Une vision du monde
Janvier 22
864 p.
30€
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Thème
Cet ouvrage signé par un des hommes politiques les plus proches du pouvoir pendant 19 ans exactement (14 ans aux côtés de François Mitterrand et 5 ans comme chef de la diplomatie sous la 3è cohabitation) traite de la métamorphose du monde politique pendant les années Mitterrand jusqu’à nos jours.
Pour résumer la pensée et le discours d’Hubert Védrine, citons le : « Nous sommes passés d’un monde bipolaire à un monde multipolaire avec l’arrivée sur le devant de la scène de pays émergents (les fameux Brics), la disparition de l’URSS en tant que grande Fédération de Russie et le rôle fondamental d’une superpuissance, la Chine » (le pays aux 2000 milliards de $ de réserve). La chute - Védrine parle plutôt de déchirure - du Mur de Berlin a sonné le bouleversement de l’ordre mondial et la remise en question du leadership américain. Pendant 20 ans le parapluie nucléaire des Etats Unis ne semble plus indispensable. Mais tout change très vite. L’écart de pensée entre l’Europe et les Etats Unis se creuse. Pendant 20 ans l’Europe baignée d’optimisme a vu la vie en rose tandis que les USA ont voulu croire à un nouvel ordre international gouverné par le leadership américain. « Les Européens rêvaient à un monde post-tragique et post-historique ».
Ainsi ce diplomate sceptique, cet observateur réaliste, ce cynique - diront certains - rassemble sur 800 pages différents écrits, lettres, conférences, essais, réflexions antérieures ou actuelles, ordonnés suivant 6 chapitres commentant sa vision du monde : 1. Préface : un réaliste à contre-courant - 2. Penser la géopolitique et les relations internationales dans un monde chaotique - 3. Ecologisation - 4. La France - 5. L’Europe - 6. Le Monde. Hubert Védrine ne mâche pas ses mots notamment au sujet des Européens qui s’affrontent, affichant leurs divisions et leur égoïsme. S’ils continuent, estime-t-il, ils vont droit dans le mur à force de reniements (exemple les accords d’Helsinki qui prévoyaient des négociations pour l’entrée de la Turquie) et d’atermoiements. Cela n’empêche pas Hubert Védrine d’annoncer une Europe à 30 d’ici peu, estimant inéluctable l’entrée de la Serbie aux côtés de la Sublime porte. Théoricien de l’Equilibre et chantre de la Real Politique, il affirme : « L’Europe vue par les atlantistes d’un côté et par les post-historiques de l’autre, ça ne marche pas » et plus loin : « L’Europe mourra d’obésité ou de liquéfaction si elle n’est pas capable de se fixer des limites géographiques ». A chaque page les phrases de ce diplomate littéraire font mouche. Autre regret, autre erreur beaucoup plus dangereuse : l’incompréhension manifestée à l’égard des dirigeants, son président en tête, de la Russie, autrefois étranglée, voire humiliée, aujourd’hui rejetée. Védrine visionnaire ?
Points forts
Idées claires, phrases chocs, rencontres historiques. Enfin un diplomate qui ne pratique pas la langue de bois ! Il semblerait que pour Védrine, au moins en ce qui concerne les rapports entre les peuples et les relations internationales, toute vérité est bonne à dire à condition de respecter trois comportements : pragmatisme, réalisme, équilibre.
Védrine brille particulièrement lorsqu’il évoque son engagement aux côtés de François Mitterrand pour faire aboutir, puis élargir et muscler la construction européenne Ce ne fut pas une mince affaire, notamment avec les Anglais de Tony Blair et de Margaret Thatcher. Le portrait de l’homme Mitterrand est saisissant de complicité, de clairvoyance, tant Védrine réussit à décrypter ce « sorcier romantique » tout au long d’un véritable compagnonnage qui dura près de 22 ans.
Quelques réserves
On est parfois perdu après avoir été ébloui par un certain « jargonnage ». Certaines analyses ou compte rendus semblent parfois remonter aux calendes ou sont moins convaincants, telle la description du « piège rwandais » et sa défense véhémente de la politique française dans l’Afrique des grands lacs à l’époque. Védrine n’est pas encore Talleyrand ni le prince de Machiavel, malgré tout son talent. Mais un jour viendra certainement où on classera cette Vision du monde au rayon des classiques avec les grandes Mémoires du temps.
Encore un mot...
Cette (retro) vision du monde n’est pas un roman, ni dans un sens ni dans l’autre, et ses 800 pages ne se lisent pas comme telles. Plus œuvre de mémoire que de prospective, elle permet toutefois de comprendre tous les enjeux de la géopolitique moderne dans un monde multipolaire où la France a tant de mal à faire entendre sa voix. Si notre pays y est parvenu parfois, c’est grâce à cette diplomatie de la lumière (la paix) et de l’ombre (l’art de négocier). Mais, puisque c’est la triste actualité, rencontrons l’auteur sur le terrain de l’Ukraine et des relations avec Vladimir Poutine : Hubert Védrine remet les compteurs à zéro en nous expliquant les ressorts psychologiques qui animent depuis dix ans le maître du Kremlin. Et surtout en dénonçant l’aveuglement des pays européens, obstinément rivés sur la ligne « On a gagné, ils ont perdu » des Américains après la chute du Mur. D’ailleurs il est très clair quand il écrit : « D’accord avec Brezinski, il eut fallu proposer un statut de neutralité à l’Ukraine ; quel intérêt avons-nous à poursuivre dénonciations et sanctions contre une URSS qui est beaucoup moins dangereuse et interventionniste qu’à l’époque du rideau de fer ?»* Et puis moqueur, citant quelque observateur collectif : « Et ce Poutine, ce n’est pas qu’il soit si dangereux, ni la Russie si puissante, mais il est trop insolent !» Pas fini, l’esprit de croisade !
*Une Vision du monde a été achevé d’imprimer en Janvier 2022 !
Une phrase
« On lit depuis cet été (2021) beaucoup d’âneries sur la politique russe du Président Macron. Il ne prend pas le virage « pro russe » il essaye juste de sortir la France et si possible l’Europe, voire l’Occident tout entier, d’une impasse stérile. On l’a un peu oublié mais c’est cela une politique étrangère. Il aurait tort de ne pas le faire. Il est le seul à pouvoir le tenter ».
L'auteur
Hubert Védrine, né en 1947, sort de Sciences Po et de l’ENA, avec en outre une licence d’histoire en poche. Il entre tout de suite dans le bain de la politique par un hasard plutôt heureux. Un simple entretien avec François Mitterrand en 1981 sur une recommandation paternelle (ancien résistant) et le voilà nommé conseiller diplomatique du Président au sein d’un brain trust de rêve. En 1986 il est nommé au Conseil d’Etat puis porte-parole du gouvernement et enfin Secrétaire général de l’Elysée en 1991. Il y restera jusqu’en 1995 ; il sera nommé ministre des Affaires étrangères une première fois dans le gouvernement Jospin puis dans le gouvernement de cohabitation suivant, jusqu’en 2000. Jacques Chirac dira de lui : « Il est d’une exigence gaullienne et d’un pragmatisme mitterrandien ». Il assume depuis de nombreuses missions gouvernementales et conférences internationales. Nombreux ouvrages : Dictionnaire Amoureux de la géopolitique (Fayard 2021), Après le chaos, sauvons l’Europe (Fayard, 2016), Le Monde au défi (Fayard 2016), Et après ? (Fayard, 2020) et avec son fils Laurent une savoureuse biographie du maléfique colonel Olrik, éternel ennemi de Blake et Mortimer dans la BD éponyme…
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