Trenet en passant

A l’ombre d’un chêne, au coin de la maison de Narbonne, un beau recueil des chansons du maître inégalé
De
Guillaume de Chassy qui invite André Minvielle et Géraldine Laurent
Maison de disques : L’Autre
Parution le 13 septembre 2024
12,99 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Le grand Trénet a reçu tant d’hommages et de distinctions de par le monde, son chant s’est enrichi de tellement d’échos, jusqu’à se propager sur presque toute la surface de la terre, qu’il eût pu paraître vain et bien périlleux de vouloir ajouter un codicille à un cortège d’éloges qui pouvait sembler parfait.

C’eût été compter sans le talent, la fidélité à l’esprit du maître et l’incomparable puissance d’évocation de nos trois compères d’un jour ou d’une nuit : Guillaume de Chassy, le poète du clavier, André Minvielle, le vocaliste occitan et Géraldine Laurent, la nouvelle égérie du saxophone alto.

Ils ne sont pas les premiers, dans le petit monde du jazz, à tirer leur chapeau devant ce monument de la chanson française. On n’en finirait pas de citer tous les musiciens de jazz qui l’ont célébré, de Barney Wilen à Guy Laffite et de Jacky Terrasson jusqu’au pianiste anglais Steve Beresford qui, entouré d’une foule de servants du culte triés sur le volet, a consacré un disque entier à son idole d’Outre-manche. 

Mais qui pourrait contester qu’il existe un lien consubstantiel, et même confraternel, entre cette musique et l’art du Grand Charles : le dixieland, le fox-trot et le swing furent, pour le chanteur, comme le Mistral et la Tramontane : des vents bienfaiteurs, des souffles multiples d’inspiration et surtout une certaine manière de “syncoper” le temps. 

Bien avant Claude Nougaro, Charles Aznavour et même Jean Sablon, The Singing Loony, comme le surnommaient les Américains, accentuait le deuxième et quatrième temps de la mesure, contrairement à tous les autres gaulois pousseurs de romance. Il inversait ainsi la charge du tempo, comme d’autres celle de la preuve, par un usage intempestif du fameux swing : ce curieux phénomène que la grande Ella Fitzgerald, l’une de ses contemporaines, ne pouvait faire autrement pour le décrire que de claquer dans ses doigts. 

Alors… Pour sublimer le souvenir du grand homme, relire une fois encore son répertoire plein de pièges et de chausse-trappes, il fallait bien tout le talent de ces trois-là, leur jeu tour à tour rêveur, mélancolique et miroitant, pour donner une version intimiste, pleine de charme et d’élégance de La folle complainte, de L’âme des poètes et de Je chante.

Points forts

Il fallait bien André Minvielle, comme une évidence longtemps différée, l’un de nos plus authentiques chanteurs de jazz, pour chanter Trénet, sans le mimer ou le singer. On se souvient qu’il a fait ses classes, lui le déserteur des sentiers battus, auprès de Bernard Lubat, poly-instrumentiste génial et grand organisateur chaque année d'Uzeste musical, le festival de jazz du pays d’Oc.

Il fut l’inventeur du Scat-bop-musette, mais il lui arrive de chanter à haute et intelligible voix, en Occitan, par exemple, ou en Français. Il prête ici sa voix de pur métal précieux, une sorte d’alliage inusité d’or et de rocaille réhaussé par un vibrato angélique, à la poésie simplissime, aux acrobaties verbales, aux mots d’enfants, aux soubresauts logorrhéiques du grand Charles.

Il ne peut s’empêcher d’ajouter de temps à autre son grain de sel en scatant sur Il y avait des arbresLe soleil et la lune et même Je chante. Quant il chante Débit de l’eau, débit de lait, il n’a pas besoin de se donner cette peine, puisque les paroles de ce Must lexicographique se transforment d’elles-mêmes, à force de consonances, d’allitérations et d’homonymies de toutes sortes, en véritable Scat.

Le Scat lui-même, comme tout un pan de l’art du grand Charles, ne se laisse-t-il pas définir comme cette profusion syllabique à partir de laquelle le sens, tour à tour, nait ou s’évanouit ?

Si vous ne connaissez pas encore l’altiste Géraldine Laurent, empressez-vous de l’écouter dans ce disque. Sa sonorité suave et boisée, son attaque à la fois feutrée et ferme, sa douce vélocité de l’instant, ses subtiles décalages rythmiques, son inépuisable fantaisie mélodique font merveille.

Géraldine Laurent est désormais auréolée d’une incontestable et durable gloire. Il commence à se dire partout qu’elle est l’une de nos meilleurs saxophonistes alto. Pour diminuer son mérite, Géraldine dit à qui veut l’entendre qu’elle n’est parvenue à ce résultat qu’en s’exerçant encore et encore sur son instrument, en peaufinant sans relâche sa technique, pour être digne du niveau atteint par les meilleurs musiciens de jazz d’aujourd’hui. C’est peut-être vrai, mais quel talent !

Qui d’autre que Géraldine peut s’enorgueillir aujourd’hui d’avoir repris au saxophone alto, après le Bird, Phil Woods, Art Pepper, Eric Dolphy, figures dont elle se réclame pour certaines d’entre elles, cette tradition d’un jazz swinguant et aventureux, avec ce style tranchant, cette phrase véloce, ce son qui semble en état d’apesanteur, et qui sont désormais sa marque de fabrique ?

C’est à Guillaume de Chasset que nous devons l’heureuse initiative de ce disque en forme d’hommage. Il eut l’idée de l’instrumentation, qui n’allait pas de soi : voix, piano, saxophone alto. La plupart des arrangements sont de lui. Comme ont coutume de le faire les pianistes de sa qualité, il a réharmonisé les chansons dont la plupart ont été composées par le maître. Cette nouvelle structure harmonique des morceaux fournit une base sûre pour les improvisations des trois amis. Le jeu de Guillaume de Chassy est empreint d’une sorte de rêverie et d’un charme subtil et indéfinissable ; il se porte aisément aux confins de l’indicible, dans cette zone d’indécision où certains traits du piano viennent au secours des mots pour leur conférer une nuance inattendue ou un supplément d’âme.

Quelques réserves

Je serais curieux que d’aucuns me les signalent. 

Une phrase

« Le chat me griffe un peu.
Ce tigre est indomptable
Et joue avec le feu.
Les pantoufles de grand-mère
Sont mortes avant la nuit.
Dormons dans ma chaumière.
Dormez, dormons sans bruit ».
(La folle complainte)

L'auteur

Un biographe autorisé de Guillaume de Chassy a écrit, mieux que je ne pourrais le faire :

« Ex-ingénieur élevé à l’écoute de Schubert et Louis Armstrong, improvisateur autodidacte, pétri tout autant de Monk et de Prokofiev, le pianiste s’est forgé une identité musicale qui échappe aux classifications. Il a joué et|ou enregistré avec Paul Motian, Mark Murphy, André Minvielle, Daniel Livinec, David Linx, Paolo Fresu, Sara Lazarus, Gianluigi Trovesi, Enrico Rava. (…). Entre l’écrit et l’improvisé, la mémoire (collective) et l’invention, l’onirique et le réel, voire le surréel, pour Guillaume de Chassy, les frontières sont exquisément perméables ».

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