VIES PARALLÈLES , De Gaulle-Mitterrand
400 pages -
21 €
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Thème
Michel Onfray emprunte à Plutarque un titre, celui des Vies Parallèles des hommes Illustres, et un genre littéraire aussi, en opposant deux acteurs majeurs du XXème siècle, de Gaulle et Mitterrand, le portrait en miroir favorisant l'éloge et le blâme qui inspirent une démarche plus moralisatrice qu'historique.
De Gaulle et Mitterrand, nés respectivement en 1890 et en 1916, à une petite génération de distance, sont confrontés l'un et l'autre en hommes mûrs à la débâcle de juin 1940, à la demande d'armistice de Pétain et la reddition qu’elle implique, au dilemme supposé par ces circonstances entre collaboration et résistance, à la guerre et à la libération, à l'épuration et la reconstruction ; encore et plus tard, après la débâcle de Dien Bien Phu, à la guerre d'Algérie, aux défis de l'indépendance, à l’adoption d’une nouvelle Constitution, à Mai 1968… sans que l’échec du référendum de 1969 sur la « Régionalisation » inspiré par la philosophie politique très gaullienne et transversale de "la participation" et l'abandon du pouvoir par l'homme du 18 juin qui va suivre, un an avant sa mort, ne vienne en épilogue de cette confrontation qui survivra avec l’avènement tardif de Mitterrand à la fonction suprême, si âprement et par lui convoitée.
Le propos n'est pas tant d'évoquer ces événements que d'étudier, voire d'évaluer à travers eux le caractère de ces héros du siècle, leur culture littéraire et historique, l'empreinte de leur éducation, leurs attachements personnels, leurs lectures et leurs modèles, leur vision du monde et d'eux-mêmes, leurs fidélités et leurs trahisons, leurs compagnonnages et finalement leurs vertus et leurs vices.
Pour in fine ériger une statue à de Gaulle, sobre et inspiré, d'un opportunisme politique dirigé vers une seule cause, le maintien de la France dans son histoire millénaire et souveraine, un homme à proprement parler inclassable sur la grille de lecture politique proposée par les partis, leurs appareils et leurs combines, un démocrate plutôt qu’un dictateur qui confèrera au chef de l'État la légitimité du suffrage universel pour la lui reprendre au premier désaveu, ainsi et notamment à ses dépens, ce référendum de 1969 constituant la parfaite illustration de ce principe avec lequel le Général ne transigera jamais quand Mitterrand négligera la sanction des urnes par l’effet de deux cohabitations, sans crainte de pratiquer un absolu contresens constitutionnel.
Si d'aventure la statue de Mitterrand a été dressée quelque part, elle est ici déboulonnée, l'homme de Vichy, cagoulard et décoré de la Francisque des mains mêmes du Maréchal étant quant à lui présenté comme l'incarnation d’un opportunisme cynique, habité par une seule obsession, lui-même et son statut, dans une conception hédoniste du pouvoir, un homme prêt à tous les renoncements, à l'esquive, au mensonge et au parjure, entouré de courtisans et de prébendiers.
Points forts
- Le parti ainsi pris de forcer le trait, d’accuser les différences pour mieux illustrer le propos, d’écarter le discours consensuel et de porter un jugement moral sur les hommes, manichéen, et donc démonstratif.
- L’analyse qui soutient le propos qui reste fouillée sinon exhaustive, au service de la lecture en creux que suppose toujours l’histoire, pour aboutir à cette conclusion fameuse selon laquelle de Gaulle, chrétien convaincu, officier de carrière et saint-cyrien, n’est sans doute pas un homme de droite alors que Mitterrand, quant à lui, sénateur puis député de la Nièvre, fief de la gauche, secrétaire général du Parti Socialiste, promoteur du programme commun et de l’alliance avec les communistes, est certainement quant à lui tout sauf un homme de gauche.
- Le combat contre les légendes, ainsi celle des communistes, résistants de la première heure, celle des pétainistes qui seraient tous issus de la droite réactionnaire alors que c’est la France du Front Populaire qui confère les pleins pouvoirs au Maréchal, celle de la droite congénitalement colonialiste quand Jules Ferry et bien plus tard Guy Mollet la défendent, ce dernier en menant une répression sanglante contre le FLN avec le concours actif de son sémillant Garde des Sceaux et futur ministre de l’Intérieur, un certain François Mitterrand, et quand enfin, en contrepoint, de Gaulle détricote l’empire, le plus souvent sous l’invective de son camp.
- L’humour aussi lorsqu’il s’agit d’évoquer les amitiés et les complicités, en opposant les délires géniaux et autres fulgurances de Malraux aux gesticulations de Jack Lang, qualifié de « roi de la fête », et même de « roi de la teuf… » dans l’expression d’une échelle de valeurs qui n’utilise pas le même clavier.
Quelques réserves
La limite que suppose toujours le trait fort, voire insistant sur un aspect des choses. Ainsi et du coté de François Mitterrand, l’évocation systématique et presque obsessionnelle de son passé d’extrême droite sur tous les thèmes abordés qui pourrait conditionner toutes les autres analyses ; des Croix-de-feu du Colonel de la Rocque à son asservissement à Vichy, de son admiration jamais démentie pour le Maréchal dont la tombe de l’ile d’Yeu, fleurie des années durant, constitue sans doute l’expression emblématique, jusqu’aux amitiés impossibles, ainsi celle de René Bousquet, secrétaire général de la Police Nationale et à ce titre responsable de la rafle du Vel d’Hiv en juillet 42, antisémite notoire, de toutes ces compromissions et de tous ces chemins de traverse, il ne peut sans doute rien du point de vue d’Onfray émerger d’admirable, voire de simplement respectable, ces faits révélés notamment par l’ouvrage de Pierre Péan dénonçant pour lui l’imposture.
Encore un mot...
Michel Onfray prend ici tous les risques. Il défend la morale en politique, la vision, la constance et l’idéal au service d’une cause qui doit dépasser l’homme public. Comment le lui reprocher dans ce monde qui prône la morale sans jamais plus la pratiquer, en mettant son discours balisé par les lois de circonstance au service d’un pharisianisme constant, à droite comme à gauche. L’auteur, grand maître du paradoxe, lui-même classé à gauche et souvent identifié comme anarchiste, en tous cas certainement athée, joue à front renversé en magnifiant de Gaulle et ses repères transversaux, l’homme de « la participation » et de la démocratie verticale, inclassable, éduqué à l’esprit critique par une famille catholique et dreyfusarde.
Ainsi l’auteur refuse-t -il de réduire le grand homme à son obédience religieuse et la réserve qu’elle pourrait lui inspirer ; et jouant, à l’instar du philosophe grec sur ce registre moral, il prend le parti de mettre Mitterrand « échec et mat », en réglant au passage le compte de ses thuriféraires et autres hagiographes serviles. Il y a une forme de jubilation à lire cette belle leçon de morale publique, au-delà des personnages qui inspirent l’auteur dans cette entreprise de démolition, sans doute partagée quand tout le monde aujourd’hui se déclare gaulliste, et notamment à gauche, et quand plus personne ne s’imagine mitterrandiste, si tant est que le mitterrandisme ait une substance, ce que conteste Onfray.
Une phrase
“ Après la mort du général de Gaulle, il ne fut plus question de grandeur. Le général avait dit que le peuple avait choisi d’être un petit peuple, il eut donc de petits gouvernants. Le plus petit des petits de ceux-là eut à cœur de détruire tout ce qu’avait fait le général de Gaulle ; ce fut sa seule constance : faire que ce qui avait été grand devint petit - il s’appelait François Mitterrand.
A propos de de Gaulle et de Malraux et de leur amitié :
“ Ils sont à la fois inégaux et égaux : inégaux car l’un se croit, se dit, se veut le France et ne saurait supporter qu’elle ait deux époux mystiques. Mais égaux parce que chacun dans son registre, le chef et l’écrivain, le militaire et le penseur, le soldat et le moine, ils incarnent l’excellence et contribuent au prestige de la France.”
L'auteur
On ne présente plus Michel Onfray, philosophe inclassable lui aussi, riche d’influences et de visions supposées contraires dans le monde binaire des élites modernes. Déclaré à gauche, proche un temps de la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire), il ne conspue pas ou plus tous les capitalismes, mais plutôt le libéralisme et en particulier dans cet ouvrage, ce libéralisme qu’il associe au triomphe du cynisme marchand, éloigné des peuples et de leurs aspirations, transversal et international, bientôt responsable de la mort des souverainetés et des démocraties. Eurosceptique, il récuse le traité de Maastricht qui scelle selon lui la revanche de Roosevelt qui, ayant manqué de peu la colonisation de la France à Yalta, va réussir celle de l’Europe aujourd’hui, ce discours le rapprochant de quelques acteurs classés à droite, Eric Zemmour ou Philippe de Villiers dans son procès mené à Jean Monnet. Autre paradoxe que celui de son athéisme qu’il qualifie par un oxymore « d’athéisme chrétien » par référence à sa culture judéo-chrétienne dont il déclare ne pas pouvoir contester l’empreinte.
Auteur prolifique et distingué et notamment pour son Traité d’athéologie, promoteur d’une université de philosophie libre, l’Université Populaire de Caen, il apparaît souvent sur les plateaux de télévision, polémique avec Zemmour, combat la théorie du genre et renvoie les professeurs à leur mission, apprendre à lire, à compter, écrire et penser… Ses prises de position sur ces sujets graves et bien d’autres, ainsi encore l’immigration ou l’écologie l’assignent au classement par assimilation, à l’étiquetage réducteur qui lui vaut aujourd’hui d’être « fiché » à droite par quelques-uns et pourrait lui valoir demain le bannissement médiatique.
Commentaires
Bravo pour cet avis très fourni et détaillé qui m a décidé à acheter ce livre!
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