Philippe II & Alexandre le Grand
Perrin
Paru en anglais en 2020 et en français en mars 2023
668 pages
28€
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Thème
Si Alexandre le Grand est célèbre et a fait l'objet de nombreuses études et biographies, celles-ci avaient éclipsé son père, Philippe II de Macédoine. Et si Alexandre a poussé l'empire macédonien jusqu'en Perse, comme on sait, c'est pourtant Philippe qui a bâti cet empire au fil des 23 années de son règne (359-336 av. J.-C.). L'ouvrage se divise donc en deux parties, la première (259 pages) consacrée à la naissance de l'empire macédonien, menacé de toutes parts par des voisins rapaces, à l'ascendance de Philippe (les rois Argéades) puis aux nombreuses batailles remportées par celui-ci jusqu'à son assassinat.
La seconde est consacrée à Alexandre (314 pages), aux campagnes et aux conquêtes qui ont fait de lui un modèle de héros. A noter que, dans la partie consacrée à Philippe, le chapitre 9 dresse le portrait d'Alexandre en tant que jeune prince, Argéade par son père, Molosse par sa mère Olympias. Dans l'épilogue, l'auteur, spécialiste du monde romain, on l'a dit, revient sur la fascination de César et d'autres grands Romains pour Alexandre. Car l'auteur l'affirme : si Alexandre connut la gloire, c'est grâce à Philippe qui mériterait, lui aussi, le qualificatif de "grand". L'objectif d'Adrian Goldsworthy est donc atteint : Philippe est ici remis à la place qui lui revient.
Points forts
Le portrait des deux personnages est fouillé, autant que les sources directes et indirectes le permettent. Philippe fut un roi énergique et chanceux, habile tacticien, jouissant d'une santé robuste (gravement blessé par trois fois) et courageux, sachant faire preuve de diplomatie, affable et charismatique, qualités appréciées même de ses ennemis (au centre desquels il faut classer les Athéniens). Alexandre, chef acclamé, hérita des qualités de son père, auxquelles s'ajoutaient son ambition personnelle, sa rapidité de décision, son impétuosité, sa détermination, et son égocentrisme avec le goût de la gloire.
Quant aux descriptions des batailles et des sièges, elles sont relatées en détails, elles constituent donc une part importante de la lecture qui exige la lenteur.
L'écriture de l'auteur est fluide, il utilise volontiers un ton personnel, plaisant et surtout il se positionne toujours modestement, n'hésitant jamais à préciser si la source à laquelle il se réfère est fiable ou non, si le récit est enjolivé, si les mentions absentes (notamment sur le rôle des mères et épouses) méritent des déductions vraisemblables ou pas, sur les spéculations éventuelles, en spécifiant les divergences des historiens. Les sources sont pauvres concernant le père tandis qu'elles sont plus nombreuses pour le fils.
Un autre intérêt du livre est de mieux comprendre le fonctionnement des Cités-Etats grecques, leurs forces militaires (notamment navales pour Athènes), leurs habitudes de vie. Et aussi la mentalité des Grecs par rapport aux autres qualifiés de "Barbares" : "La Macédoine fut toujours un pays différent, avec une culture différente et, du point de vue d'un Grec méridional, arriérée" (p. 107)
La quinzaine de cartes, de plans et de figures permet de situer les territoires, l'expansion de l'empire macédonien, l'organisation de quelques grandes batailles, le schéma des campagnes et les itinéraires des armées. Des indications tout à fait précieuses, notamment les noms des provinces, dont certaines ne sont plus guère utilisés de nos jours ( la Paeonie, la Pélagonie, l'Edonide...) tandis que d'autres restent familières (la Chalcidique, l'Epire, la Thessalie, la Thrace...).
On croise au fil des pages Euripide, Hérodote, Diodore, Pausanias, Aristote, Xénophon, Plutarque... C'est toujours un plaisir et l'appendice I donne des précisions sur chacun.
On apprend quelques mots peu usités : le "pétase" chapeau typiquement macédonien ; la "sarisse", nouvelle arme introduite par Philippe, longue pique de 5 à 6 mètres à tenir à deux mains, avec une pointe de fer au bout et, à la base, un socle pour faire contrepoids... ; le "hoplon", un bouclier imposant et lourd dont se servaient les hoplites grecs, qui fut remplacé par un plus petit porté en bandoulière...
Quelques réserves
Les notes (abondantes, 56 pages) sont traduites, heureusement mais les références bibliographiques sont uniquement en anglais. Aucun auteur français n'est mentionné.
On aurait apprécié une généalogie, de Philippe comme d'Alexandre, de leurs épouses (mariages pour alliances politiques le plus souvent) et de leurs descendants et mieux visualiser ainsi leurs frères prétendant au trône qui périrent assassinés.
Encore un mot...
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'appendice II qui dévoile les fouilles archéologiques de Vergina (Aigai) de 1977-1978. Ce grand tertre est aujourd'hui identifié comme l'ancienne capitale de la Macédoine (Aigai, "le lieu des chèvres"). Trois tombes y ont été découvertes, dont l'emplacement et la taille permettent de suggérer qu'il s'agit de celles de la famille royale, et même, pour l'une d'elle, de celle de Philippe. L'auteur les décrit et énonce les arguments pour et contre cette hypothèse.
Une phrase
- "Philippe créa et Alexandre dirigea un pays de Macédoine conçu pour la guerre et l'expansionnisme, ce qui signifie que les deux hommes n'avaient guère d'autre choix que de continuer à se battre. Si Philippe était plus fier de sa diplomatie que de ses succès militaires, rien ne permet de penser qu'il n'acceptait pas la guerre comme quelque chose de naturel et de plaisant, alors que manifestement son fils, lui, s'en délectait". (p. 565)
- "Philippe et Alexandre étaient des hommes de leur temps, des chefs de guerre acclamés par l'ensemble des Macédoniens au son du claquement de leurs armes contre leurs boucliers... Les juger à l'aune de nos critères modernes, en les présentant comme des héros ou des vauriens selon les dernières tendances, ne nous avancerait pas à grand-chose... Ils vivaient dans un monde où les forts étaient censés accroître leur territoire et exercer leur domination quand et là où ils étaient en mesure de le faire. La démocratie athénienne n'aimait pas plus la paix et n'était pas moins centrée sur elle-même et impitoyable dans ses relations internationales que Philippe ou Alexandre, ou tout autre Etat ou roi". (p. 566)
L'auteur
Bien qu'il soit un maître reconnu en histoire de la Rome antique, Adrian Goldsworthy (né en 1969) quitte là son domaine de prédilection pour aborder une autre période de l'Antiquité. Il a en effet rédigé des ouvrages sur César, Auguste, la Paix romaine, la chute de Carthage, l'armée romaine, sur Vindolanda (camp romain en Grande Bretagne), sur le Mur d'Hadrien et... sur Rome bien évidemment. Apparemment ses livres ne sont pas encore publiés en français, hormis celui-ci consacré à ces deux souverains macédoniens.
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