Peter Mattei, dans celui de Chichkov . Mais tous les interprètes seraient à citer, pour la sidérante humanité qu’ils donnent à leur personnage de proscrit ou de maton.
- Dans la fosse, Esa-Pekka Salonen fait des merveilles. Il empoigne la partition avec une tension et un lyrisme qui galvanisent les chanteurs et électrisent l’orchestre.
Stéphane Lissner n’a pas fait appel par hasard à ce chef finlandais réclamé par les plus grands orchestres du monde. Il avait dirigé, à Aix en Provence, un mémorable Elektra que Patrice Chéreau, dont il était proche, avait mis en scène.
- Il faudrait dire un mot aussi sur les chœurs, magnifiques, les lumières si subtiles et si savantes de Bertrand Couderc, et des décors, à la fois majestueux, écrasants et mouvants, de celui qui accompagna Chéreau dans presque tous ses spectacles, Richard Peduzzi.
Quelques réserves
Un point faible ? Une petite déception ? Non rien. Au contraire, un sentiment de perfection !
Encore un mot...
Curieusement, cette production mythique de l’ultime opéra de Janacek créée il y a dix ans à Vienne par un tandem, mythique lui aussi, puis reprise depuis sur moultes scènes du monde entier, immortalisée même en DVD par Deutsche Grammophon, n’avait jamais été donnée à l’Opéra de Paris. Grâce à Stéphane Lissner, qui fut en 2007 à l’initiative de cette production, ce qu’il fallait bien considérer comme une « injustice » est enfin réparée.
Chaque représentation se solde évidemment par un triomphe, qui s’adresse bien sûr aux artistes présents, mais aussi à ceux qui sont aujourd’hui disparus, au premier rang desquels l’auteur de l’opéra, Léos Janacek et le créateur de cette mise en scène, Patrice Chéreau. A noter que l’Opéra Garnier propose jusqu’au 3 mars prochain une exposition sur les relations tourmentées que ce metteur en scène et cinéaste hors norme entretint avec le monde lyrique.
Une phrase
« Le livret (de De la Maison des morts) est comme un collage, lorsqu’on lit le roman (Les Carnets de la maison morte de Dostoïevsky), on retrouve tout. Cette technique de collage dans l’élaboration du texte est touchante, mais cela amène des difficultés. Il faut créer un arc, une grande ligne qui n’existe pas complètement. Tous mes efforts vont donc consister à la rendre visible. Si l’on ne fait pas attention, le caractère de collage devient trop manifeste, et du coup, on entend et on voit le collage » ( Patrice Chéreau, metteur en scène).
L'auteur
Né le 3 juillet 1854 en Moravie, Leos Janácek commence par étudier la musique au monastère de Brno. Pour s’initier à l’orgue, il part ensuite à Prague, où il devient l’ami d’Antonin Dvorak. C’est à Leipzig qu’il complète sa formation musicale et instrumentale. Mais c’est finalement à Brno, où il fondera une école d’orgue, puis un conservatoire, qu’il passera l’essentiel de sa vie.
Compositeur de musiques en tous genres (instrumentale, symphonique, chorale, etc...), il se persuade pourtant, progressivement, que l’opéra est la forme dans laquelle il peut le mieux exprimer son amour de la vie et des êtres humains.
En 1887, il compose sa première œuvre lyrique, Sarka. En suivront plusieurs autres, inspirés par des écrivains slaves, dont Katia Kabanova et De la Maison des morts.
Parce qu’il ne compose que sur la langue tchèque, il sera longtemps perçu comme un musicien régional. Quand son Jenufa s’impose à Prague, il a déjà soixante-deux ans.
Quand il meurt à Ostrava le 12 aout 1928 , ce musicien humaniste et novateur laisse derrière lui quelques chefs d’œuvre, dont La Petite Renarde rusée, L’Affaire Makropoulos, Jénufa, et bien sûr, De La Maison des Morts.
Il est reconnu aujourd’hui comme l’un des plus grands compositeurs de toute l’histoire du théâtre lyrique.
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