Voir la lumière
Editions Grasset,
498 pages,
Prix 24 €
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Thème
Un prélude sur une petite cinquantaine de pages, et nous voilà transportés en avril 1943 à Bâle, en Suisse dans les laboratoires de la firme Sandoz. Le professeur Albert Hofmann fait une mauvaise manipulation. Il travaille sur un champignon parasite des grains (l’ergot), synthétise une molécule, le diéthyllysergamide, et est persuadé qu’il vient d’élaborer un médicament miracle- on lit les mots d’une de ses collaboratrices : « Etait-ce du poison ? Etait-ce immoral ? Un risque inacceptable ? Elle n’aurait su le dire mais toute la journée elle avait été dans tous ses états… » Herr Hofman délire, il prononce sans cesse un mot : « lumière » et ses collègues ne sont pas en reste : « Ils avaient vu des lumières, des couleurs, ils avaient été la proie de synesthésie et de distorsions visuelles ».
On enchaîne, premier chapitre de Voir la lumière, on avance dans le temps, on se retrouve aux Etats-Unis et au Mexique. Avec la grande affaire des années 1960 : la libération des consciences en ingérant ce diéthyllysergamide, plus connu sous le nom de code LSD-25, devenu tout simplement LSD… Un jeune étudiant en psychologie prénommé Fritz et son épouse Joanie assistent à Harvard aux séances menées par Timothy Leary, professeur et apôtre des drogues. C’est le temps de la croyance en une vision suprême, certains assurent quasi divine. Un « premier cercle », professeur et étudiants, se retrouve dans un hôtel au Mexique puis dans un immense manoir de Millborook, dans l'État de New York- au programme, l’expérimentation de ce LSD.
On augmente les doses, Timothy Leary n’est pas en reste, c’est la libération des instincts et aussi de la jalousie et des excès sexuels. Il faudra bien l’admettre, Leary et ses compagnons et compagnes espéraient voir la lumière et peut-être aussi Lucy dans le ciel avec des diamants, ils n’ont connu que grandeur et décadence du LSD…
Points forts
-Une fois encore, plus rock’n’roll que jamais, T.C. Boyle explore la marginalité américaine. En se concentrant sur celle des années 1960, celle de l’« acid test » avec beatniks et hippies, il met à l’honneur Timothy Leary, professeur et poète, pour certains « le pape du psychédélisme », pour d’autres dont le président Richard Nixon « l’homme le plus dangereux du monde ».
-Évoquant tout autant les délices que les périls des psychotropes, un texte à la fois acide et hypnotique…
-Un roman mené sur un rythme haletant où, par la grâce d’un flux étourdissant, cohabitent la séduction, la stupéfaction, l’effarement et aussi l’effarouchement.
-Tout en ironie, l’art et la manière de T.C. Boyle pour observer et décoder tous les personnages qui habitent Voir la lumière.
Quelques réserves
-Bien sûr, T.C. Boyle n’a pas son pareil pour manier son sarcasme mais on pourra lui reprocher d’user (et d’abuser) de l’ironie facile pour tracer à grands traits les dérives, les naïvetés ou encore les dérives mystiques de l’époque de la « beat generation ».
Encore un mot...
Le grand roman du LSD et de l’invention du psychédélisme dans les années 1960, c’est Voir la lumière de T.C. Boyle. Habité par le professeur et poète Tim Leary, grande figure de l’épopée beatnik outre-Atlantique, c’est certes un texte sur la grandeur et la décadence du LSD mais aussi et surtout un long poème empli de d’ironie et de mélancolie. Ce qui fait, au final, un des meilleurs livres de T.C. Boyle. Si ce n’est le meilleur…
Une phrase
« Quand Fitz regardait le pichet [de dry martini] (ce qu’il n’arrêtait pas de faire : on aurait dit qu’il ne pouvait s’en empêcher), il avait l’air de rutiler comme une boule de cristal, comme si la flamme de la bougie que Tim avait posée à côté se trouvait à l’intérieur du liquide, dans le gin, l’infusant de lumière. “Tu vois ça ?” demanda-t-il tout bas, assis là, à côté de sa femme dans le coin très sombre et allant chercher un doigt pour le désigner, qui tournoyait là-bas, non pas sur le comptoir ou même dans le comptoir, mais au-dessus, tourbillon, feu de djinn.
“Quoi ? fit-elle en tournant vers lui ses yeux agrandis à la taille de lunettes de plongée.
–Des feux de djinns. Les dry martini.” Les voix de Bach s’entrelaçaient, se séparaient, s’entrelaçaient derechef.
Elle rit. “Je n’ai pas soif.
–Non, non, ce n’est pas ce que je veux dire… Je veux dire… regarde le pichet, tu ne le vois pas ?” »
L'auteur
T.C. Boyle est né à Peekskill, État de New York, en 1948. T.C. Boyle. En 1982, il publie son premier roman, Water Music - faux roman historique tout autant que aventure picaresque. Tout en conservant son poste d’enseignant à l’université de Californie du sud (USC), il enchaîne romans et recueils de nouvelles, ne craignant pas d’explorer tous les genres et toutes les formes.
Parmi ses thèmes récurrents, l’écologie (Un Ami de la Terre ou encore Après la peste), les Etats-Unis et la société américaine de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle ou encore les problèmes de la société américaine contemporaine. Prix Médicis étranger 1997 pour America, il est considéré comme le romancier américain le plus rock’n’roll de sa génération- ce qu’il confirme avec Voir la lumière, son dix-septième et dernier roman en date.
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