Concert de Michael Attias
Michael Attias Quartet avec Aruan Ortiz au piano, John Hébert à la basse et Nasheet Waits aux drums.
Nouveau disque à paraître : automne 2024
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Thème
J’ai assisté, début mars 2024, à un concert de Michael Attias, saxophoniste alto et compositeur de jazz, accompagné du grand batteur de jazz et peintre Daniel Humair. Michael était invité au 38’riv, club de jazz de la rue de Rivoli à Paris, par le jeune contrebassiste Etienne Renard. Ce concert est pour moi l’occasion de présenter le travail de Michael Attias, qui fait partie, depuis deux décennies, de l’avant-garde new-yorkaise, si ce mot a encore un sens aujourd’hui, et qui est injustement méconnu dans notre pays.
Michael s’est produit ce soir-là, dans la cave voûtée du 38’riv remontant sans doute au Moyen-âge, si caractéristique des boîtes de jazz françaises, à la différence des clubs new-yorkais qui donnent de plain-pied sur la rue et se contentent de renvoyer à une histoire récente, celle du nouveau continent. Il se produisait au sein d’un quartet réuni pour la circonstance par le contrebassiste Etienne Renard, frais émoulu des écoles, qui comprenait, outre Michael à l’alto, Benoît Delbecq au piano et Samuel Ber à la batterie. Les quatre musiciens, qui jouaient pour la première fois tous ensemble, ont exécuté les compositions originales de chacun d’entre eux : une d’Etienne, deux de Michael, une de Benoît et une de Samuel.
La musique comportait ainsi de longues parties écrites où chacun, y compris la batterie, jouait sa partition. La musique, savante et complexe, reposait parfois sur des métriques inusitées, qui pouvaient changer d’une mesure à l’autre. Pour ajouter à la difficulté, certains morceaux pouvaient comporter plusieurs tempos simultanés que suivait chaque musicien sans perdre de vue celui de ses partenaires. La musique comportait aussi de longues séquences improvisées, comme il sied au jazz, où chacun pouvait donner libre cours à sa fantaisie de l’instant.
Points forts
Ce concert est donc l’occasion pour moi de présenter l’art suprême de Michael Attias. Il se réclame de trois figures majeures de l’histoire du jazz moderne : Lee Konitz dont la personnalité fut suffisamment forte pour s’écarter dès 1949 de l’ombre tutélaire de Charlie Parker ; Paul Motian, le batteur du premier trio de Bill Evans, connu pour sa musicalité extrême et son sens mélodique, avec lequel Michael a joué et Anthony Braxton dont l’instrument privilégié est l’alto, mais qui est poly-instrumentiste et connu pour ses théories musicales abracadabrantesques. C’est évidemment un maître et il a contribué à renouveler le langage musical dès le début des années 1970. Nous l’écoutions avec stupeur au studio 104 de la Maison de la Radio à Paris dans le groupe Circle formé par Chick Corea. Michael a reçu son enseignement et a joué avec lui.
Comment voulez-vous, lorsqu’on revendique un tel héritage, ne pas devoir relever le défi et développer à son tour, un art musical exigeant, par lequel on tente, jour après jour, de forcer les portes de l’avenir et de poursuivre l’acte créateur, à la recherche du son nouveau absolument, et proprement inouï, recherché déjà par ses de devanciers ? Et de tenter de produire ce qui se fait de mieux dans la création contemporaine ?
Avec l’art suprême de Michael, nous sommes assurément au sommet. Je lui ai écrit un jour, et peut-être s’en souvient-il, qu’il faisait partie de ceux, peu nombreux, capables de porter le jazz actuel aux confins, c’est-à-dire à la limite extrême de ce qu’il est possible de produire en jazz.
Certains esprits grincheux ont prédit, avec la disparition progressive des créateurs d’exception, la fin du jazz, comme on dit la fin de Dieu, la fin de l’homme ou la fin de l’histoire. Je ne sais si le jazz a partie liée avec ces grands ensembles dits Lalangue, comme a écrit un jour le philosophe J-C Milner, mais l’art de Michael contribue à invalider cette thèse catastrophiste des "collapsologues du jazz", même s’il faut inventer l’expression.
Quelques réserves
Il n’y en a pas, sauf peut-être, que nos amis qui répétaient depuis 16 h de l’après-midi avant le concert en deux sets, heure locale, découvraient les partitions et les déchiffraient à vue, y compris pendant la prestation devant le public et que, dans ces cas-là, comme dirait mon ami Igor qui assistait au second set, un infime décalage, un léger retard à l’horloge de la mise en place peut s’entendre, comme une ombre subreptice, par une oreille exercée.
La musique de Michael pourra paraître ésotérique aux oreilles d’aucuns, mais elle est sans compromission, elle est celle des petites chapelles éloignées...
Encore un mot...
Un jour, Michael Attias m’a raconté que ce qu’il appréciait dans le jeu de son maître incontesté, l’altiste Lee Konitz, c’était le son de son saxophone, qui coulait comme un eau profonde et scintillante, s’immisçant dans le moindre interstice, s’infiltrant dans les anfractuosités de la pierre des murs d’un club parisien ou new-yorkais, jusqu’à immerger complètement l’espace sonore.
Cette métaphore, qui compare la voix du saxophone à l’élément liquide, c’est exactement l’impression que me fit la sonorité que Michael tirait de son instrument au concert du 38 riv ce soir-là, en quoi l’ancien disciple a parfaitement assimilé les leçons du maître, tout en sachant développer, et c’est évidemment le plus difficile, un art qui lui soit propre.
Certains saxophonistes ont parfois la tentation de meubler leur discours en ayant recours à des "plans", comme disent les musiciens entre eux, ce qui leur permet de faire montre de leur technique et surtout, de masquer la vacuité parfois abyssale de leur inspiration. Rien de tel dans le jeu de Michael, qui ne parle jamais pour ne rien dire et dont le discours va constamment à l’essentiel sans s’embarrasser de fioritures. En outre, Michael fait partie de ses musiciens qui prend constamment des risques et les phrases musicales qui se succèdent dans son discours ne sont pas prévisibles d’avance, mais suivent un chemin escarpé qui n’exclut pas de brusques changements de direction et qui ménagent à l’auditeur attentif de délicieuses surprises.
A la fin du concert, Daniel Humair a tenu à venir saluer chacun des musiciens, s’enquérir de certaines particularités de leur jeu, leur poser des questions techniques où il était question de "pêches" à la batterie, qui n’ont rien à voir avec le fruit mûr à la peau veloutée. La "pêche" désigne ce coup que le batteur adresse au soliste, comme un message sublimé, une sorte de bouteille à la mer, pour le relancer ou le faire réagir. Bien entendu, chacun sans le faire paraître avait reconnu le maître Daniel Humair, comme le jeune batteur de nationalité belge, Samuel Ber, extraordinairement doué, qui joue sur une batterie Gresh et qui tend la peau de sa caisse claire à outrance, comme l’un de ses maîtres, Tony Williams.
L'auteur
Il sortira à l’automne 2024 un nouvel opus enregistré en vinyle, et puis un double album un peu plus tard reprenant ce volume 1 en CD.
En attendant, pour avoir une idée de l’art suprême de Michael Attias, vous pouvez écouter son album Nerve Dance. Cette musique se fonde sur un dialogue constant entre chaque instrumentiste, chaque composante du quartet, et une écoute mutuelle et attentive. Il en résulte une musique dense, sans compromission, qui pourra paraître à certains difficile d’écoute, mais qui est ce qui se fait de mieux, vous pouvez m’en croire, outre-Atlantique.
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