Assembly Hall

Le duo canadien Crystal Pite et Jonathon Young, réuni au sommet avec Kidd Pivot
Chorégraphie et direction Crystal Pite
Texte et direction Jonathon Young
Composition et création sonore Owen Belton, Alessandro Juliani, Meg Roe
Scénographie Jay Gower Taylor
Direction vocale Meg Roe
Lumière Tom Visser
Avec Brandon Alley, Livona Ellis, Rakeem Hardy, Gregory Lau, Doug Letheren, Rena Narumi, Ella Rothschild et Renée Sigouin
Durée : 1h30
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt
2 place du Châtelet
75004
Paris
Du 2 au 17 avril 2024
Tournée européenne jusqu’en août 2024.

Thème

Créé à Vancouver à l’automne dernier, Assembly Hall prolonge la collaboration entre la chorégraphe Crystal Pite et le metteur en scène Jonathon Young. Avec huit interprètes de la compagnie Kidd Pivot, le duo canadien plante son décor singulier au Théâtre de la Ville : dans une salle polyvalente vétuste, un groupe d’hommes et de femmes s’installe devant une scène de spectacles et surmontée d’un panier de basket. Mais aucune pièce de théâtre, ni match sportif n’est à l’ordre du jour : tous sont là pour tenir l’assemblée générale de leur club d’amateurs de fantaisie médiévale. Au fil de la réunion, les frontières entre fiction historique et réalité fictive se brouillent et entraînent toute la salle dans un délire schizophrénique plein d’humour et d’obscurité.

Points forts

Si Le Seigneur des anneaux devait croiser les Monty Python, ce serait probablement dans l’univers d’Assembly Hall. Entre fiction historique et horrifique, la création de Crystal Pite et Jonathon Young plonge la danse-théâtre dans un univers médiéval merveilleux et comique. Pourtant, le décor n’invite pas a priori à la rêverie. Dans l’atmosphère sombre d’une salle municipale, dont les murs jaunis et noircis ont subi les assauts du temps, huit jeunes hommes et femmes prennent place sur l’une des chaises disposées en arc de cercle. Point de réunion d’alcooliques anonymes : le groupe est convoqué pour l’assemblée générale annuelle d’un club d’amateurs de reconstitutions médiévales. L’heure est grave : les membres du conseil doivent sceller le sort du « Quest fest » - littéralement « la fête de la quête ». Temps fort de leur communauté, qui consiste à remettre en scène des aventures et à incarner des héros et héroïnes tout droit sortis des romans de chevalerie, l’événement menace de passer de fantaisie féodale à vieillerie moyenâgeuse.


Mais, petit à petit, les uns et les autres se laissent prendre au jeu. Les interprètes font du playback sur leur propre voix off (en anglais, surtitré en français), amplifient chaque parole de gestes emphatiques. Rattrapés par l'hyper théâtralisation de leurs débats, les passionnés d’histoires se mettent à projeter leurs propres fantasmagories sur la scène du théâtre, et sur celle du décor (cachée derrière un rideau pourpre). Dans cette mise en abyme, les personnages réels et fantasmés traversent des situations tantôt obscures, tantôt délirantes, pleines d’humour grotesque et ironique. Dans les combats à l’épée, les champions en armures avancent à petits pas sur la mélodie romantique du premier concerto pour piano de Tchaïkovski. Au cœur de la forêt, une jeune femme toute de blanc vêtue s’apitoie pathétiquement sur la mort de son bien-aimé, telle une anti-sosie de Giselle. Même le héros fait une entrée plus fracassée que fracassante - la faute à un casque de pacotille démesuré qui l’empêche de passer la porte battante. 


Grâce à la fluidité de ses jeux de lumières et de son enveloppe sonore, la mise en scène ouvre des espaces de porosité entre .fabuleux et réalité. Dans ces interstices, la chorégraphe s’applique avec ingéniosité à dédoubler et redoubler les silhouettes pour créer des effets de psychose, voire des visions schizophréniques. Sa maîtrise des enchaînements, en canon ou en cascade, offre de superbes scènes chorales, à l’image de celle où les corps, masqués par un heaume, prennent une allure presque entomologique. Leurs mouvements saccadés et ciselés de ces ensembles contrastent avec les élans de virtuosité dont chacun fait montre en solo. Forts d’un spectre gestuel affûté et d’une synchronisation parfaite avec leurs voix enregistrées, les huit interprètes de la compagnie Kidd Pivot livrent une performance impeccable et de haute volée.

Quelques réserves

Mais à force d'emberlificoter les intrigues entre fiction et réalité, la pièce finit par souffrir de quelques longueurs. De façon étonnante, la chorégraphie reprend des armes qui n’avaient pas particulièrement fait leurs preuves par le passé. Ainsi des pas de deux, qui surgissent par endroits sur un air de piano doucement mélancolique. S’ils rappellent ceux de Body and Soul, c’est autant pour leurs entrelacements virtuoses des corps que pour leur côté conventionnel. Las, ces morceaux de technicité offrent des images léchées mais ne créent pas l’étincelle des tableaux les plus sombres. On n’y retrouve pas la profondeur et l’intensité des scènes chorales, dont Crystal Pite a fait sa signature la plus percutante. Outre la déception de ces instants, les vignettes en duo déséquilibrent la dramaturgie déjà labyrinthique de la pièce qui, paradoxalement, manque parfois de densité. L’intrigue, qui semble alors s’étirer, est heureusement sauvée par un chevalier absent - ou plutôt, par les reflets luisants de son armure mue par les interprètes. 

Encore un mot...

Après Bertroffenheit et Revisor, Crystal Pite et Jonathon Young convoquent l’assemblée générale de la danse et le théâtre dans Assembly Hall. Avec ses délires joyeusement obscurs et sa virtuosité héroïcomique, le duo canadien signe une création en clair-obscur, où brille la compagnie Kidd Pivot.

L'auteur

  • Crystal Pite commence ses études de danse au Canada dans les années 1970. Vingt ans plus tard, elle rejoint les ballets de la Colombie-Britannique et se lance dans la chorégraphie. Élève de William Forsythe au Ballet de Francfort en 1996, elle travaille aujourd’hui avec les compagnies du monde entier (le Royal Ballet, le Ballet de l’Opéra National de Paris, le Nederlands Dans Theater I, Les Ballets Jazz de Montréal…). Son répertoire compte plus d’une cinquantaine d’œuvres. Artiste associée dans plusieurs centres d’art chorégraphique, elle crée en 2002 sa propre compagnie, Kidd Pivot, à Vancouver. Ses œuvres ont été récompensées à de nombreuses reprises : lauréate du Benois de la danse pour The Season’s Canon, créé à l’Opéra National de Paris en 2016, Crystal Pite reçoit la même année le Prix Sir Laurence Olivier pour Bertroffenheit, ainsi qu’en 2018 pour sa création au Royal Ballet Flight Pattern.
  • Jonathon Young est acteur et écrivain. Il a collaboré avec la troupe Electric Company Theatre sur plus d’une vingtaine de productions théâtrales et tourné dans plusieurs films au Canada. Avec Crystal Pite, il a signé deux pièces pour le Nederlands Dans Theater (Parade et The Statement en 2016) et deux autres pour Kidd Pivot (Bertroffenheit et Revisor en 2015 et 2019). Il est lauréat de plusieurs prix pour ses créations.

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