Tu le sais bien, le temps passe Souvenirs, Souvenirs 2

Mémoires politiques. Une éclatante démonstration d’endogamie politico-médiatique
De
Catherine Nay
Bouquins éditeur
Parution le 25 novembre 2021
352 pages
23 €
Notre recommandation
4/5

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Lu
par

Thème

  • Après le succès retentissant du premier volume de ses mémoires, intitulé Souvenirs souvenirs - en écho avec l’un des tubes des Chaussettes noires emblématiques de sa génération (C. Nay est née en 1943) - la journaliste-éditorialiste-chroniqueuse-commentatrice politique poursuit son récit et s’attaque à la période 1995-2017, couvrant la bagatelle de quatre présidences.
  • On retrouve les péripéties et les principaux protagonistes de la vie politique française d’alors, au fil d’un récit linéaire qui ne s’interdit cependant pas quelques arrêts sur images, l’évocation d’épisodes personnels et familiaux, des portraits et des saillies plus ou moins comiques et connues du grand public.

Points forts

  • L’écriture de Catherine Nay rend ses mémoires d’une lecture aisée et fort plaisante : un style clair, des phrases relativement courtes, un rythme soutenu, la chroniqueuse vedette d’Europe 1 parvenant à la même efficacité à l’écrit qu’à l’oral.  Cependant la fin du livre, à l’exception du chapitre consacré à la mort d’Albin Chalandon, semble expédiée, qui tourne au plat récit, avec une relecture éditoriale qui laisse à désirer.
  • Les passages évoquant les débuts de l’interminable dégringolade de la station du flamboyant Jean-Luc Lagardère sont éclairants, une fois les conflits d’ego entre “vaches sacrées“ et nouveaux “petits marquis“ évacués, les multiples tentatives de redressement d’Europe 1 et les diverses stratégies envisagées sont décrites avec finesse par une observatrice et une actrice placée aux premières loges. Les chapitres consacrés à sa famille, au décès et aux secrets d’Albin Chalandon, alias « Minou », touchent par leur sincérité et leur affection non feintes. 
  • Pour le reste, qui compose l’essentiel du propos, le récit est bien là où on l’attend : une galerie de portraits assez enlevés, des situations piquantes qui sont autant de révélations sur les grandeurs et misères de la vie politique française ces 25 dernières années. On apprend par exemple qu’en 1997, Martine Aubry, la « mèremptoire », n’était pas si enthousiaste que cela à l’idée des 35 heures, du moins initialement. Les dessous de l’absurde dissolution de 1997 sont disséqués de telle manière qu’il n’y a plus grand chose à ajouter à la question. Le rôle non négligeable de Nicolas Sarkozy dans la lutte contre la crise des subprimes fin 2008 est plus convenue et n’apporte pas grand chose à ce que l’on savait déjà. 
  • Effectivement, c’est à une traversée dans “l’ancien monde“ avec toutes ses failles et ses faiblesses à laquelle nous sommes convié-e-s. Reste à savoir si le nouveau promis depuis 2017 par l’actuel locataire de l’Élysée et son mouvement diffère tant que cela du précédent... à en juger par la récurrence des “affaires“ (voir « Les 100 raisons de ne pas voter Macron » recensées par Julien Auber dans les colonnes du Figaro, le 11 avril 2022) et un goût jamais démenti pour la verticalité du pouvoir, il est permis d’en douter.

Quelques réserves

  • La principale réserve tient à ce que le livre révèle « à l’insu de son plein gré », mais de manière éclatante, un peu à la manière de la fameuse Lettre volée d’Edgar Allan Poe : le parcours de Catherine Nay, comme celui de bien d’autres journalistes politiques de sa trempe et de sa génération (J.-P. Elkabbach, Al. Duhamel), constituent autant de formidables illustrations de la consanguinité et de la porosité entre les mondes politique et médiatique. 
  • Il n’est pas seulement question de la longue histoire d’amour vécue par l’auteure avec un “baron du gaullisme“ (Albin Chalandon), par ailleurs résistant exemplaire et doté d’une vive conscience humaine qui l’honore. Catherine Nay a, de ce point de vue, fait des émules, si l’on songe à Christine Ockrent, Anne Sinclair ou Léa Salamé, pour ne citer qu’elles et tenir la balance à l’équilibre entre la droite et la gauche de notre échiquier politique. 
  • C’est surtout la récurrence des situations de proximité au quotidien dont la relation benoîte laisse pantois. Ici, d’innocentes et fréquentes parties de tennis entre tel chroniqueur vedette et un chef socialiste, que l’on l’imagine fort bien conclues d’un « Cher ami, puisque vous venez de perdre cette partie, vous me devez bien un livre d’entretiens en vue de la ma candidature aux présidentielles, n’est-ce pas ? ». Là, des restaurants de grand luxe et de somptueuses réceptions que tel ou tel responsable politique réserve à des journalistes triés sur le volet. Bref, petites faveurs, grandes facilités : on perçoit à chaque page la dimension sacrificielle d’un tel métier, le tout, cela va sans dire, au nom de la sacro-sainte recherche de l’information, Graal de la profession...
  • Comment, dans ces conditions, envisager de faire croire à une quelconque impartialité ? Comment recevoir les doctes analyses sans le moindre soupçon sur leur probité, leur nature et leur fonction ? Comment ne pas les interpréter comme liés à la communication bien plus qu’à de l’information politique ? Ces prestigieux détenteurs de la carte de journaliste sont-ils des “médias“ ou bien des “relais“ utiles pour les forces et les responsables politiques, tentés de les instrumenter par le biais d’une connivence de tous les instants ?
  • À l’heure où, en France, le journalisme d’investigation rencontre les plus grandes difficultés - les pressions des intérêts concernés se doublant d’une pénurie de moyens - quel crédit accorder à ces “grandes voix“ et autres “signatures, dont l’opinion tient lieu d’analyse politique, et dont le succès et l’audience laissent bien des journalistes étrangers (anglo-saxons notamment) perplexes sur l’état, la fiabilité et la qualité de l’information de masse en général, et du commentaire politique en particulier dans l’hexagone ?

Encore un mot...

  • On a beaucoup glosé dans l’Entre-deux-guerres sur « l’abominable vénalité de la presse française » (l’expression est de Boris Souvarine), mais celle des Trente Glorieuses peut-elle lui en remontrer en matière de collusion ? 
  • En effet, ces Souvenirs alourdissent le passif d’un certain journalisme politique encore en vogue de nos jours. Outre la confusion entre opinion et analyse politique, la constante reductio ad hominem (les personnalités, leurs caractères et affrontements formant les clefs d’explication souveraines), voilà que “l’aristocratie“ du métier s’expose à un procès en consanguinité. Ajoutez à cela la déplorable  tendance à essayer de deviner ce qui se passera au lieu d’analyser convenablement ce qui se déroule - le journaliste n’étant pas un augure mais plutôt “l’historien du présent“ - et la barque semble bien chargée pour les prestigieuses signatures de la presse politique française.
  • Ces pièces à conviction ne sont pas de nature à atténuer la méfiance que nos concitoyens éprouvent envers l’information, quitte à s’en remettre à des canaux et des sources encore plus discutables.

Une phrase

  • « Je me souviens d’un déjeuner au conseil général des Hauts-de-Seine. Charles Pasqua nous avait invitées, Michèle Cotta et moi, et reçues avec faste, en insistant lors de l’apéritif pour nous faire goûter plusieurs vins, certains venant de Corse [...] à la fin du repas, un chariot de desserts, comme on en voit dans les grands restaurants, nous proposait un choix de pâtisseries digne d’un cinq étoiles. [...] Un autre souvenir me revient. J’étais allée le voir un dimanche matin sur le coup de 11 heures pour Europe 1. Il m’avait reçue en djellaba. Derrière son bureau, il y avait deux enceintes grosses comme des armoires qui jouaient à pleine sono Nabucco de Verdi, l’air des esclaves. Il était au ciel. » (p. 198).
  • L’extrait précédent donne toute sa saveur au suivant : 
    « Le monde judiciaire est un corps singulier, à part, qui comporte en son sein de grandes rivalités, des haines, des jalousies dans la course aux honneurs, aux décorations [...] C’est un monde de l’entre-soi, endogamique, qui étudie, se marie, reçoit, vit ensemble. » (p. 378).

L'auteur

  • Catherine Nay naît en 1943 à Périgueux. Elle entre dans le journalisme à L’Express à partir de 1968, sous la houlette du fameux JJSS et de Françoise Giroud, puis devient un personnage-clef dans la rédaction d’Europe 1, proche de J.-P. Elkabbach, d’Alain Duhamel ou encore de Paul Guilbert. 
  • La multiplicité des émissions et des chroniques dans la presse écrite qui sollicitent son expertise font d’elle l’une des grandes voix et des grandes signatures en matière de commentaire politique. 
  • Parmi ces précédentes publications, citons Le Noir et le Rouge, ou l’Histoire d’une ambition (Grasset, 1984) ; L’Impétueux : Tourments, tourmentes, crises et tempêtes (Grasset, 2012) et Souvenirs, souvenirs…:Tome 1 (Robert Laffont, 2019).

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