Tempête dans le bocal - La nouvelle civilisation du poisson rouge
214 Pages
18 euros
Infos & réservation
Thème
Dans son best-seller la Civilisation du Poisson rouge (Grasset 2019) , Bruno Patino nous alarmait sur les risques pour notre attention, notre cerveau et notre mémoire (et celles des jeunes générations) sur une pratique excessive du numérique.
Journaliste expert des médias et du numérique, l’ auteur prolonge dans ce nouvel essai ses brillantes et stimulantes analyses sur l’ère numérique, et sur la « nouvelle économie de l’attention » dans lesquelles nous sommes totalement immergés, avec leurs mécanismes et les dangers qui en résultent.
“L’ ère du numérique, rappelle en effet l’auteur, c’est l’ère du jeu intégral et du calcul permanent et c’est l’alliance des deux qui la rend si efficace et nous fait participer avec entrain à notre propre servitude. D’ ailleurs, au début du nouveau monde numérique, il n ' y a pas le verbe mais le calcul… ».
Ce temps pandémique et sanitaire que nous traversons a largement renforcé l’emprise des géants du numérique sur nos vies « le temps connecté est devenu universel et a brouillé les frontières entre nous et le monde au point de nous faire perdre tous nos repères » Le travail s’est invité à la maison, la vie publique dans la vie privée et réciproquement . « l’ évolution est totale . C’est une tempête qui affole nos existences, nos échanges, notre sommeil , notre langage et notre cerveau.. »
Points forts
Tout au long de cet ouvrage très dense et très documenté, l’auteur propose des anecdotes saisissantes qui illustrent son propos, comme celle d’un échange personnel et inopiné avec l’ un des maitres du monde numérique, Mark Zuckerberg , ou celle qui résulte de la substitution aux traditionnelles rencontres – conférences «en présentiel » par les pratiques d’écran zoom entraînant in fine une forme de rejet de sa propre image déformée et renvoyée par les écrans en même temps qu’une forme d’épuisement psychologique des acteurs.
Les citoyens que nous sommes sont en permanence « calculés », nos désirs et nos émotions anticipés par des « monstres » qui, par la dictature des données utilisent des algorithmes terriblement sophistiqués au service de la publicité et des priorisations de tous poils, le tout entraînant un ressenti fait de peurs et de défiance croissante. Ainsi a-t-on pu mesurer que 12 personnes émettaient à elles seules près de 70% des 800.000 messages de désinformation ( fake news) sur le vaccin contre la Covi19 !
Mais si la lucidité, tout aussi présente dans cet essai , commande de : « .. s’ arracher du monde connecté .. » ce n’ est ( hélas) plus une option.. ». Bruno PATINO se veut néanmoins optimiste : « .. changer ce monde devenu fou est possible .. » sous une condition et deux pistes en forme d’ éléments de réponse :
Premièrement, sensibiliser et responsabiliser sans relâche les grands du numérique (GAFAM ) sur les risques qu’ils prennent , in fine, de tuer « la poule aux œufs d’or » par leurs excès ; et simultanément contrôler collectivement « la machine » et encadrer « les monstres’ . Mais, pour survivre dans cet « océan de signes, de messages, de sites qui nous relient les uns aux autres sur cette mer de données » il faut une accélération de la pédagogie et de l’éducation de tous les acteurs pour une meilleure compréhension de ce qu’ils acceptent par l’aliénation de leur liberté et les conséquences (terribles) que cela entraîne ,sur la qualité et leur mode de vie et celle des générations futures.
Quelques réserves
Vu la qualité de l’analyse, je n’en soulignerai pas.
Encore un mot...
Cette réflexion de l’auteur : « ...il est grand temps de gouverner ces monstres si l’on veut qu’ ils ne nous gouvernent plus.. »
Le constat des dérives de cette ère numérique reste sans concession , comme l’ illustre le portrait entre autres milliardaires de Jack Dorsey , le père de Twitter, qui bien que comprenant les risques d’ aller trop loin dans cette prise de contrôle de notre attention n ‘en reste pas moins timide dans la nécessaire auto-régulation, maintes fois promise et rarement mise en œuvre.
Une phrase
« le ’cinquième pouvoir’ , celui des réseaux , structure à ce point la sphère de la délibération civile qu’il bouleverse profondément les deux autres ( l’une Politique -l e Parlement l’autre de l’espace public , des médias- de la presse) . Il le fait sans marionnettiste autre que la règle des algorithmes, lesquels n’ont pour toute logique que celle économique, visant à maximiser le revenu publicitaire… » (p.40 et 41)
L'auteur
Bruno Patino auteur à succès ,professeur à sciences po , est président en exercice de la chaîne ARTE.
Sur le même sujet, on peut lire également l’ouvrage de Pierre Louette Des géants et des hommes, recommandé par notre chroniqueur Bertrand Devevey.
Ajouter un commentaire