Une seconde vie
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Thème
François Jullien démarre son livre par une pensée du petit matin: ma vie socialement, économiquement et moralement enlisée dans ce monde, ne pourrais-je m'en libérer pour véritablement exister dans une seconde vie ?
Cette interrogation a rarement lieu d'être quand on est au cœur du combat pour se faire une place, jouer des coudes, bomber le torse.
Souvent, c'est un évènement qui déclenche cette démarche : une maladie, un deuil, ou tout simplement la retraite. En réalité, c'est quand l'échéance finale s'installe de façon permanente dans notre paysage.
Dans un précédent livre, "Transformation silencieuse", François Jullien recensait ces transformations qui cheminent sans qu'on les remarque.
C'est ainsi que, petit à petit, le jeu social, la compétition professionnelle, les fausses ambitions nous pèsent. Et, souvent, quand notre propre disparition devient la butée de notre futur, ce poids s'accentue.
On peut alors réorienter sa vie en la dégageant de toutes ces règles et conventions arbitraires, en se référant à sa propre expérience. Pas d'espoir d'éternité mais exister au mieux pour le temps qui nous reste. Repenser sa première vie pour se repenser soi-même, hors des références habituelles que sont la vieillesse ou la sagesse et qui risquent de nous détourner de nous-mêmes, autant que les conditionnements divers de notre première vie.
Comment nous dégager gaiement de tout ce fatras qui nous cache à nous-mêmes ? Le réexamen de notre expérience intime peut alors nous permettre de trouver notre voie, de reprendre l'initiative, sans référence au logos hégélien de la raison explicite, mais en s'inspirant de Montaigne, grâce à la lucidité que notre cheminement nous a permis d'aiguiser.
Cette lucidité, exigence de notre conscience, est l'œuvre d'une décantation, d'un dévoilement : Mallarmé parle d'un "hiver lucide". François Jullien précise "sans résignation, ni renoncement" et la qualifie de cheminement vers le "gai savoir".
Pas de rupture, de coupure dualiste mais un nouveau souffle, esthétique et éthique.
Transformation silencieuse de Montaigne en Confucius, pour admirer ce grand mouvement du monde, sans clivage, sans entrave et pour laisser surgir un nouveau langage.
Dans un livre précédent, "De l'intime", François Jullien fait l’apologie de l’intime et détrône l’amour de son monopole occidental de la pensée de l’Autre.
Cette bulle mythologique du premier amour, ces illusions réexaminées à la lumière de la lucidité de l'expérience peuvent elles aussi être "dégagées" pour dévoiler un second amour découvert dans l'intimité de la présence partagée, désenlisé de conquête et de captation.
Ce second amour implique une réciprocité, chacun y étant sujet et y ex-istant dans l'autre. Un intime, sans déclaration, sans rupture, qui prend sa source dans le temps qui reste. Contrairement au premier amour, cet intime peut devenir "extime" et permettre d'accéder à l'infini, s'il est perpétuellement renouvelé par le truchement d'une complicité et d'une festivité réenchantant l'éros.
Points forts
Un formidable gage d'espoir pour tous les valides du troisième âge qui trouveront là des raisons de s'engager dans leur seconde vie.
Mais aussi une pensée fine et sensible, une écriture qui réussit la synthèse improbable de Montaigne et de Confucius.
Quelques réserves
A lire ce livre on pourrait penser que les retraités du monde occidental sont tous engagés activement dans leur seconde vie. François Jullien ne cherche pas à comprendre pourquoi ce n'est pas le cas.
Encore un mot...
Une citation tirée de la conclusion de ce livre : "Pour pouvoir enfin un matin, quand on tire le rideau de sa fenêtre, qu'on regarde la maison d'en face et la rue, commencer de voir se lever, du fond même de la nuit, ce que peut être un matin. Un matin "de plus", mais émergeant du monde, tout en procédant du monde, et tel qu'on ne l'avait jamais aperçu."
L'auteur
François Jullien est ancien élève de l’école normale supérieure, agrégé de philosophie et docteur en études extrême-orientales. Après avoir étudié la langue et la pensée chinoises aux universités de Pékin et de Shanghai, il a été responsable de l'Antenne française de sinologie à Hong-Kong, puis pensionnaire de la Maison franco-japonaise à Tokyo.
L'analyse d'Angelo Rinaldi résume ce parcours : «Penser entre la Chine et la Grèce. Il s'agit en effet de réfléchir à l'impensé de notre pensée, dont la Grèce a posé les fondements. La Chine offre les moyens d'une prise oblique, une possibilité de nous retourner sur nous-mêmes et de nous considérer du dehors. C'est à la constitution de cette extériorité que s'attache d'abord François Jullien, l'autre versant de son travail étant de revenir aux fondamentaux de la pensée européenne.».
François Jullien n'a cessé d'organiser le vis-à-vis des pensées de la Chine et de l'Europe, plutôt que de les comparer, afin de déployer entre elles un champ commun de réflexion. Etant conduit ainsi à circuler entre des domaines aussi divers que la morale, l'esthétique, la stratégie, les pensée de l'Histoire comme de la nature, il a en vue, par cette "déconstruction" menée du dehors, de détecter les parti pris enfouis ainsi que de faire apparaître notre impensé.
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