Nous y étions

Un récit authentique, sans fioriture
De
Annick Cojean
Grasset
Parution le 15 mai 2024
167 pages
18,50 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

 L’auteure évoque sa mère, une conteuse hors pair qu’elle écoutait enfant. Parmi tous ses récits, réels ou fictifs, figuraient en bonne place ceux de ce jour unique qui vit émerger du brouillard la plus grande armée de tous les temps, en route pour les plages de Normandie dont les noms resteront à jamais gravés dans l’histoire, des noms de code ajoutant la poésie à l’exploit, Utah, Omaha, Sword ou Juno Beach. Plus tard, elle découvrira les tombes de ces si jeunes soldats, morts à vingt ans et à quelques milliers de kilomètres de chez eux, pour défendre la liberté du monde une fois de plus menacée.

 C’est ainsi que devenue adulte, grand reporter officiant pour Le Monde, elle partira à la recherche de ces héros ordinaires pour recueillir leurs propres mots, attachés à cette journée du 6 juin 1944, des Américains, des Anglais, des Canadiens et des Français aussi car il y en eut quelques-uns, et encore des Allemands, saisis dans un état de quiétude trompeuse. Une petite vingtaine de témoignages résulte de cette quête de mémoire vivante pour reconstituer cette journée meurtrière, de la première à la dernière heure, soldée par des pertes inouïes et une situation militaire incertaine.

L’aventure commence à 0 heure 10 avec Wally Parr, un jeune Anglais de 22 ans qui braille  It’s a long way dans le planeur de tête qui va plonger sur Pegasus Bridge dans le silence de la nuit, avec l’Américain Bill Tucker, un parachutiste de 20 ans qui va sauter sur Sainte-Mère-Eglise à 1 heure 15, avec le Français André Héricy qui quitte sa femme et son fils à 2 heures en entendant les vers de Verlaine, signal de l’assaut, pour rejoindre ses camarades du maquis Saint Clair et faire sauter avec eux la voie de chemin de fer Caen-Laval du coté de Grimbosq ; encore celui de Franz Gockel, un jeune Allemand originaire de Westphalie qui planque dans son bunker sur la dune d’Omaha pour voir émerger de la brume vers 5 heures 30 l’armada alliée et subir un feu d’artillerie navale d’une ampleur inimaginable.

Elle se poursuit de manière plus insolite avec le récit de René de Naurois, l’aumônier du commando Kieffer qui distribue la communion sur la plage à tous ces jeunes soldats cueillis à froid qui vont mourir en héros, celui de John Snagge, la voix de la BBC, qui lira à 9 heures 32 le message du Général Dwight Eisenhower annonçant au monde entier l’engagement décisif de l’opération Overlord, et sans doute le plus insolite de tous, celui de Bill Millin, le « piper » de Lord Lovat qui va traverser le pont de Ranville sous les balles en jouant Blue Bonnets devant des Allemands et des Britanniques stupéfaits. Sans négliger tous les autres, frappant de vérité, de simplicité et d’humilité.

Points forts

  • La véracité des témoignages, simples, factuels, très illustratifs de l’état d’esprit de ces héros ordinaires, des hommes jeunes qui disent tous défendre une cause juste, la peur au ventre, sans commentaire superflu de l’auteur, sinon, en introduction de chaque témoignage, un aperçu bref du contexte, et en conclusion, un mot sur la vie de chaque témoin après la guerre.

  • La présentation chronologique et générale du sujet, avec un regard en miroir sur le débarquement des uns, les Alliés du monde libre, et la défense des autres, des Allemands usés par cinq années d’une guerre impitoyable à laquelle ils ont souscrit ou n’ont pas pu échapper.

Quelques réserves

Aucune, sauf à attendre un ouvrage littéraire, ce que ce recueil de témoignages n’est pas ; et peut-être une idée de « déjà vu » alors qu’on a déjà tant dit et tant écrit sur ce D.Day, y compris sous cette forme de témoignages associés, ainsi dans les ouvrages de Jean-Baptiste Pattier ou de Mickaël Noble.

Encore un mot...

Le sujet est inépuisable, rendu tel par l’ampleur de cette opération, les moyens militaires et humains mis en œuvre, la préparation à cet évènement fatal, méthodique d’un côté comme de l’autre. Il est inépuisable aussi car il va opposer le meilleur et le pire, le parti étant pris ici de montrer le meilleur, l’enthousiasme d’une jeunesse éprise d’aventure, l’héroïsme pur qui accepte la mort à 20 ans pour une cause réputée juste, le patriotisme conçu comme la défense d’une culture autant que d’une nation. Même si l’impression domine d’avoir déjà tant lu sur le sujet, avec Le Jour le plus long de Cornelius Ryan notamment, sa projection au cinéma et l’interprétation magistrale de John Wayne et d’Henry Fonda, avec le non moins sensationnel D.Day de Giles Milton, avec encore le Mémorial de Caen qui met si bien en perspective cette chronologie terrible dans ces unités « de lieu, de temps et d’action » définies en son temps par Boileau. 

 L’ouvrage d’Annick Cojean apporte ici sa pierre à l’édifice, opportunément puisque publié à la veille de la célébration du quatre-vingtième anniversaire de l’événement, par sa livraison brute, sans fioriture ni commentaire, sinon cette évocation laconique de la vie d’après, celle qui rend ces héros à la vie d’avant, à l’exception de quelques-uns qui plutôt que de nourrir une revanche, sacrifieront leur vie au service de la paix, ainsi Rolf de Boeser, prisonnier en France jusqu’en 1949 dont « le travail de réconciliation entre Français et Allemands fut le sens de toute sa vie » (sic).

Une phrase

  •  “ Et puis, j’ai entendu la voix du commandant Philippe Kieffer, et j’ai rampé dans sa direction. Il était allongé, visiblement blessé, mais il hurlait des ordres et des camarades, également à quatre pattes, commençaient à se rassembler derrière des monticules de sable… C’est là que des hommes m’ont demandé la communion. Dans ce chaos effroyable… Je portais sur moi, une petite boîte d’hosties consacrées et je me suis glissé de l’un à l’autre. Ils étaient graves et concentrés.” Page 98

  •  Puis il a quitté le major et m’a fait signe de m’engager sur le pont ; et tandis que j’avançais d’un pas mal assuré, effaré par les balles ricochant contre les montants métalliques, j’ai vu la colonne qui s’ébranlait à la suite de Lovat, aussi impassible que s’il faisait le tour de sa propriété d’Ecosse.” Page 138

L'auteur

 Annick Cojean est journaliste au Monde, correspondante de guerre et écrivaine. Elle a publié une quinzaine d’ouvrages, beaucoup d’entre eux étant consacrés à la défense de la cause des femmes : Une farouche liberté en collaboration avec Gisèle Halimi (Grasset, 2020); Simone Veil, la force des femmes en collaboration avec Xavier Bétaucourt (Steinkis, 2020); Je ne serais pas arrivée là si27 femmes racontent (Grasset, 2018). Elle a reçu en 1996 le prestigieux prix Albert-Londres pour sa série de reportages intitulée Les Mémoires de la Shoah.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Ils viennent de sortir