Coincidia Oppositorum Bach Greif Liszt
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Thème
Aline Piboule, jeune pianiste française, a contracté une petite spécialité qui n’appartient pas à tout le monde : à chaque fois que l’un de ses disques paraît, elle reçoit toutes les distinctions de notre beau pays : ce fut le cas pour son Fauré et Dutilleux, mais aussi pour son Samazeuilh -Decaux- Ferroud -Aubert.
Moi qui suis, connaîs et admire l’art d’Aline Piboule depuis bien longtemps, cela ne m’étonne guère et, lorsque je l’ai présentée à un autre musicien d’exception qui collectionne également les prix, il lui fit cette réponse, subtile allusion aux macarons qui ornent les disques salués par la critique musicale : « Nous partageons une vocation commune, celle de pâtissier ». J’ai trouvé cette remarque injuste à l’égard d’une corporation dont certains de ses représentants peuvent atteindre sinon au sublime, du moins au délicieux.
Le dernier opus d’Aline Piboule, Coincidentia oppositorum, je suis prêt à en prendre le pari, est appelé au même glorieux destin.
Points forts
Cet album a été composé, avec une sorte de sensibilité visionnaire, par Aline Piboule elle-même : Bach, Greif, Liszt. Elle signe un texte qui figure dans les liners notes, en forme de confidence, qu’il faut lire avec attention. Ce qu’elle appelle transcendance, c’est-à-dire la capacité, qu’elle considère comme commune à ces trois compositeurs, « à unir les opposés »et « à aller embrasser ce qui nous noie de sa grandeur et qui nous enveloppe de sa tendresse » est le fil d’Ariane de l’album où l’on passe brutalement de la souffrance à la rédemption, dût-elle, comme eût dit Valéry, « embrasser le néant ».
Le cœur de ce programme, auquel Aline prête des vertus sotériologiques [la sotériologie est l’étude des différentes doctrines religieuses du salut de l’âme], est représenté par deux sonates pour piano du musicien contemporain mort en 2000 Olivier Greif, qui bénéficient parallèlement de deux éditions critiques réalisées par Aline Piboule et Anne-Lise Thouvenin.
Il a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la sonate n°5, comme si par les dissonances, les insertions parasitaires, les hésitations feintes, la désarticulation intrinsèque de la structure musicale et les relances de tempo avaient brisé de façon irrémédiable la perfection de la forme classique. Bien que l’individualisme acharné de Greif l’ait toujours tenu à l’écart des écoles de toute sorte, son immense culture musicale nous place d’emblée dans la profondeur historiale et l’intertextualité musicale qui légitiment, s’il en était besoin, le choix d’Aline de le confronter aux maître du passé.
Three Poems nous plonge dans un Orient rêvé où Grief, en quête de spiritualité, a puisé un temps son inspiration. Une sorte de fixité extatique domine, quel que soit le tempo, qui peut être vif.
Aline complète le programme par Liszt et Bach. Sa lumineuse et intemporelle interprétation de la réduction pour piano de la cantate Ich ruf zu dir du maître de Leipzig, évite les pièges d’un certain baroquisme et utilise toutes les ressources d’un instrument - le piano moderne - que Bach n’a pas connu.
Quant à la redoutable ballade n°2 de Liszt, il faut beaucoup d’orgueil pour accepter de l’affronter. Nombre de héros du vingtième siècle s’y sont attelés. Mais nous sommes au vingt et unième siècle où, au demeurant, le héros a définitivement été supplanté par la victime, je vous recommande l’impériale, sublime, maîtrisée version d’Aline. Je suis prêt à organiser, et c’est le deuxième pari de cette recension, un blindfold test avec un jury fictif de douze musicologues, dont elle sortira vainqueur.
Quelques réserves
Je ne vois aucune réserve.
Encore un mot...
Les qualités instrumentales et techniques de l’interprète sont proprement époustouflantes face à un répertoire difficile et semé d’embûches. On pressent l’immense travail là-derrière, la reprise acharnée, une fois, dix fois, cent fois du même ardu passage pour tenter d’atteindre la perfection.
Mais au-delà de la brillance sonore du jeu d’une interprète aussi à l’aise dans les pianissimos et les mouvements lents que dans les grondements staccato, c’est à sa sensibilité extrême, l’obscure clarté dans laquelle elle guide l’auditeur, auxquelles il faut rendre hommage. Coincidentia oppositorum, l’union des extrêmes, c’est elle, Aline Piboule, et nul oxymore ne peut mieux rendre compte de son art.
L'auteur
Aline Piboule a effectué ses études de piano à Lyon (CNSMD), Paris (CNSMD) et à l’Université de Montréal. Elle est lauréate du concours Città di Padova en Italie, du concours international de piano d’Orléans où elle obtint cinq prix. Elle poursuit une carrière nationale et internationale et est accueillie dans les salles et les festivals les plus prestigieux.
Elle s’est illustrée dans le répertoire français. Elle a notamment joué une version d’anthologie de la réduction pour piano seul de La mer de Debussy.
Elle forme un duo électrique et improbable avec le grand écrivain français Pascal Quignard, dans lequel lui dit certaines de ses œuvres et elle illustre les textes du maitre par des pièces prestigieuses choisies d’un commun accord.
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