Pierre Bayle, en contexte : Essai sur la tolérance, la soumission politique & la liberté de conscience
Collection “Vie des Huguenots”, n°99
Parution en octobre 2004
304 pages
48 €
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Thème
Adaptation française d'une thèse soutenue en japonais et au Japon qui souligne la modernité et l'originalité de la pensée politique du protestant Pierre Bayle, ainsi que son cousinage avec celle des Jansénistes de Port-Royal ! Ce volume, édité avec grand soin, paraît dans une collection que dirige le Pr. Antony McKenna, spécialiste de cette période, souvent cité dans l'ouvrage.
L'introduction du livre situe Pierre Bayle, décrit ce personnage, l'essentiel de sa vie et de sa doctrine qui s'affirme à travers le temps : « Bayle met toujours en évidence la force critique de la raison » (p. 9) ; il s'oppose à d'éminents co-religionnaires qui n'étaient pas disposés à séparer le temporel du religieux, ignorant aussi la parole évangélique : “rends à César ce qui est à César, et à Dieu ce est à Dieu” (Mc XII,17 & Luc XX, 25).
Six chapitres constituent le corps du livre.
- Le premier énonce l'espoir de Bayle : qu'une tolérance civile « réalise la paix dans la société terrestre » (p. 39), conception fort différente de celle d'autres huguenots comme Pierre Jurieu, lui aussi en exil à Rotterdam, à qui Bayle s'opposa souvent et vivement.
- Les Chapitres II & III situent cette doctrine dans le prolongement des Guerres de religion et du Jansénisme. Réformé modéré, Bayle convergeait avec Pascal pour « obéir aux supérieurs non pas parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs » tous deux restant « respectueux de la monarchie »(p. 87) ! Le chapitre III souligne aussi l'Influence qu'exerça Malebranche sur Bayle, autour de 1680 : « seule la tolérance accueille les orthodoxes aussi bien que les hérétiques dans un même corps politique » disait-il (p. 151).
- Dense et précis, le chapitre IV insiste sur la commune fascination de Bayle et des théologiens de Port-Royal pour la notion naissante de “probabilité” (l'analyse statistique qui naquit autour de 1650, à l'initiative des mathématiciens Pascal et Fermat) : difficile à établir, la vérité historique n'est jamais certaine ; elle est seulement probable, entachée d'erreur et d'approximation ; en serait-il de même de l'existence de Dieu, ce « pari » de Pascal ? Bayle, Leibniz et les Messieurs de Port-Royal débattaient « en philosophes du bien-fondé de la contrainte et de la tolérance, en dehors de tout implication théologique » (p. 189). Opposé à l'intolérance de Jurieu et au tyrannicide à la Brutus, Bayle plaidait seulement pour « un droit de résistance » analogue à ce qu'Arnauld, le janséniste exilé à Delft en Hollande, souhaitait aussi pour les catholiques !
- Le chapitre V précise les options politiques de Bayle : cantonner la liberté du sujet à sa sphère particulière, ce qui l'oppose aux options de Calvin, qui fut toujours fidèle à une « conception traditionnelle de la religion, en tant qu'affaire publique » (p. 235).
- Le chapitre VI complète les vues politiques de Bayle exposées au chapitre IV : on peut comparer Bayle à Bossuet et à Pascal car tous trois considéraient que « l'autorité royale ne dispense (pas le Prince) d'une soumission absolue à la justice (mais ce Prince n'a) nul droit ni nul privilège de contrevenir à la raison » (p. 237). De son côté, Bossuet « légitimait l'autorité qui maintient la tranquillité publique » (p. 248) ; quant à Bayle, proche de Pascal, il souhaitait « qu'afin de sauvegarder la paix … la justice et la force s'unissent pour le bien de la stabilité sociale » (p. 259) ! Je dois mentionner à ce propos l'ouvrage de Michel Rocard et Janine Garrisson : L’Édit de Nantes & L'art de la Paix , Atlantica, Biarritz, 1997 : l'essai de Michel Rocard (80 pages écrites à Jérusalem et à Kigali en août 1997) évoque le spectre de Pierre Bayle : « construire la paix dans les âmes » écrivait l'ancien Premier ministre, p. 87 !
La brève Conclusion de cet essai confirme que conformément au principe libéral du vivre ensemble : « la tolérance civile de Bayle vise à défendre un État où règne la tolérance de toutes les consciences » (p. 267) ; (une) « distinction entre le politique et le religieux (aussi souhaitée par) Port-Royal (conforme aux) conceptions thomistes de la conscience et de la loi naturelle » (p. 268-69). Et, pour finir :« Bayle et Port-Royal rejoignent … Pascal (tous sont) rétifs à l'instrumentation de la religion par le pouvoir politique ! » (p. 270 -71)
Points forts
Ce livre aborde des questions de conscience qui ont tiraillé la société française d'une façon presque continue depuis l'époque du « bon roi » Henri IV jusqu'à la loi de 1905 qui sépara les Églises de l'État français. Alors que de fortes tensions sociales renaissent en Europe, à l'aune d'un Islam pratiqué par des populations allogènes, une thèse extrême-orientale revient sans passion sur l'interaction entre tolérance religieuse et autorité publique ; Lumière ou prodige ?
Quelques réserves
S'il y en avait eu une, je l'aurais déjà mentionnée : Nihil Obstat, sinon le prix assez élevé de ce livre !
Encore un mot...
De même que les virtuoses coréens ou japonais renouvellent brillamment l'interprétation de notre musique classique, des lettrés orientaux explorent désormais notre patrimoine classique ; cet essai littéraire est une pépite inter-culturelle !
Une phrase
" (Bayle), penseur éminemment paradoxal, ouvre la voie à l'athéisme matérialiste des Lumières. » p.17
« La tolérance civile de Bayle … n'impose (aucune) croyance religieuse mais garantit une large liberté de conscience à chacun. » p.28
« Son objectif n'est pas d'abolir le papisme, mais de rétablir l’Édit de Nantes » ! p.67
« l'abstinence -vertu évangélique- empêche la circulation des richesses au sein de la société. Ce paradoxe est illustré par la Fable des abeilles (1705) d'un ancien élève de Bayle, Bernard Mandeville ! » p. 184-85
« Dans la lignée de Thomas d'Aquin … Catholiques et Réformés s'accordent pour considérer la monarchie comme supérieure aux autres systèmes de gouvernance ». p.243
L'auteur
Spécialiste de littérature et civilisation française, Mme Tanigawa enseigne à l'Université privée de Matsuyama, ville proche de Hiroshima, au sud du Japon. Elle a consacré sa thèse de doctorat au grand penseur protestant Pierre Bayle (1647 – 1706) et à ses relations tant avec les Jansénistes de Port-Royal qu'avec ses co-religionnaires qui vivaient en France ou hors de France.
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