Utopies Jazzistiques, Portraits choisis de Thelonious Monk à Michel Petrucciani
Parution le 11 février 2024
237 pages + photos
27 €
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Thème
Si le 20ème siècle en a connu d'autres, en musique, le Jazz a été une petite révolution aux grands effets. Ses enfants sont nombreux et les plus grands compositeurs contemporains se sont penchés sur son berceau depuis les années 40. Dans cet univers-là, avec le recul du temps, il y eut des montagnes, des étoiles filantes, des anges parfois déchus, des monstres sacrés. Philippe Hansebout, tombé dans le Jazz à 12 ans, en est aujourd'hui un expert à la mémoire aussi phénoménale que la force d'Obélix après sa chute dans la potion magique.
Car au fond, ces Portrait choisis - entendez par là qu'il n'est pas question de parler de tous les maîtres du Jazz - ces personnalités ont nourri la culture musicale de l'auteur, et ont baigné dans le bain savoureux de son esprit affiné aux grands auteurs de la philosophie et de la psychanalyse du 20ème siècle. Au gré de ces 23 portraits esquissés dans un français soutenu, vous découvrirez ou redécouvrirez de nombreuses facettes de ces artistes monumentaux qui ont façonné, au delà du Jazz qui fut leur piédestal, le Be Bop, le Hard Bop et le Free Jazz, et finalement, nos goûts musicaux.
Points forts
Il n'est pas exagéré de dire que Philippe Hansebout est un érudit du Jazz. 12 ans pour les premiers émois, et quelques décennies plus tard, ses portraits fourmillent d'anecdotes, historiques, reçues sous le sceau de la confidence, ou personnelles - ce qui donne beaucoup de "chair" à ces raccourcis de vie. Pour sortir de l'énumération des points forts d'un ouvrage, voici en 23 lignes - ou un peu plus - quelques mots inspirés par chaque portrait, pour vous donner envie d'en démêler le mystère !
André Audier, le compositeur mythique de la Jazzosphère.
Thelonious Monk(piano), LE monstre sacré, l'inventeur avec Dizzie Gillespie, du Be Bop !
Charlie Parker, saxo et oiseau - surnom "le Bird" ! Un goût d'éternité…
Charles Mingus, une contrebasse pour la composition spontanée.
Max Roach, le percussionniste homme orchestre, enseignant, militant des droits civiques.
Art Pepper, un saxo de rêve, une vie de naufrage.
Miles Davies, le trompettiste solitaire !
Stan Getz, le saxo lunatique.
Martial Solal (piano et composition), l'homme du riff entêtant et de la discontinuité.
Bill Evans, pianiste de l'interaction, inventeur du trio démocratique !
Chet Baker, trompettiste et ange déchu.
Cecil Taylor, le pionnier du Free Jazz et du Hard Bop, la composition comme "puissance de destruction".
Sonny Rollins, le saxo de toutes les aventures du Jazz moderne.
Michel Legrand, compositeur, musicien et chanteur, "à nul autre pareil en France".
Albert Ayler, un saxo qui dérange, artiste "du cri et de la distorsion", à la recherche de l'innocence perdue du Jazz.
Charlie Haden, un contrebassiste compositeur, didacticien de la mémoire et de l'oubli.
Archie Shepp, un saxo au service de la "Great Black Music", intellectuel et humaniste.
Jean François Jenny-Clark, la contrebasse comme outil de recherche.
Boulou Ferré, une guitare pour le Jazz manouche, mais pas que !
Michel Petrucciani, un pianiste exceptionnel et un rêveur éveillé, auréolé de mystère, de lumière et de gloire.
Michel Portal, une clarinette pour composer et improviser l'impossible.
Daniel Humair, un batteur aux côtés des plus grands.
Rhoda Scott, l'ange afro-américain de l'orgue Hammond, la musicienne aux pieds nus !
Ces 23 focus, composés chacun de moins d'une dizaine de pages, sont accompagnés d'une photo et de la citation, dans leurs contextes respectifs, de très nombreux autres acteurs, clubs et artistes de la Jazzosphère, des années 1940 à notre premier quart de 21ème siècle !
Quelques réserves
Il était question dans la présentation de l'ouvrage de "français soutenu". Cette découverte sémantique apparue dans la bouche des enseignants signifie simplement que ce livre est (très) bien écrit, et émaillé de mots parfois savants, du moins pour ceux qui ne sont pas familiers des écritures contrapuntiques, des idiosyncrasies musicales, des riffs, ou de la syncope. Il faut le dire aussi, ne négligez pas une "lecture soutenue", car il n'est pas question ici de portraits factuels, mais de portraits subjectifs auxquels la sensibilité de l'auteur donne une couleur particulière, "s'échappant" parfois du périmètre de vie de l'artiste célébré.
Ces portraits se croisent de temps en temps, ce qui est normal puisque ces artistes se sont connus, ont joué parfois ensemble, interprété ou "déstructuré" des standards de leurs aînés; cela contribue à des redites - mais cela vous permettra de vous rendre compte que vous avez bien enregistré les informations contenues dans les portraits précédents ! Enfin, vous regretterez peut-être quelques absents, mais nous l'avons dit, ces Utopies Jazzistiques forment le Panthéon personnel de l'auteur.
Encore un mot...
Il est, dans ces pages, évidemment question de musique, de talents hors pairs. Le Jazz à l'épreuve de l'histoire, mais aussi une analyse des styles, des influences, des succès et des échecs, quelques naufrages provoqués en particulier par la consommation excessive de drogues. Il y est aussi question de réflexions sur une époque qui a été mais n'est pas révolue, sur l'existence, le temps et ses effets, dans laquelle la philosophie prend place entre notes et accords (Jacques Derrida, Heidegger, Roland Barthes, Spinoza, Nietzsche, Maurice Godelier, Hannah Arendt…), comme la poésie (Omar Khayyâm dont Charlie Parker se revendiquait, René Char) ou encore quelques réalisateurs (Truffaut, Godard…) et acteurs - un autre Panthéon que Philippe Hansebout nous propose de parcourir sous le regard de ses monstres sacrés. Des regards qui interpelleront les amateurs, que ces références "croisées" rendront, certainement, plus experts !
D'une très grande richesse pour découvrir l'univers du jazz contemporain, ce livre est à découvrir avec les yeux autant qu'avec les oreilles ! N'hésitez pas à parcourir ces portraits en écoutant les œuvres citées.
Une phrase
- A propos de Thelonious Monk
"… on pourrait voir dans l'approche déconstructionniste de Monk face à un standard un moyen de le renvoyer à ses conditions historiques de production et aux procédés purement conventionnels mis en œuvre pour capter l'attention de l'auditeur et provoquer son émotion. Monk parvient à ce résultat en ré harmonisant de fond en comble et selon sa manière les standards en question. Il fait entendre les hésitations et les frottements de la ligne mélodique par le recours à des écarts inusités comme la seconde ou la huitième diminuée.
Les effets de dissonance obtenus contribuent à la désarticulation complète du standard qui, comme son nom pourrait l'indiquer, puise dans le vaste réservoir des sentiments - la séparation ou l'amour fou, la joie d'être à deux ou la solitude, la gaîté primesautière ou la mélancolie, la déclaration d'amour ou l'amour déçu - et semble tourné en dérision. Mais Monk parvient paradoxalement à faire accéder à une vérité plus profonde et suscite chez l'auditeur une émotion intense et parfois déchirante où le sentimentalisme d'une bluette ou d'une ballade de Broadway n'est finalement pas rejeté en tant que tel, mais acquiert, grâce au jeu hypnotique, circulaire et lancinant de Monk, une noblesse étrange et incomparable." P 41 - A propos de Miles Davies
" Cette musique inventa une branche alternative au free jazz que Miles abhorrait et dont elle fut strictement contemporaine. Le free jazz lui aussi, et comme son nom l'indique, inventait la liberté, mais en entreprenant, au moins dans ces moments extrêmes de pure frénésie, de détruire tout ce qui l'avait précédé pour atteindre un vide vertigineux où tout avait disparu : pas de tempo, pas de mélodie, pas d'harmonie.
L'approche du quintet fut diamétralement opposée, ses membres étaient d'une culture musicale hors du commun et connaissaient tout des règles anciennes, mais ils entendaient s'appuyer sur elles pour les dépasser. Ils étaient comme le Matisse des papiers collés ou le dernier Braque des oiseaux en aplat, ils avaient tout assimilé de leurs devanciers et de leur propre apprentissage pour créer leur espace de liberté." P 93
L'auteur
Philippe Hansebout a reçu une solide formation universitaire en philosophie, littérature et histoire ; il est ancien élève de l'ENA. S'il est un amateur éclairé de Jazz, il a d'abord contribué, à Paris, dans la haute fonction publique, à l'épanouissement de projets notamment culturels, lieux de spectacles et de débats comme le CentQuatre, la Gaîté Lyrique ou la Maison des Métallos ou des événements comme La Nuit Blanche, dédiée à l'art contemporain. Les textes qui figurent dans Utopies Jazzistiques sont publiés ici pour la première fois et leur écriture s'échelonne sur une période 25 ans, de nombreux écrits en 2023, le dernier en mai, hommage à la seule femme de l'ouvrage, Rhoda Scott.
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