Spindrift

Chant choral, voix entremêlées des souffleurs, sérénité des thèmes, perfection de l’exécution. Un collectif d’exception sous la conduite bienveillante d’un pianiste prometteur
De
Benjamin Lackner
Maison de disques ECM
Parution janvier 2025
17,99 €
Notre recommandation
4/5

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Benjamin Lackner, pianiste germano-américain qui, après le très médiatisé Last Decade – des dizaines de milliers d’écoutes sur les plateformes numériques -, signe là son second enregistrement pour le très convoité label ECM, qui est dirigé de main de maître par Manfred Eicher, depuis désormais quarante-cinq années.

Il s’est entouré, pour la circonstance, d’une équipe internationale avec le trompettiste Mathias Eick, d’origine norvégienne, qui poursuit une tradition d’excellence européenne sur l’instrument, le saxophoniste américain Mark Turner, sans doute le ténor le plus influent de sa génération avec Chris Potter, l’Australienne Linda May Han Oh, originaire de Malaisie et vivant à Boston, et le batteur français Mathieu Chazarenc, qui fit partie du premier groupe de Benjamin en tant que leader.

Il nous fait partager ici ses talents de compositeur avec une série de thèmes dont il est l’auteur, qui frappent par leur unité d’inspiration et qui, rassemblés ainsi dans le même ouvrage, pourraient être considérés comme une suite. Il dirige l’exécution de l’ensemble à partir de son piano qui occupe une place centrale, tant dans l’orchestration que dans les solos.  Son approche au clavier, qui s’inscrit dans la lignée de Keith Jarrett, ne cesse de s’affermir ; de sorte qu’il faudra désormais compter avec ce pianiste qui se signale par la sinuosité du phrasé de main droite, un accompagnement mêlant arpèges réitérées et accords profonds, avec un sens très développé de la mélodie.  

Points forts

Le morceau qui donne son titre à l’album, Spindrift, dont la traduction est incertaine tant le mot est polysémique en Anglais, fait la part belle au maître Mark Turner, aussi bien dans l’interprétation du thème que dans l’improvisation ; il faut  sans doute y voir une manière pour le leader de rendre d’emblée hommage au lyrisme du saxophone ténor, à ce magnifique son, dont l’identité insaisissable semble résider dans la subtile synthèse entre John Coltrane, Warne Marsh, Wayne Shorter, Michael Brecker, et Joe Henderson. 

Excusez du peu, mais je ne cite pas ces noms au hasard : Mark avoue volontiers, auprès de ceux qui ont une connaissance intime de son jeu, que ce sont là tous ceux qu’il a le plus écouté au saxophone ténor, qui ont contribué à sa formation et dont l’influence est encore perceptible dans son approche pourtant devenue identifiable à la première écoute. 

Tous les autres thèmes sont longuement exposés par les deux souffleurs dans des unissons à l’octave, en raison de la différence de tessiture entre la trompette et le ténor. Mais Mark Turner, dont la maîtrise du registre aigu de l’instrument est désormais légendaire, se porte parfois, dans certains passages, à la hauteur de la trompette. Il choisit souvent un volume sonore qui le place légèrement en retrait par rapport à son partenaire, impression encore renforcée par un décalage infime dans la mise en place.

Les unissons sont prolongés par des échanges soutenus entre les deux souffleurs qui maîtrisent, comme rarement, l'art du contrepoint et se prennent souvent au jeu passionnant des questions-réponses.

Benjamin Lackner, auteur des compositions et responsable des arrangements, est l’hôte courtois de cette séance. Il fournit des introductions et des accompagnements frappés au coin de la pertinence, du respect à l’égard de la parole d’autrui et de la sobriété. Quant à ses solos, ils prolongent,  avec à propos, une atmosphère empreinte de solennité, de gravité et d’émotion. L’auditeur est frappé par la sereine unité d’inspiration qui domine chacun de ces morceaux qui semblent reliés entre eux par d’indissolubles liens, qui contribuent à conférer à cette œuvre chorale un charme et un recueillement exceptionnels.

Nous serions incomplets si nous omettions de rendre justice au remarquable travail de la section rythmique. A la basse, Linda May Han Oh est le pivot de l’orchestre avec une justesse, une mise en place et une profondeur de son en tous points remarquables. On pense, en l’écoutant, à la basse cheminante et enveloppante du grand Charlie Haden. Mais cette référence prestigieuse ne doit en aucun cas diminuer son mérite personnel. Quant au batteur, il fait partie de cette école impressionniste et minimaliste et, en pur poète des peaux et cymbales, il est capable d’apporter ces couleurs indéfinissables qui mettent en valeur la moindre inflexion du soliste, ou un changement soudain du cours de l’improvisation collective.

Quelques réserves

Cette musique, d’un pouvoir de séduction ensorcelant, bénéficie d’un élan de sincérité collective de la part de ses interprètes. Elle est promise à un succès d’audience immédiat, nous sommes prêts à en prendre le pari. Mais il est trop tôt pour dire si elle peut prétendre à la postérité.

Encore un mot...

Il est des pianistes qui ne s’astreignent à aucune discipline particulière, font confiance à l’inspiration du moment et à l’ambiance qui se dégage lors du contact avec le public. Tel n’est manifestement pas le cas de Benjamin Lachner qui se soumet à une discipline quotidienne, toujours la même, devant son piano. Il commence par travailler l’harmonie et plus particulièrement les intervalles chromatiques ; après quoi, il se consacre à des exercices polyrythmiques pour, tient-il à préciser, être à la hauteur des batteurs avec lesquels il a l’occasion de jouer. Enfin, vient le temps de la composition où il commence par entonner une mélodie, sans aucun accompagnement au piano. L’arrangement vient après. Il a d’abord besoin de constituer un matériau sur lequel travailler par la suite. Benjamin laisse décanter toutes ces mélodies qui lui viennent chaque jour à l’oreille, le temps seul, une semaine ou un mois, lui permettant de trier entre le bon grain et l’ivraie.

L'auteur

Benjamin Lachner est né à Berlin d’un père américain et d’une mère allemande, mais il rejoint très tôt la côte Ouest des Etats-Unis et sort diplômé du California Institute of the Arts où il a pu travailler sous la direction de Charlie Haden. Il reçoit aussi l’enseignement de Brad Mehldau qui a lui-même étudié auprès de Fred Hersch. Il est donc l’héritier d’une longue lignée de maîtres qui tous se rattachent, par de-là la figure de Keith Jarrett, à l’art fondateur de Bill Evans. Il partage sa vie entre Berlin et New-York où il a fondé en 2006 un trio composé de Jérôme Regard et Matthieu Chazarenc qui existe toujours et qui a notamment enregistré Drake en 2019 salué par la critique à sa parution.

Avec cette formation qui a beaucoup contribué à forger sa renommée internationale naissante, Benjamin Lackner a eu l’occasion de se produire dans le monde entier, à New-York dans des lieux mythiques comme le Blue Note ou le Cotton Club, à Tokyo et dans les Festivals, comme ceux de Rio de Janeiro, de Montreux, de Viersen, de Berlin (Xjazz) ou de Paris (jazz américain). Partout l’accueil du public fut favorable et chaleureux.

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