Casse-Noisette

Après dix ans d’absence, le Casse-Noisette de Noureev revient hanter le Ballet de l’Opéra de Paris, heureusement sauvé par des prises de rôles réjouissantes
Chorégraphie : Rudolf Noureev, d’après Marius Petipa et Lev Ivanov
Musique : Piotr Ilyich Tchaïkovski
Décors et costumes : Nicholas Georgiadis
Avec les Étoiles, les Premières Danseuses, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l’Opéra, et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris
Durée : 2h05 avec 1 entracte
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Opéra Bastille – Opéra national de Paris
Place de la Bastille
75012
Paris
Du 8 décembre 2023 au 1er janvier 2024

Thème

Le Casse-Noisette présenté en 1892 au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg par Marius Petipa s’inspire du conte fantastique d’E.T.A. Hoffmann adapté en français par Alexandre Dumas. Dans cette version, le mystérieux oncle Drosselmeyer offre à la jeune Clara, en guise de cadeau de Noël, un casse-noisette. Au cours de la nuit, celui-ci prend vie dans les rêves de la fillette et se transforme en prince. Ensemble, ils affrontent une armée de rats et font un voyage au pays des gourmandises jusqu’au matin, où Clara se réveille au pied du sapin, tenant son casse-noisette dans les bras. Près d’un siècle plus tard, Rudolf Noureev revisite ce ballet féérique pour le Ballet royal de Suède puis celui de l’Opéra de Paris, lui donnant une interprétation psychanalytique fondée sur mille et un complexes chorégraphiques. Programmé pour la dernière fois lors de la saison 2013-2014, il fait aujourd’hui son retour sur la scène de l’Opéra Bastille, porté par une nouvelle génération de solistes.

Points forts

L’attrait majeur de cette programmation résidait surtout dans la prise de rôle d'Inès McIntosh. À peine nommée Première Danseuse par José Martinez le mois dernier, la voici propulsée dans les pas de Clara, héroïne principale du ballet de Noureev, aux côtés de l’Étoile Paul Marque, de quelques années son aîné. Nommé au titre suprême en 2020, après avoir gravi les échelons de la hiérarchie à vitesse grand V et récolté l’or au prestigieux concours de Varna, il s’était déjà illustré dans de nombreuses productions du répertoire classique et faisait également ses premiers pas dans le rôle principal ce soir. Sur le papier, ils forment un couple idéal. Sur scène, s’ils offrent de belles variations de solistes, leurs premiers pas de deux - redoutables, certes - sont encore un peu fébriles. Qu’à cela ne tienne. Ils restent l’atout charme de cette distribution, dans laquelle on se réjouit également de retrouver l’excellente Roxane Stojanov en « flocon » à la fin de l’acte I puis dans la « danse arabe » au suivant.

Quelques réserves

Mais la programmation du Casse-Noisette de Rudolf Noureev par l’Opéra de Paris interroge à bien des égards. Entre ses décors sombres, ses costumes désuets et son substrat narratif freudien, cette production du milieu des années 1980 semble à des années-lumière du conte de Noël original. Alambiqué et ambigu, l’argument fusionne les rôles du Prince et de Drosselmeyer, qui deviennent les deux facettes d’un même personnage fantasmé par la jeune Clara. Pis, la mise en scène enchaîne les stéréotypes en tous genres. Si l’on a fait un pas en avant en supprimant les yellow faces de la danse dite « chinoise » (ici renommée « les acrobates »), la pantomime porte encore les stigmates d’un exotisme caduque, qui les portraiture en pantins sur ressorts. On peut en dire autant du rituel mystique de la « danse arabe » et de la « danse russes », où les interprètes feignent d’être à moitié ivres. Sans parler des cadeaux distribués dans l’Acte I - chevaux pour les petits garçons, poupées pour les petites filles - qui ne font plus rêver les enfants depuis bien longtemps déjà… 

La palme de la cacophonie chorégraphique revient à la Valse des fleurs, dans laquelle on n’aperçoit pas l’ombre d’un pétale. Malgré leurs efforts, les artistes du corps de ballet n’étaient pas à la hauteur du défi technique imposé par Rudolf Noureev. Plus que les défaillances criantes de synchronisation, ce sont les danseurs eux-mêmes qui manquaient au tableau. Si la chute en première ligne pouvait difficilement passer inaperçu le soir de la première, le danseur privé de partenaire pendant les premières minutes de la valse aura sans doute eu plus de facilité à se fondre dans le cortège de couples en costumes dorés.

Encore un mot...

Inspiré à l’origine d’un conte de Noël, le Casse-Noisette de Rudolf Noureev a tout l’air un cadeau empoisonné, dont les belles prises de rôles d'Inès McIntosh et Paul Marque semblent être le seul antidote. Si les productions de ce ballet ne manquent pas, celle dansée en ce moment à l’Opéra de Paris a le mérite d’inviter à (re)voir celles du Royal Ballet, du Mariinsky ou encore du New York City Ballet, dans des styles très variés mais de grande qualité.

Une phrase

« La plupart des enfants s’appuient sur les souvenirs de leurs parents pour reconstituer les épisodes de leur jeune histoire. Ils peuvent compter sur des récits rassurants. Plus tard, lorsqu’ils se remémorent cette période, ils se réfèrent toujours à un enchaînement logique. […] Moi, ce ne sont pas les images d’une évolution dont j’ai gardé le souvenir, mais plutôt des visions sombres et abruptes », Rudolf Noureev, Autobiographie, Arthaud, 2016.

L'auteur

Né le 17 mars 1938, dans un wagon du Transsibérien, Rudolf Noureev est le benjamin d’une famille d’origine tatare, installée à Oufa. Jusqu’en 1945, rien ne semblait appeler le jeune garçon vers le monde de la danse. Mais après s’être émerveillé, le soir du Nouvel An, devant un ballet représenté au théâtre municipal, rien ni personne ne pouvait plus l’en détourner. Malgré les résistances paternelles, il débute dans la compagnie du ballet d’Oufa et entre, à 17 ans, à l’Académie Vaganova de Leningrad. Au terme de son cursus, il rejoint le Kirov, où il danse le premier rôle dans plusieurs grands ballets. Mais le prodige est impétueux, rebelle.

Lors de son séjour à Paris en 1961, ses écarts de conduite inquiètent les autorités russes et Noureev obtient in extremis l’asile politique en France. Dès lors, il se produit dans les plus grands théâtres du monde, bouleversant les spectateurs par son génie artistique et l’excellence de sa technique. Au Royal Ballet de Londres, il forme avec Margot Fonteyn l’un des couples de danseurs les plus talentueux du XXe siècle. De 1983 à 1989, il prend la tête du ballet de l’Opéra de Paris et enrichit son répertoire, en remontant les grandes créations de Petipa (Don Quichotte en 1982, Le Lac des Cygnes en 1984, La Belle au bois dormant en 1989), et restaure le prestige de l’institution à l’international.

La Bayadère, chef d’œuvre de Marius Petipa qu’il remonte en intégralité en 1992, vient couronner le succès de sa carrière de chorégraphe. Lorsque la maladie l’emporte trois mois après la première, Noureev a profondément remodelé le visage de la danse classique. Flamboyant, fascinant, visionnaire, il continue à vivre aujourd’hui, à travers ses œuvres régulièrement présentées, mais aussi en tant qu’immense source d’inspiration pour les danseurs et chorégraphes du monde entier. 

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