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Thème
A propos de la noblesse dans la France contemporaine, Eric Mension-Rigau part d'un constat dont il fait sa thèse : au concept originel , qui a traversé les siècles, de puissance et de vaillance, la noblesse ajoute le bénéfice de la stabilité et de la durée que favorise le souci de la transmission héréditaire : châteaux "embellis" de génération en génération, souvenirs épiques , "sur-représentation" de toutes sortes,”image rayonnante d'une immense parure patrimoniale" écrit Eric Mansion-Rigau, en préambule.
Eric mention-Rigau met le doigt sur ce qui différencie vraiment, au premier chef, la noblesse des autres groupes sociaux : la maîtrise du passé (certains diraient, péjorativement, le culte). La noblesse inscrit l'individu dans une lignée, c'est à dire une communauté formée non seulement par la cellule familiale directe mais aussi par le souvenir des morts qui gardent leur autorité sur les vivants, inspirant le sentiment d'une communauté de destin, avec sa cohorte de devoirs et d'obligations . "C'est cette volonté de continuité qui fonde les valeurs nobiliaires, du rêve d'excellence à la crainte de déchoir". Comment, face à la banalisation des valeurs, à l 'éclatement des "élites", à la dictature de la peopolisation, à l'avènement du dieu-argent..... la noblesse réussira-t-elle à pérenniser la spécificité de son héritage culturel ? C'est tout le thème de l'ouvrage. C'est aussi la question qui reste posée jusqu'à la fin !
Points forts
Pour quiconque s'intéresse un tant soit peu à une Histoire de la France jalonnée par les révolutions, les génocides et les mutations dues aux guerres depuis la nuit des temps (cf. "Le Grand monde parisien" dont Culture -Tops a fait la critique), cet ouvrage bien écrit et de haute tenue intellectuelle, aura le grand mérite de dépasser les poncifs habituels touchant à l'origine et au mode de vie des quelques 3 500 familles dites des "vrais "nobles (noblesse de "cour", vie de château, clanisme et repli identitaire, privilèges exorbitants ; que d'idées fausses en effet...). Quelques aspects remarquables, parmi d'autres :
1 A la recherche du vrai, à la rencontre du vécu
Une vaste enquête menée depuis 25 ans permet à Eric Mension-Rigau d'identifier et de creuser les caractères vraiment distinctifs (pour ne pas dire de distinction) de l'aristocratie - nous faisons l'amalgame consciemment - et sa capacité de rebond :
L'auteur réussit à brosser en un peu plus de 300 pages, écrites d'une plume alerte, la culture intergénérationnelle d'un Second Ordre qui ne compte aujourd'hui que 100 000 personnes mais qui " compte", en vérité, beaucoup plus. Un exemple: l'émergence, bien observée , des néo-châtelains.
2 Le culte de la mémoire
C'est un des points clés de la démonstration de la "Singularité".
Cette faculté qu'ont les aristocrates à dominer le temps, à transmettre les usages et leur culture est unique, du moins en France . C'est leur luxe suprême. Selon les mots de Pierre Bourdieu, rappelés par notre auteur, "c'est la forme de l'excellence par excellence", raison pour laquelle châteaux et manoirs parviennent jusqu'à nous en faisant l'objet de tous les sacrifices. "Le grand réceptacle de la mémoire nobiliaire reste le château, écrit l'auteur, symbole par excellence du "patrimonium" c'est à dire des biens qui viennent de nos pères..."
Ce qui est vrai pour les demeures historiques est aussi brillamment démontré pour l'attachement aux terroirs et...aux grimoires . Il est d'usage aujourd'hui de léguer les archives nobiliaires aux municipalités, ou aux associations culturelles. Les collectivités sont friandes des souvenirs chevaleresques qui constituent un faire valoir touristique et médiatique.
3 Du bon usage des figures de styles
L'auteur, qui a de l'esprit, émaille son étude de quelques oxymores ou paradoxes savoureux, par exemple, lorsqu'il parle de cette noblesse d'origine féodale dite "immémoriale", et qui se flatte de n'avoir jamais été anoblie. Il est vrai que les lettres patentes délivrées par le roi ne faisait souvent que reconnaître telle ou telle famille "vivant noblement" ; autre exemple, avec ce rectificatif sémantique : Noblesse oblige ? Noblesse "vous" oblige bien sûr ! Ou encore à propos de l'argent : "Un noble pauvre (qui n'a aucun tableau de famille, ni bibelots, ni argenterie) est souvent considéré comme un riche " (écran plat et superbe canapé dans le salon!), par les "roturiers".
4 Le flambeau de la réussite professionnelle
L'auteur le porte haut. Les exemples ne manquent pas de ces "jeunes" aristocrates , de Roux de Bézieux à Henri de Castries, de Pierre André de Chalendar à Alexandre de Juniac en passant par Charles de Courson, infatigable pourfendeur des profiteurs, qui, tous, relèvent les défis de la France contemporaine. Oui, cette "singulière noblesse" fait mieux que résister...
Quelques réserves
1/"Plus dure sera la chute"...Le dernier chapitre est en décalage complet avec toute la brillante argumentation de cette étude. L'auteur prévoit, pour finir, une catastrophe, la descente aux enfers de cette noblesse de coeur et d'esprit, tant il doute de la capacité des jeunes "héritiers " à pérenniser cette différence, cette distinction qui honorent leurs parents.
2/ Une expression inappropriée : "le transit social" ... et qui revient trop souvent; et l'usage trop répétitif d'une expression peu usitée : le Second Ordre.
3/ Le côté "gazette", traitée par le menu, des dissensions au sein de l'A.N.F, source principale des "verbatim" recueillis par l'auteur. C'est franchement "daté" , ennuyeux et confine parfois au ridicule
4/ Quelques "oublis" étonnants : noblesse et religion, noblesse et civilisation ... La prise de parole, l'engagement, l'action des héritiers du " Second Ordre" face aux défis du monde contemporain sont simplement survolés.
Encore un mot...
Belle étude de synthèse sur les codes pérennes de l'aristocratie française, très claire et documentée, mais qu'il faut lire au "Second degré" ! Les points faibles sont mineurs.
L'auteur
Historien et biographe, Eric Mension-Rigau est normalien (Ulm), agrégé de lettres classiques. Professeur à la Sorbonne, il dirige un master d'anthropologie sociale. Il a publié, à 53 ans, seul ou en collaboration, une quinzaine d'ouvrages dédiés à la sociologie des élites françaises, en s'intéressant plus particulièrement aux fondements de l'identité nobiliaire (Aristocrates et grands bourgeois, éd.Perrin ; Châteaux de famille, éd. Chêne). Pour la petite histoire, il a aussi dirigé les Archives de l'Elysée..!
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La noblesse française, aujourd'hui, au-delà des poncifs et des clichés.
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