Transmettre, Apprendre
Editions Stock
Infos & réservation
Thème
1 Ce livre procède du séminaire que Marcel Gauchet a tenu en 2010/2011 au Collège des Bernardins. Il s’agit d’y faire l’historique de l’échec de l’école pour tenter, sans grand espoir, de dégager des pistes d’avenir.
Notre école traditionnelle d’avant 1968 s’est trouvée mise hors jeu en transmettant des connaissances détenues par un maître à des élèves passifs. Les principes pédagogiques actuels sont :
La démarche de transmission n’est plus adaptée à l’individualisme de nos sociétés où chacun doit pouvoir accéder à ce qu’il veut, comme il veut et quand il veut.
- Le savoir doit s’auto-construire à l’échelle du développement individuel, en prenant modèle sur la phylogénèse introduite par Darwin.
Mais ces principes qui sous-tendent l’évolution de l’école depuis presque 50 ans et aboutissent « au sacre de l’apprenant », se révèlent conduire à une impasse. Une longue 3ème partie du livre cherche à montrer que la responsabilité de ce fourvoiement revient à Jean Piaget qui met l’accent sur les aspects structuraux et les lois biologiques des opérations mentales.
2 Enumérons les points de blocage :
Les savoirs méthodiques ne s’acquièrent pas n’importe comment et certainement pas sur la base du principe de plaisir ou du simple intérêt en consultant le grand livre du monde.
- Les missions de l’école sont de plus en plus larges alors même que son autorité institutionnelle et collective est affaiblie.
- Comme l’école ne transmet plus de valeurs, c’est dans le cadre familial que se construisent les repères symboliques qui vont baliser le parcours et stimuler les ambitions du jeune. A preuve, les inégalités liées aux transmissions familiales ne cessent de s’accroître de décennie en décennie.
- L’abandon de l’autorité empêche les jeunes d’aborder la complexité du jugement moral ainsi que la nécessité de la réflexion et de la délibération avant l’action.
- La langue n’est pas qu’utilitaire, l’écrit donne accès à l’abstraction, à la réflexion. Si l’école et la famille n’y donnent pas accès, la formation se limite aux aspects pratiques.
- Le chacun pour soi n’est pas synonyme de concentration, d’effort et de répétitions autant que nécessaires.
- L’égalité des parents, des professeurs et des enfants/élèves discrédite la tradition et le présent devient l’horizon indépassable. Moins les adultes transmettent, plus les jeunes se soumettent à la tyrannie du groupe, même si cela n’est, en général, que temporaire.
- La plupart des savoirs scientifiques sont très difficiles d’accès et nécessitent de longs apprentissages assistés par des maîtres.
3 Une dernière partie est consacrée aux questions fondamentales : A l’heure d’internet, une génération a-t-elle encore des savoirs à transmettre à la suivante ? Et si oui, comment ?
Nos auteurs commencent par (trop) gentiment se moquer de Michel Serres, normalien et académicien, optimiste à tout crin, qui soutient que nos jeunes Petits Poucets numérisés vont, sans difficulté, trouver leur chemin dans le monde du savoir. Cela fait penser à un milliardaire qui prônerait la pauvreté pour être riche…
En réalité, rien ne prouve que l’informatique ou l’internet ne résolve en quoi que ce soit les causes des difficultés de l’école, causes qui ne sont pas recensées clairement.
Quelques remarques sont alors formulées à propos de cette culture de l’écran informatisé, pour enfoncer le clou :
Les jeunes n’en appréhendent pas les traitements des données en amont.
Elle favorise la collaboration avec les pairs mais se substitue à l’écrit et même à l’audio visuel, tout en remettant en cause toutes les institutions de transmission (musées, bibliothèques, salles de concert ou de cinéma).
- Les valeurs de libre choix, de plaisir, de gratification immédiate et de réseau s’y substituent à celles censées être portées par l’école : effort, persévérance, satisfaction différée, adaptation à un groupe non choisi et histoire collective.
Elle rend l’utilisation de la mémoire inutile et par conséquent annonce des difficultés d’identification de la nouveauté.
La concentration est remplacée par une attention soutenue.
Certains jeunes ont même l’illusion de pouvoir fonctionner en multi tâches, comme les ordinateurs eux-mêmes.
4 Et la conclusion dramatique du scénario en cours de réalisation tombe : Si l’on ne change rien, ne faut-il pas alors se préparer à limiter le rôle de l’école à encadrer les élèves pour leur apprendre à déceler, décrypter et organiser les informations pertinentes sur internet ?
Points forts
1 Une excellente analyse des conséquences des défaillances du système scolaire.
2 Un juste questionnement sur la pertinence de l’introduction à tout va des écrans dans les écoles.
Quelques réserves
1 Une vision finalement a-politique de l’Education Nationale, alors que l’Ecole est au centre des contradictions de notre société : Si l’on pose que l’enfant est roi, que l’on doit respecter ses motivations, que travailler moins c’est mieux (35 heures !!), que les études ne garantissent rien (ni emploi, ni plaisir), pourquoi dès lors espérer que nos jeunes se lancent dans de longs apprentissages nécessitant effort, rigueur et travail?
2 Il faut ajouter la non-prise en compte dans ce livre de l’hyper centralisme du Ministère de l’Education Nationale qui veut qu’un cerveau situé rue de Grenelle puisse régler en même temps les problèmes des collèges de Chanteloup les Vignes et ceux de Louis le Grand, tout cela dans un univers syndicalisé à outrance.
3 Par ailleurs, ce livre ne distingue pas les différents âges de l’enfance, alors que c’est à partir de ces étapes de la petite enfance à l’âge adulte qu’une tentative de réponse pourrait être construite. Chacun sait que le drame français se situe au niveau du collège qui n’a pas pris assez en compte les caractéristiques de la préadolescence en l’assimilant à l’âge adulte. C’est là que le système explose et que nombre d’élèves régressent. La question reste en suspens : Que devons nous transmettre à ces préadolescents ?
4 Enfin, dans la plupart des établissements de France, tous les élèves s’installent dans les derniers rangs de la classe, le plus loin possible du professeur, et l’insulte la plus banale entre eux est celle d’« intello ».
5 Comment dans ces conditions espérer revenir à un système qui permette à tous d’aborder un niveau minimal d’abstraction et de culture ?
6 Il faudra bien un jour accepter de limiter nos ambitions pour ne pas offrir à tous les petits collégiens de France une possibilité de rentrer à l’Ecole Normale Supérieure, quels que soient leurs goûts, leurs capacités, leurs résultats.
Le système actuel est à plusieurs vitesses sans le dire, sous couvert de bonnes intentions. Ne serait-il pas préférable de concevoir un système à plusieurs vitesses en l’annonçant clairement pour que tout le monde sache à quoi s’en tenir… ?
Encore un mot...
Une bonne base de réflexion mais qui pourrait être approfondie aussi bien dans ses analyses que dans ses propositions.
L'auteur
1 Marie-Claude Blais,Marcel Gauchet et Dominique Ottavi sont philosophes et co-auteurs de plusieurs ouvrages traitant de l’éducation.
2 Marcel Gauchet, le plus médiatique des trois, est issu d'un milieu modeste : son père cantonnier est un gaulliste inconditionnel, sa mère est couturière et son frère aîné est séminariste. En 1961, âgé de 15 ans, il entre à l’École normale d’instituteurs de Saint-Lô, puis reçoit une formation de professeur des collèges. Alors que la guerre d'Algérie se termine, il découvre l'engagement syndical, mais aussi le goût de la philosophie et des Sciences Humaines.
Après deux ans d’activité en qualité de professeur des collèges près de Caen, il prend une disponibilité pour entreprendre des études universitaires. Sous l’influence de Claude Lefort, son professeur de philosophie à Caen, spécialiste de Merleau-Ponty, Marcel Gauchet est atteint d’une véritable boulimie de savoir. Il participe pleinement à Mai 68 mais en ressort avec une « gueule de bois théorique ».
Dès lors, Marcel Gauchet sort définitivement de la sphère marxiste et se tient à l'écart des réseaux universitaires. Il vit alors d'expédients et de petits boulots.
Dans les années 1970/1980, grâce à Claude Lefort, Marcel Gauchet se rapproche d’un certains nombres de penseurs, Cornelius Castoriadis, Miguel Abensour, Pierre Clastres…, comme lui, en rupture avec le marxisme. Puis il rencontre Gladys Swain, qui partage sa vie et lui fait découvrir la clinique psychiatrique et le mouvement antipsychiatrique.
L'historien François Furet le fait entrer à l'EHESS et le présente à son beau-frère, Pierre Nora, qui demande, en 1980, à Marcel Gauchet de devenir le rédacteur en chef de sa nouvelle revue, Le Débat (Gallimard).
En 1989, Marcel Gauchet entre au Centre Raymond Aron (département d’études politiques de l’EHESS), avec l’appui de Pierre Nora et de François Furet. Il y retrouve des universitaires, comme Pierre Manent, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, Philippe Raynaud ou Monique Canto-Sperber, tous pouvant se réclamer de l’héritage de Raymond Aron.
Il a étudié le processus de sécularisation à l'œuvre en Occident dans le Désenchantement du monde (Gallimard, 1985). Il y explique que le christianisme est « la religion de la sortie de la religion », c'est-à-dire une religion qui contient potentiellement en elle la dynamique de sécularisation. Cette sécularisation (ou « désenchantement du monde ») signifie que désormais la religion ne structure plus la société, elle n'en est plus le principe d'organisation ou de légitimité. Marcel Gauchet y fait la généalogie de la percée démocratique dans son versant négatif, celui de la sortie de la religion. Il pointe les paradoxes de notre société et les replace dans une perspective historique.
La suite, « L'Avènement de la démocratie », en fait la généalogie sur le versant positif ; celui du devenir-humain au travers du gouvernement des hommes par eux-mêmes dans le temps et l'espace, au travers de la maîtrise, par le droit et le politique, de leur propre devenir.
Marcel Gauchet s'est également intéressé à la question de la crise de l'École et de l'éducation. Selon lui, l'École est au service de la « production » d'un citoyen-individu rationnel, tourné vers l'avenir. Cependant, l'accentuation de l'individualisme contemporain conduit à oublier que cette production suppose certaines conditions préalables. Le pédagogisme est de nature idéologique et renforce la négation de cette nécessité. A partir de là, Marcel Gauchet s'intéresse à des thèmes comme l'autorité ou la transmission des savoirs. Apprendre, ce n'est pas seulement assimiler un savoir, c'est aussi accommoder son fonctionnement mental à des méthodes nouvelles.
Ajouter un commentaire