Vagabondages
Éditions Séguier, collection l’indéfinie, 248 pages, 19 euros
Infos & réservation
Thème
Le récit, publié en 1927 en Hongrie et récemment sorti de l’oubli, commence fort : « Je m’étais mis en route afin d’accomplir ma vie ». Notre héros, artiste d’avant-garde, connaît l’ivresse inexplicable du mouvement, de la mise en route pour estimer sa vie au jour le jour, trouver son propre chemin, éprouver sa « liberté responsable » malgré les mensonges et les oublis de ses deux compagnons d’infortune. Trouver l’art de ne rien faire occupe leurs journées consacrées à la débrouille, au vol parfois quand l’air du temps et la liberté s’entraident pour survivre. Ces vagabonds volontaires savent bien ce qu’ils veulent : vivre de l’errance, de la rencontre, du but : Paris, capitale des arts. Sur leur route, traversant la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne et la Belgique, ils font l’apprentissage de l’ordre figé d’un monde à la fois mesquin et généreux vis à vis de l’oisiveté.
Dans ce « guide du routard » avant l’heure, on marche à l’errance, au petit bonheur de la chance, du froid et de la pluie. La fatigue, l’ennui, la faim, la lèpre de la pauvreté, le plan foireux du jour, le désespoir, rien n’arrête celui qui marche sans but et sans émotion, mendie dans un « purgatoire inventé par un Dieu sans pitié ».
Points forts
Ce livre singulier légitime le choix éclairé de son éditeur qui affiche sa quête de « curiosités ». L’artiste prolétaire abstrait est doué à rendre compte du concret des choses, à évoquer la nature, végétale et animale ; il raconte d’une plume vive son périple, les contrées d’accueil. Il livre avec humour autant ce qu’il ressent que ce qu’il voit : mieux vaut accompagner le temps qui passe et prendre la vie en marche. Son métier de chômeur l’oblige à fréquenter les foyers ouvriers, les gîtes de charité, les asiles de nuit, les lits pouilleux ; à tester la bonté de quelques-uns, la camaraderie des pauvres, la charité de ceux qui savent accueillir la misère de l’Europe de ce début du XXème siècle. Lajos Kassak est un talentueux peintre du verbe ; le regard éclaire, le détail fuse ; le texte livre à chaque instant de belles pépites.
Quelques réserves
Le seul défaut du livre est d’avoir mis tant de temps à franchir la frontière de sa traduction.
Encore un mot...
Ce guide intemporel et jubilatoire offre au lecteur une philosophie du vagabondage, une morale des routes, un manuel du savoir-marcher et du pouvoir survivre dans la poésie de l’instant qui se présente. Sous la route, le héros piétine un vrai terreau d’humanité. Vivant pour son âme et la rencontre d’autres hères, il organise sa survie de gueux inspiré au ras de ses rêves. Cette œuvre vivante, témoignage d’une époque encore insouciante, mérite de figurer au Panthéon des classiques œuvres routardes, celle qui vous ferait partir n’importe où répondre dans l’heure aux instants qui vous invitent à aller voir ce que l’ailleurs recèle de bienfaits.
Une phrase
Elle vit pour de bon, la vie.
Hier était loin et demain ne m’intéressait pas.
Faut jamais s’en faire, la fin du monde est encore loin.
Ces riens vous font parfois un bien extrême.
L’homme n’a pas à ressembler à Dieu.
Je suis incapable de résister aux choses bizarres.
Je me contentai de vivre sans but.
Ce monde, on m’y a mis mais je ne veux pas préparer la vie mais la vivre.
Nos désirs rompirent leurs digues.
Faites attention à ne pas confondre la France entière avec Paris.
L'auteur
Lajos Kassak (1887-1967) fut tout à la fois poète, écrivain, “peintre prolétaire” (comme il se définissait), fondateur de plusieurs revues littéraires d’avant garde, et surtout… contestataire ce qui lui valut plusieurs séjours en prison. Le Paris des dadaïstes le fascine et le voilà qui décide, un beau matin, de partir à pied jusqu’à la capitale française. Oisif, sans un sou en poche, vivant d’aumônes ou quelquefois de rapines, accompagné de l’écrivain anarchiste Emil Szittya, Lajos Kassak, non sans humour, relate les situations burlesques qu’ils ont affrontées. Ses Vagabondages paraissent pour la première fois en français.
Ajouter un commentaire