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par Culture-Tops
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Thème
Ce livre cherche à comprendre pourquoi la musique est consubstantielle à l’humanité.
La musique comme « art des sons » suppose une organisation a priori des timbres (liés à la plus ou moins grande richesse en harmoniques), des durées et des hauteurs de son (les notes). Chaque musique suppose un choix de quelques notes (parmi une infinité de sons possibles) qui vont permettre de constituer des modes (majeur, mineur), des gammes et de se repérer. La durée (le rythme) permet de jouer avec le temps et engage souvent le corps (danse, jazz, berceuse,…).
Une musique est une représentation d’un monde imaginaire d’évènements purs (on peut lire de la musique, sans aucune production de sons) qui semblent reliés les uns aux autres de plusieurs façons par une causalité évènementielle plus ou moins déterministe, selon la complexité du discours.
Dans la musique polyphonique, la ligne mélodique et la superposition des voix (accords) sont des évènements plutôt imprévisibles alors que l’interaction entre voix (canon) est plus prévisible.
La musique atonale établit de nouvelles règles de prévisibilité en rejetant la causalité fondée sur les gammes de la musique classique. Cela s’apparente au rejet du figuratif par l’art abstrait.
Francis Wolff analyse de quoi est faite la musique polyphonique à partir des quatre causes d’Aristote. Pour la comprendre : la cause matérielle (la tonique dans la musique tonale) et la cause formelle (le rythme, la mélodie). Pour l’anticiper : la cause efficiente (rythme et mélodie déjà entendus) ou la cause finale (attentes rythmiques ou mélodiques).
L’auteur poursuit son analyse en cherchant à préciser ce que dit la musique au corps et à l’esprit. En évitant les écueils du formalisme (la musique est une pure forme) et du sémantisme (la musique est un langage), Francis Wolff tente de distinguer les effets musicaux s’apparentant à des émotions, liées au tempo et à l’intensité (expressivité), et ceux permettant de créer un climat résultant de la mélodie, de l’harmonie ou du rythme (discursivité).
Il se lance aussi courageusement à l’abord du jazz pour y voir une « expressivité individuelle exubérante et solitaire en dépit des entraves ».
Délaissant une explication de la musique fondée sur le modèle linguistique (quelque chose est dit mais on ne sait pas quoi), la question de sa représentation est alors posée. L’analogie entre musique et évènements audibles serait celle existant entre images et choses visibles.
L’analyse est menée en distinguant la représentation de la reproduction et de la ressemblance pour conclure que la musique est un art imitatif et représentatif d’objets spécifiques auquel chaque auditeur est plus ou moins sensible, en fonction de son imagination qui supplée à l’absence de perception visuelle.
La musique serait donc une (re)présentation performative (en faisant être ce que le musicien a créé ou improvise) d’un monde idéal d’évènements purs.
Francis Wolff termine son analyse en cherchant à éclaircir les rapports entre musique et temps. Elle nous permettrait de rationnaliser notre perception de la permanence (tempo, tonique), de la succession (mélodie, rythme) et de la simultanéité (polyphonie).
En conclusion, l’auteur retrouve l’ontologie triadique et descriptive de son ouvrage précédent "Dire le monde" (choses, événements, personnes) dans le triangle des arts : arts de l’image – représentations de choses sans événements —, arts musicaux – représentations des événements sans choses, arts du récit – représentations de personnes agissantes.
Points forts
Ce livre reprend systématiquement les bases et nous propose une analyse didactique et synthétique du mystère musical, sujet pourtant complexe.
Francis Wolff cherche à percer le mystère par tous ses abords : musicologique, philosophique, historique, sociologique...
Un glossaire, dix analyses de morceaux divers et 88 extraits de musique, accessibles sur le site pourquoilamusique.fr, contribuent à faciliter l’accès à cet ouvrage en réduisant au minimum les acquis préalables nécessaires.
Quelques réserves
Vouloir aborder la musique dans son ensemble est louable mais constitue une gageure. Peut-on englober dans une même analyse des musiques aussi différentes qu’un morceau de rap, une suite de Bach ou un thème de Coltrane ?
Le risque est de se cantonner dans un œcuménisme un peu scolaire, sans vraiment percer le mystère musical. Une répétition rassurante, une symétrie respectée, une attente satisfaite, une tension résolue suffisent-elles à expliquer qu’une musique nous fasse venir les larmes aux yeux ou nous donne la chair de poule ou bien encore nous provoque une irrépressible envie de battre du pied ou de danser?
Encore un mot...
Un magnifique sujet abordé avec expertise et souci de se faire comprendre.
Ceci étant, le thème est intellectuellement circonscrit mais le mystère esthétique reste presque entier. Pour entendre la musique, il faut se taire...
L'auteur
Francis Wolff, normalien et agrégé de philosophie, a enseigné à l’université de Sao Paulo (Brésil) avant d’occuper différents postes en France (Université Paris-X Nanterre, École normale supérieure).
Spécialiste de philosophie antique, notamment d’Aristote, Francis Wolff s’est engagé depuis plusieurs années pour le renouvellement de la « philosophie générale »en prônant la simplicité des idées et la force des arguments. Cette position de principe, au-delà de toute prétendue fracture entre « philosophie continentale » (de tradition classique) et « philosophie analytique » (perspective logico-scientifique), se trouve illustrée par son ouvrage « Dire le monde » qui distingue trois langages : celui des choses de notre monde, celui des « choses pures » associées à des noms, et, enfin, celui des « événements purs » associés à des verbes.
Ces trois langages-mondes permettent d’expliciter l’ontologie descriptive et immanente que Francis Wolff nous propose en distinguant des choses (réglées par le principe de contradiction), des événements (réglés par le principe de causalité) et des personnes.
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Ce que la musique dit de nous.
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