Main basse sur la culture. Argent, réseaux, pouvoir
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Pour écrire "Main basse sur la culture", Michaël Moreau et Raphaël Porier ont rencontré une centaine de personnalités dont les témoignages constituent le cœur d’une investigation où artistes, producteurs, hommes politiques et grands patrons racontent et analysent le monde de la culture, de l’intérieur, avec une grande liberté de parole.
Les auteurs reviennent sur trois décennies de mutations dans le panorama culturel français, montrant les multiples bouleversements connus par ce milieu, depuis les années 1980 jusqu’à la brutale apparition de nouveaux acteurs à l’orée du xxième siècle.
Dès les années du « tout culture » prôné par Jack Lang, les investisseurs privés ont su se rendre indispensables ; cet âge d’or de la culture - le mot « gabegie » revient régulièrement pour le qualifier – cache pourtant d’autres constats moins reluisants, comme l’absence totale de cap sur la question de l’emploi culturel ; question dont l’héritage est parvenu jusqu’aux dirigeants politiques actuels.
Si les années 1980 voient la naissance des chaines de radios musicales et de chaines de télévisions privées, elles voient surtout la culture devenir quelque chose de rentable. C’est la naissance d’une véritable « économie de la culture » où on constate un effacement progressif de l’État au profit d’investisseurs issus des milieux financiers, d’entreprises ou encore de groupes étrangers qui ont pour ambition de « bouleverser les habitudes de consommation culturelle en France ».
Un des principaux constats ressortant de cette enquête, c’est la transformation de la culture en un business potentiellement lucratif. La culture au tournant du xxe et du xxie siècle va se transformer en une colossale machine de communication plongée dans une guerre de marketing constante. Le milieu culturel, s’il est bouleversé, est surtout dépassé par un rythme toujours plus intense de production, et des objectifs divergents entre ses acteurs comme l’illustrent les relations qu’entretiennent certaines chaines de télévisions privées avec le CSA. C’est la rentabilité à tout prix et la conquête de nouveaux secteurs qui priment ; même les théâtres et les musées ont cédé aux sirènes du marketing, à la course aux « blockbusters ».
Plusieurs témoignages recueillis par les deux journalistes sont très clairs, si la quantité et la rapidité priment aujourd’hui, qu’il s’agisse de musique ou de cinéma, c’est au détriment de la qualité artistique. La culture est devenue un bien consommable et jetable.
Une idée est alors avancée : l’existence d’un ministère de la culture sclérosé et amputé de son budget, est-elle toujours pertinente ? À l’heure où les politiques espèrent que le mécénat pourra compenser la baisse grandissante des aides publiques dans les milieux culturels une lancinante question se pose : quel avenir pour la culture ?
Points forts
• Un livre absorbant, naviguant entre un historique de la culture en France ces dernières décennies et une enquête sur son fonctionnement, traitant de sujets inabordés, rebondissant sur des questions toujours d’actualité.
• Des témoignages inédits sur des faits stupéfiants : un haut fonctionnaire qui pour rédiger un projet de loi se retrouve seul, et doit réaliser le travail qu’aurait dû fournir un cabinet ministériel entier. Un ministre de la culture ,complètement dépassé sur certaines questions, avoue « être largué » et ne « rien comprendre » (liste non exhaustive).
• On appréciera le franc-parler qui est celui de bon nombre des interlocuteurs des auteurs de ce livre.
• Des renseignements très précis sur des sujets peu ébruités, tels que les guerres intestines pour les nominations à la présidence d’établissements publics, entre autres choses.
• On pourrait imaginer en commençant ce livre que cette enquête, dans son versant politique, se focalise exclusivement sur le rapport de la gauche française à la culture et avec les artistes. Il n’en est rien puisque la présidence de Nicolas Sarkozy et l'action de personnalités de droite ayant eu des responsabilités concertant les affaires culturelles en France sont attentivement étudiées également.
• La liste des entretiens en fin d’ouvrage.
Quelques réserves
• Si la partie consacrée aux maisons de disques aborde – avec de très intéressants témoignages analytiques, les mutations au sein de ce milieu, notamment au niveau du « contenu qualitatif de la filière musicale »-, on regrette qu’il n’en aille pas de même pour la partie consacrée à l’industrie du livre.
• Au même titre que cet ouvrage comprend un prologue, il aurait peut-être mérité une conclusion ou bien une succincte postface, après l’ouverture du dernier chapitre sur la présidence de François Hollande…
Encore un mot...
Une enquête extrêmement intéressante qui emmène véritablement le lecteur dans les arcanes du milieu culturel français et qui, malgré sa densité, est rendue très animée par les nombreux témoignages qui la parcourent.
L'auteur
Michaël Moreau et Raphaël Porier sont journalistes.
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