Sursis
Parution le 22 mai 2023
224 pages
20 €
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Thème
Comme les six épisodes des Randonneuses que la chaîne française TF1 et la télévision suisse-romande consacrent au cancer qui touche certaines femmes à la fleur de leur âge, le récit du Pr. de Grandi s’inscrit dans l’air du temps. Mais au lieu de se pencher sur des femmes encore jeunes, c’est de l’auteur lui-même qu’il s’agit dans ce livre : hospitalo-universitaire retraité, cet homme est encore vert malgré ses quatre-vingt printemps ; et se découvre atteint par une tumeur très maligne et fort rare à laquelle ses confrères et consoeurs oncologues suggèrent d’appliquer un traitement inédit qui fera de lui un cobaye humain volontaire, consentant et conscient.
A la différence d’une souris de laboratoire - ou d’un cobaye du même labo !- l’auteur est un être pensant : c’est pourquoi, avec une parfaite lucidité, il revient sur la vie (en général) et sur la sienne en particulier ; et cette introspection le conduit à explorer d’autres chemins (moraux, religieux, métaphysiques, parfois même politiques).
Points forts
Toujours parfaitement limpide, cette lecture comprend de nombreuses pépites, réparties sur une quarantaine de chapitres et près de deux cents pages, pépites que j’illustre ci-après par quelques specimen qui reflètent, tour à tour, de l’humour, de la poésie, des trouvailles et les connaissances émérites de l’auteur.
Ce récit révèle bien des choses sur l’auteur, sur ses certitudes et surtout sur ses doutes ; on sent poindre, au cours de ses pages, une force d’âme qui évoque irrésistiblement le stoïcien débarrassé, par exemple : « de toute colère, tristesse ou nostalgie, de tout regret ou ressentiment » mais pour qui, néanmoins : « l’espoir demeure encore réservé » (p.137).
L’évocation très fréquente de la mort, de l’Au delà, de l’âme et du corps et des Écritures sont le reflet toujours vivant d’une éducation chrétienne que l’auteur ne renie point, tout en se définissant expressément comme un agnostique : « l’âme envolée après la mort est dépourvue de souvenirs » dit-il p. 93. Mais, complète-t-il juste après, si « prier n’a pas de sens logique…il est tout à fait adéquat d’espérer », jusqu’au jour où, en définitive : « la vie est dite », sans désespérance…
Quelques réserves
Sans abuser du paradoxe, ce sont les points les plus forts de ce récit qui en soulignent peut-être la limite : peut-il être mis entre toutes les mains sans avoir un effet pervers au sein d’une société où fleurissent de nouveaux mages trans-humanistes et des prophètes de malheur millénaristes ? Le texte de Grandi risquerait-il d’être mal interprété ? J’ai déjà souligné la lucidité de l’auteur, sa force morale et son aptitude à « bien se connaître», une aptitude que ne cultive guère, à mon grand regret, la vulgate d’aujourd’hui, imprégnée par un hédonisme égoïste et propageant une satisfaction de soi et une fatuité qu’entretiennent la démagogie politique du « quoiqu’il en coûte », et « l’infantilisation entretenue par des réseaux sociaux » qui stimulent des comportements suivistes et irréfléchis.
Selon qu’il tombe sur des esprits torturés par une angoisse existentielle ou entre des mains prêtes pour affronter les difficultés de la vie, la réception de ce livre pourrait (ou non) susciter un drame.
Encore un mot...
Poussé vers la sortie par un mal incurable qui ne lui laisse aucune illusion, Pierre de Grandi formule dans cet ouvrage ce que chacun aimerait concevoir, sans oser pour autant ni le dire, ni même l’écrire dans de pareilles circonstances ! Les questions se bousculent : qu’y aura-il après la mort ? Que restera-t-il des œuvres et de la lignée de l’auteur au terme d’une vie dense, dévouée surtout à son art et à ses malades ? Que deviendront ses proches ? Qu’adviendra-t-il de l’amour, de l’engagement et des passions qu’il partagea avec eux ?
Aucune grandiloquence : ce récit est aussi précis qu’un diagnostic chirurgical ; une pensée claire, posée mais sensible ; une langue élégante et précise ; un exposé toujours direct mais discret… Ses moyens, parfaitement maîtrisés, servent une pensée ferme et témoignent d’une personnalité équilibrée, savante et toujours responsable. S’il n’était pas Suisse et (un peu) Italien de cœur, on aurait pu associer notre auteur aux Français des Lumières, prolongement moderne du plus français des auteurs vaudois : Benjamin Constant !
Une phrase
- p. 23, argument de l’ouvrage: « Je suis mort…Pas comme dans un rêve…Je suis mort pour de vrai . » C’est tout et cela suffit pour cadrer la suite!
- p. 73 : « Quand mon corps m’aura abandonné…je veux être cerf-volant ». Une ouverture poétique sur ce que pourrait être l’Au-delà…
- p.93, justifiant le titre du livre : « (des) traitements susceptibles de rallonger la minuterie…Un sursis. J’en suis là ! »
- p.116 , une belle formule, parmi bien d’autres :« Reste l’âme, dernière pièce de la quincaillerie, la plus noble, paraît-il, l’immatérielle immortelle. » (souligné par moi)
- p.155, un autre aphorisme bien venu, sur la mémoire : « qui inscrivait tout ce que je souhaitais dans un indéfectible granit…(elle) n’est plus que du sable sur lequel le vent efface tout ! »
- p.198, sur l’écrivain Houellebecq, une formule pleine de sel, sinon de fiel : « sujets dans l’air du temps, thèmes sociétaux, voire politiques, interpellant chacun dans sa propre existence ! » etc
L'auteur
Né en 1941 à Vevey, d’ascendance italienne par son père, artiste-peintre italien réfugié en Suisse, le professeur Pierre de Grandi a consacré l’essentiel de sa vie professionnelle à la gynéco-obstétrique, à la médecine périnatale, à l’endocrinologie et à la reproduction humaine. Il exerça surtout à Lausanne, mais aussi à Bâle. Après une carrière hospitalo-universitaire très bien remplie, l’écriture est sa seconde nature : « Du bistouri à la plume », titra-t-il une chronique de mai 2022, parue dans la revue des médecins vaudois ! En plus de ses nombreux travaux scientifiques, il a récemment publié des romans : YX SOS ou Le songe d’Eve (2011), Quand les mouettes ont pied (2017) , Casimir ou La vie derrière soi (2021). Faisant mentir les trois premiers mots de son dernier ouvrage (« Je suis mort. ») il vit au bord du Léman, aux portes de Lausanne, dans le canton de Vaud.
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