Preludes and Songs

Au plus près d’un chant lointain. Une œuvre qui fera date !
De
François Couturier et Dominique Pifarély
Label ECM, CD
Sortie le 21 janvier 2025
18 Euros
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Thème

On ne pouvait concevoir un lieu plus propice, pour la présentation en première mondiale du nouvel enregistrement du duo Couturier-Pifarély, que la Maison-galerie 19PaulFort. On connaît la programmation exigeante de la maîtresse des lieux, Hélène Aziza, qui n’a de cesse de solliciter des créateurs d’exception, des musiciens légendaires parfois perdus de vue ou injustement méconnus afin qu’ils puissent jouer sans contraintes, dans un esprit de partage et de recueillement, la musique qui leur tient le plus à cœur.

Le duo formé par le pianiste François Couturier et le violoniste Dominique Pifarély n’a de cesse de défier les genres, de brouiller les frontières que d’aucuns voudraient immuables entre musiques savante et populaire ou entre jazz et musique contemporaine, entre composition et improvisation.

Cette musique a pour vocation de nous porter aux confins de toute culture commune, de viser la limite la plus éloignée et sans doute la plus difficile à atteindre, celle qui sépare le monde connu, où langage règne en maître, d’une contrée plus austère et rare, faite d’essences subtiles, insaisissables et, pour tout dire, indicibles.

Nos deux musiciens, dont le compagnonnage remonte à plus de vingt-cinq années avec ses éclipses, ses retrouvailles confidentielles, ses retours auxquels on ne croyait plus, ses dialogues muets et subreptices, nous livrent ici une œuvre majeure.

Ils pourraient aisément se réclamer de la devise de Wittgenstein qui clôt son Tractatus : « Il y a assurément de l’indicible, il se montre et c’est le mystique ». Cette musique nous conduit paradoxalement aux portes du silence, elle se déploie dans une aire où plus un mot n’est prononcé parce que le langage y est devenu inopérant.  “Au lieu de cela”, expression à prendre au pied de la lettre : une musique du silence, un art contemplatif, un parfum d'éternité, un instant qui dure toujours.

Points forts

Dominique Pifarély a pu récemment livrer le fond de sa pensée à propos de cet album. Le label en a assuré la promotion, comme il est d’usage, avec un entretien filmé. Les deux musiciens se prêtent à cet exercice avec une bonne volonté toute relative puisque seul Pifarély prend la parole, alors que François Couturier, assis à ses côtés, s’est réfugié dans le silence et signifiera prestement la fin de la séquence dès que son compagnon eut cessé de parler. 

Le violoniste parvient tout de même à dire plusieurs choses qui lui tiennent à cœur. Il se refuse à se prononcer sur le fait de savoir si leur musique est plus fluide qu’il y a vingt ans ; ce dont il est sûr c’est que le souci de la forme domine, aujourd’hui comme hier, avec désormais la tentative de débarrasser cette forme de toutes les scories, de toutes les choses inutiles.

Il souligne que le travail d’élaboration esthétique s’effectue à deux, en tenant compte du chemin qui a été celui de chacun depuis vingt ans. Chaque nouvelle rencontre est l’occasion de poursuivre le travail sur ce qu’il appelle leur terrain commun. Et, tient-il à ajouter, de répondre à un besoin de profondeur et de recul par rapport au monde. On ne saurait être plus clair ni plus explicite.

Si les deux musiciens ont eu l’occasion à maintes reprises de jouer ensemble dans des contextes variés, ils ne se sont que rarement retrouvés pour enregistrer en duo. En 1998, paraît Poros, qui dessine un éclair dans un ciel apparemment serein. Nul n’avait sous-estimé à l’époque la force de rupture de cet acte inaugural : acquaintance revendiquée avec la musique contemporaine, expérimentation sonore, tempos parfois flottants, atonalité et dissonances, formes ouvertes. 

Il est évidemment tentant de s’interroger, à l’aune des propos tenus par Pifarély, sur ce qu’apporte de neuf ce second opus, vingt ans après.  

Le titre de l’album, Preludes and Songs, nous permettrait de distinguer entre ce qui relève du commentaire propre aux duettistes, le Prélude, et les thèmes empruntés aux horizons les plus divers, les Songs. Plusieurs morceaux combinent, en effet, des préludes s’étirant souvent jusqu’à la limite extrême, avant que n’advienne l’autre mélodie : vieille scie musicale de Broadway (A Nightingale song in Berkeley Square), romance au refrain éternel (La chanson des vieux amants), ou chef d’œuvre indépassable (LamentSolitudeI love you, Porgy). D’autres Songs sont dues au pianiste : Le surcroîtLes ombres, Vague, etc…

Les deux protagonistes ne semblent en rien vouloir abandonner la radicalité de leurs choix d’antan, mais il y a quelque chose de plus, sur lequel Pifarély insiste : ce travail d’émondation, qui confine à l’ascèse, et qui permettrait de revenir à la mélodie, mais uniquement pour retrouver la splendeur du chant primordial. Bien entendu c’est un mythe, mais qui joue si bien avec notre imaginaire, que nous avons la sensation de découvrir chaque thème comme si nous ne l’avions jamais entendu, émergeant lentement d’un palimpseste dépourvu d’âge. 

Faut-il préciser que tout ceci n’est possible que grâce au patient travail de deux solistes d’exception. Ils ont dépassé depuis longtemps la question technique et savent que la virtuosité et la maîtrise instrumentales font partie des réquisits qu’il faut s’empresser d’oublier.

A nulle autre, la voix de Pifarély n’est comparable : le violon solitaire, son phrasé sinueux et ses développements souvent abrupts demeurent inimitables. Grappelli avait coutume de dire qu’un grand violoniste se reconnaissait à la profondeur et à la beauté du son, mais que cette qualité ne pouvait s’acquérir qu’avec le temps. Ecoutez le violon de Pifarély, et vous en serez convaincus.

Quant à François Couturier, c’est un moine tout droit sorti d’une leçon de Barthes au Collège de France, un explorateur aux mille registres, un passant du désert musical, une ombre portée sur le clavier. Il nous restitue l’errance des premiers jours. 

Quelques réserves

Face à une œuvre qui fera date, pas l’ombre d’une quelconque réserve.

Encore un mot...

Le concert de lancement de l’album, qui eut lieu le 11 février au 19PaulFort, fut un moment de grâce inoubliable marqué par les retrouvailles avec un public complice et chaleureux. 

L'auteur

  • François Couturier a d’abord suivi des études de piano classique et de musicologie. Il forme très tôt, avec le contrebassiste Jean-Paul Céléa, un duo exemplaire qui aura la vie longue et constituera le noyau de collaborations multiples : avec John McLaughlin au début des années 80 jusqu’au fameux groupe Passaggio qui enregistre deux albums mythiques pour Label bleu au milieu de la décennie suivante, ou le trio avec Daniel Humair.
    Parallèlement, François Couturier poursuit sa carrière de soliste et entame une collaboration fructueuse avec le joueur d’oud tunisien Anouar Brahem avec lequel il se produira dans le monde entier. Il compose également, à partir de la fin des années 2000, de nombreuses musiques de film qui contribuent à asseoir sa notoriété.
    Il développe surtout ses projets personnels autour du cinéaste Tarkovski, auquel il rend grâce dans deux albums, ou Pergolèse qu’il nous rend si proche. Il joue souvent avec la violoncelliste Anja Lechner issue de la musique classique et ne dédaigne pas les exercices d’introspection en piano solo.

  • Dominique Pifarély est premier prix de violon au Conservatoire à l’âge de vingt ans. Il est très sollicité par le monde du jazz dès le début des années 80 : il remplace Didier Lockwood au sein du Swing Strings System de Didier Levallet, co-dirige une décennie plus tard un quartet acoustique avec Louis Sclavis qu’il retrouvera dans différentes formations et il débute une collaboration au long cours avec François Couturier. Il conduit plusieurs projets en son nom, dont plusieurs témoignent de son intérêt pour la littérature et la poésie, en particulier des concerts-lectures (François Bon, Pierre Baux).

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